Science-Fiction

Fiction n°18 (printemps 2014)

Fiction 18 printemps 2014

Titre : Fiction n°18 (printemps 2014)
Auteurs : Ayerdhal, Norman Spinrad, Justine Niogret et Jean-Philippe Jaworki (Entretiens croisés) ; Nicolas Nova (« Avez-vous un visage si la machine ne le voit pas ? ») ; Catherine Dufour et Patrick Imbert (« De l’autre côté du miroir ») ; Alex Nikolavitch (« Le mutant ») ; Julie Proust Tanguy (« De la littérature comme errance ») ; Megan Lindholm, alias Robin Hobb (« Hasard de naissance ») ; Timothée Rey (« Les Djinns funèbres ») ; Ken Liu (« Trajectoire ») ; Steven Utley (« Quatre cents millions d’années de réflexion ») ; Estelle Faye (« Gipsy Nuke ») ; Elizabeth Hand (« La rive d’en face ») ; Rand B. Lee (« Pique-nique à Pentecôte ») ; Sonia Quémener (« L’éternité dure longtemps ») ; M. K. Hobson (« DynaCostume™ ») ; Albert E. Cowdrey (« Esprits tordus ») ; John Sladek (« Les véritables chroniques martiennes »)
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 20 février 2014

Synopsis : Fiction. La revue qui défie la gravité.

Note 3.5

Le volcanologue lui adressa un grand sourire et lui déclara :
« Je suis bien meilleur qu’Empédocle, je descends dans les volcans, comme lui, mais ensuite j’en ressors !
– Excusez-moi, qui était Empédocle ?
– Un Grec ancien qui a sauté dans le cratère du mont Etna pour avoir la preuve qu’il était immortel. Il ne l’était pas.
– Ah. Il a dû être très déçu.
– Très brièvement, j’en suis sûr. »

[« Quatre cents millions d’années de réflexion », de Steven Utley]

Après la reprise de la revue par Les Moutons électriques, puis la mise en commun de plusieurs aspects éditoriaux au sein du collectif Les Indés de l’Imaginaire (Les Moutons électriques, ActuSF et Mnémos), c’est désormais ActuSF qui publie Fiction, la revue des littératures de l’imaginaire, qui fait peau neuve par la même occasion. Celle-ci s’organise en deux temps avec d’abord des dossiers sur la fantasy, la science-fiction et/ou le fantastique, puis, dans un deuxième temps, une sélection de nouvelles inédites d’auteurs reconnus comme de jeunes débutants. Merci donc aux éditions ActuSF pour cet envoi très apprécié.


Le dix-huitième numéro de la revue Fiction s’ouvre sur deux rubriques de taille : des interviews croisées entre auteurs aux imaginaires complémentaires ! Tout d’abord, Ayerdhal et Norman Spinrad, mis en relation lors du festival des Utopiales 2013, conversent autour de leurs rapports à l’écriture, de leurs concepts respectifs et des relations littéraires franco-américaines. Leur approche respective vers la science-fiction en tant que vision sur le monde d’aujourd’hui est toujours captivante à comparer, surtout pour deux cultures relativement différentes. Puis, nous enchaînons avec l’entretien entre Justine Niogret et Jean-Philippe Jaworski (lors de la soirée officielle de la rentrée des Indés de l’Imaginaire). Ce duo 100% français pèse de larges succès en matière de fantasy historique, puisque nous avons là l’auteur de Chien du Heaume, Mordre le bouclier et Mordred face à celui de Janua Vera, Gagner la guerre et Même pas mort ! Du lourd, du puissant, mais aussi du poétique. Deux romanciers et nouvellistes, deux écrivains fortement penchés sur l’ « aspect celtique des choses », dirons-nous, chacun ayant son rapport très personnel à l’historicité, mais aussi à la poésie du quotidien (le pouvoir des fouilles archéologiques pour M. Jaworski, tout comme celui des forges et de ses bruits caractéristiques pour Mme Niogret, par exemple). Pour l’un comme pour l’autre de ces entretiens, il s’agit vraiment d’assister à une comparaison vivante de deux œuvres, de deux points de vue sur des thèmes relativement proches, en science-fiction comme en fantasy. Le procédé semble classique, mais il est ici bien mis en valeur dans cette revue.

La revue se poursuit avec plusieurs dossiers spécialisés, sous forme de chroniques. Nicolas Nova nous donne « Des nouvelles du futur » en s’interrogeant sur la question « Avez-vous un visage si la machine ne le voit pas ? » ; Catherine Dufour et Patrick Imbert passent, eux, « De l’autre côté du miroir » avec un court reportage graphique volontairement troublant et déroutant ; Alex Nikolavitch garde « Les mains dans le cambouis, la tête dans les étoiles » en exposant sa connaissance de la question mutante, lui le spécialiste de la bande dessinée anglo-saxonne ; enfin, Julie Proust Tanguy tente quelques « Passerelles » avec sa chronique « De la littérature comme errance ».

La majeure partie de la revue Fiction reste, malgré tout, celle consacrée à la publication de nouvelles. C’est toujours compliqué de considérer ces nouvelles moins mises en valeur que dans une anthologie organisée et coordonnée, mais l’intérêt de la revue est de cibler, grâce à des nouvelles inédites, un peu de tous les genres des littératures de l’imaginaire, science-fiction, fantasy et fantastique étant tous trois représentés. Ces nouvelles sont alors par nature disparates, d’autant plus que nous avons ici à la fois des auteurs français et des traductions de nouvelles parues dans The Magazine Fantasy & Science-Fiction, revue américaine avec laquelle Fiction est en partenariat depuis ses grands débuts. C’est pourtant la richesse de ces différents choix qui fait l’un des intérêts de cette revue. Mise en exergue dans la section « Bonnes feuilles », Megan Lindholm, alias Robin Hobb, lance cette sélection d’inédits avec « Hasard de naissance » (A Coincident of Birth), publiée simultanément dans son recueil Liavek chez le même éditeur : dans cet univers partagé particulier et urbain, la jeune orpheline Kaloo cherche comment mettre à profit la magie, la « chance » offerte à tout un chacun au moment de son anniversaire.

Les deux premières nouvelles ne sont pas celles qui m’ont le plus passionné, avis très personnel évidemment. Tant « Les Djinns funèbres » de Timothée Rey entre espions expérimentés et androïdes dissimulés dans une ambiance très planet opera, que la « Trajectoire » (Arc) de Ken Liu où l’auteur laisse libre cours à ses réflexions sur le droit à l’éternité et l’inévitabilité de la mort, toutes deux manquent de suffisamment de rythme pour être captivantes. Heureusement pour moi, chacune des nouvelles suivantes met un place une intrigue prenante et un univers viable. En nous proposant « Quatre cents millions d’années de réflexion » (The 400-Million-Year Itch), Steven Utley poursuivait son idée du tourisme préhistorique avec la jeune assistante du physicien Cutsinger qui se questionne sur son métier, son intérêt dans la vie et le sens d’un voyage d’agrément au Paléozoïque : dépaysant ! Estelle Faye, en compagnie de ses « Gipsy Nuke », réussit à concilier la quête de l’amour et la lutte pour sa survie dans une Ukraine ravagée par les conséquences du nucléaire : les Children of the Atom ne sont-ils que rebuts de la société ou bien son futur ? « La rive d’en face » (The Far Shore) d’Elizabeth Hand représente la ligne à franchir pour Philip qui, l’âge aidant, s’éprend de la solitude offerte par un chalet isolé ; son voyage ne fait que commencer entre désir de retrouver l’amour, de côtoyer le fantastique et de découvrir, malgré tout, de nouveaux horizons. Pour un « Pique-nique à Pentecôte » (Picnic on Pentecost), Rand B. Lee nous sert un récit des plus touchants mais complètement surréaliste ; Elizabeth, sa mère et ses trois frères et sœurs parcourent leur univers, leur arrivée sur une planète particulière va bouleverser sa perception des choses au niveau tant physique que métaphysique : c’est par des mots percutants et des concepts volontairement flous que l’auteur prend notre imagination pour la retourner contre nous, et c’est drôlement perturbant (en bien !). Grâce à « L’éternité dure longtemps », Sonia Quémener se penche sur l’épineux problème de l’existence, et de la consistance, des fantômes ; les revenants ont-ils une voie à suivre ou même un poids encore par rapport à notre plan d’existence ? Pour cela, il faudra suivre la narratrice dans un voyage qui s’annonce éternel. M. K. Hobson, quant à lui, avec son « DynaCostume™ (PowerSuit™) », reprend à son compte, et de belle façon, le thème de la société future où chacun aura son assistant numérique personnalisé constamment avec lui : l’IAgent de Marshall Craig, son « Ami » comme il le nomme, a carrément sa propre conscience et compte bien lui faire gravir les échelons de son entreprise. Entre manigances industrielles et soubresauts imposés par ce personnage principal fan de rimes et de Frank Sinatra, ce récit mise son dynamisme (évidemment, vu son titre…). D’« Esprits tordus » (Mindbender) nous avons besoin pour imaginer ce que nous propose Albert E. Cowdrey : un réfugié politique russe, qui prend le nom de Milo Rubrik et qui est mis au secret dans une petite bourgade américaine par un responsable obnubilé par la traque d’un assassin intouchable, se révèle être un mentaliste particulièrement intrusif vis-à-vis du cerveau de ses proches : petit retournement de cerveau bienvenu, donc, avec cette nouvelle d’espionnage. Enfin, John Sladek nous propose « Les véritables chroniques martiennes » (The Real Martian Chronicles), où nous découvrons rapidement l’installation d’une petite famille sur Mars, narrée sur une semaine, entre le quotidien un peu absurde et l’exotisme ambiant propre aux territoires à conquérir.

Nous avons le droit de finir un peu essoufflés au terme de ce dix-huitième numéro de la revue Fiction : parcourir tant de territoires, tant d’esprits différents avec autant de styles particuliers, c’est aussi laborieux qu’enrichissant. L’important est évidemment que mon intérêt personnel pour les revues spécialisées est clairement relancé avec cette lecture ; d’ailleurs, le numéro 15, trouvé en occasion, est d’ores et déjà prêt à me faire poursuivre l’aventure.

Voir aussi : Une nouvelle année chargée pour les Indés !

Autres critiques : Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres) et Hari (Noire Planète)

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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