Petrograd
Titre : Petrograd
Scénariste : Philip Gelatt
Dessinateur : Tyler Crook
Éditeur : Urban Comics (Urban Indies)
Date de publication : 30 août 2013 (2011 en VO chez Oni Press)
Synopsis : Qui a tué Grigori Raspoutine ? À l’aube de la Révolution de 1917, un espion britannique s’infiltre au coeur de l’Empire Russe. Tiré de fait réels, Petrograd est le fruit d’un travail de recherches, tentant de percer à jour le mystère entourant la mort de Raspoutine. Ce thriller historique nous offre une plongée dans les abysses les plus sombres de la Cour du Tsar de Russie, au début du XXème siècle.
La révolution ne repose pas sur les épaules d’un seul homme. Il ne faut rien de plus qu’une allumette, une pierre, un moment… et le monde changera à tout jamais.
Petrograd la grande, Petrograd la fière, Petrograd l’ancestrale cité des tsars russes est ici l’objet d’un one-shot sombre et intense sur fond de trame politique au cœur de la Première Guerre mondiale.
Suivre un espion britannique, Cleary, en poste à Petrograd au cœur des années 1915 et 1917, dans ses « aventures » et ses réflexions, est un angle de vue original et bienvenu. La montée du bolchévisme, la trame politique, le fond d’espionnage et le rapport du peuple avec son tsar, tout semble y être. Toutefois, le scénario passe, à mon humble avis, à côté de l’essentiel. En effet, Petrograd, malgré le titre éponyme, n’est pas du tout abordée comme un personnage à part entière, mais davantage comme un lieu morne et peu enclin à la joie de vivre (cf. paragraphe suivant sur l’aspect graphique). De plus, rapidement, nous pouvons nous rendre compte que l’événement principal va être l’assassinat de ce fameux Raspoutine, et pourtant il n’apparaît comme un fantôme horrifique planant au-dessus de son histoire ; nous n’avons que des rumeurs de sa vie, que des avis extérieurs sur ses ambitions, que des visions sûrement erronées volontairement de ce sacré personnage : un petit peu de poigne dans le scénario aurait pu nous montrer des aspects moins connus de ce gars mystérieux dont la mort semble déclencher beaucoup de choses, mais qui finalement ne l’affirme pas. Du même coup, Philip Gelatt ne réussit pas tellement à créer une véritable ambiance oppressive ou avilissante, ce qui, pour un thriller historique sur fond de révolution, est tout de même bien dommage, car il nous semble bien que les auteurs avaient l’air bien calés sur le sujet, le glossaire final étant bienvenu pour faire foi.
De son côté, Tyler Crook nous propose un graphisme assez particulier. Au menu : dessins hachés et âpre colorisation qui tentent de mettre en valeur une bonne utilisation de la lumière. Et, de ce point de vue-là, c’est vrai, c’est réussi : nous pouvons suivre une très belle organisation graphique des cases, et nous pouvons même jouer à déceler les multiples balancements produits quand certaines cases répondent à d’autres par leur construction ou leur composition (notamment dans l’opposition bas peuple – aristocratie). Après, c’est sûr, il faut aimer, ou au moins tolérer, les dessins taillés à la serpe et au couteau, voire à la faucille et au marteau compte tenu du contexte : bizarrement, les décors paraissent ainsi trop simplistes, mais dès que le point de vue se rapproche suffisamment des visages pour les voir vraiment s’animer, cela devient bien plus agréable, notamment sur les personnages féminins comme celui de Marya. Toutefois, cette disproportion est accompagnée aussi d’un effet stylistique consistant à quasiment dédoubler certaines parties de dessins quand l’action se déroule très vite et qu’il s’agit de créer un pseudo-ralenti. Ces impressions créent devant nos yeux de lecteur un paysage à la fois morne et violent, en tout cas peu accueillant. Enfin, ces relativement bonnes dispositions se dégradent très fortement dès la fin du premier tiers du volume : l’organisation des planches n’innove plus, nous suivons un schéma archétypal et même les dessins y perdent beaucoup, privilégiant des zooms sur des visages apathiques et de grands aplats noirs pour isoler certains détails. Cette baisse de régime est d’autant plus dommageable quand on regarde les travaux graphiques préparatoires disponibles en bonus à la fin du volume.
Urban Comics a donc le mérite de nous faire découvrir des comics indépendants avec ce qu’il faut d’originalité pour attirer, mais ce coup-ci je n’ai pas tellement accroché : le sujet est intéressant mais traité de manière trop bancale (entre un espion britannique omniprésent, mais peu convaincant, et un Raspoutine quasi « omniabsent » alors qu’il est la clé de l’histoire), le trait est original mais perd grandement de sa valeur une fois mis en page. Bref, c’est par un gros « dommage » que je referme ce comics.