Fantastique - Horreur

Jusque dans la terre

Titre : Jusque dans la terre
Autrice : Sue Rainsford
Éditeur : Aux forges de Vulcain
Date de publication : 2022

Synopsis : Ada vit avec son père dans une clairière, en bordure d’une forêt, non loin de la ville. Ils passent leur temps à soigner les habitants qui leur confient leurs maux et leurs corps, malgré la frayeur que ces deux êtres sauvages leur inspirent parfois. Un jour, Ada s’éprend de Samson. Cette passion, bien vite, suscite le dépit voire la colère du père de la jeune fille et de la sœur du jeune homme. L’adolescente se retrouve déchirée par un conflit de loyauté entre son héritage vénéneux et cet élan destructeur qui l’emmène loin de tout ce qu’elle a connu.

Un duo de guérisseurs peu commun

Ada est une jeune fille à priori tout ce qu’il y a de plus ordinaire évoluant dans un espace-temps à propos duquel l’autrice ne nous donne volontairement aucun indice particulier. Se pourrait être partout. Se pourrait être maintenant. Seulement, malgré les apparences, Ada n’a rien d’une adolescente lambda. D’abord parce qu’elle n’est pas à proprement parler humaine, son père l’ayant façonné directement à partir d’un lopin de terre aux propriétés étonnantes situés dans leur jardin. Ensuite parce que sa nature lui a octroyé des pouvoirs de guérison stupéfiants qui lui permettent de venir à bout de la plupart des maladies ou blessures humaines. C’est la raison pour laquelle les cures (comprenez les humains ordinaires) viennent si souvent leur rendre visite à son père et elle. C’est aussi la raison pour laquelle, malgré leur bizarrerie et le malaise que leur comportement n’est pas sans susciter, on les laisse vivre à proximité du village sans trop faire d’histoires. Le quotidien monotone d’Ada va toutefois voler en éclat lorsqu’elle va faire la connaissance de Samson, un jeune villageois avec lequel elle va très vite entretenir une liaison. Leur romance n’est cependant pas au goût du père de la jeune femme, ni de la sœur de ce dernier, avec laquelle il entretient une relation complexe. Déchirée entre sa loyauté à son père et sa nature profonde et son désir pour ce jeune homme de toute évidence perturbé mais auquel elle ne peut résister, Ada va échafauder un plan terrible dont elle ne mesure pas encore à quel point ses conséquences transformeront irrémédiablement son quotidien.

Quand la banalité de l’adolescence côtoie l’horreur

Le roman de Sue Rainford est de ces ouvrages dont l’étrangeté manifeste a dans un premier temps de quoi déstabiliser, avant de nous embarquer complètement dans un voyage tellement immersif qu’on est tenté de l’accomplir d’une traite. Les quelques deux cents pages que comporte le récit se dévorent ainsi à une vitesse folle et nous entraînent dans une histoire suscitant tour à tour fascination ou malaise. Le rôle joué par la terre dans la naissance d’Ada et dans la façon dont elle et son père guérissent les malades est assez perturbant et rend même certains passages particulièrement inconfortables à lire. Pour autant, on ne peut s’empêcher d’être curieux/curieuse devant cette forme de magie originale capable de faire brusquement basculer le récit dans l’horreur. Il ne s’agit cependant pas de la seule source de malaise, le comportement (souvent incompris par l’héroïne) de certains personnages se révélant lui aussi capable de susciter l’effroi. Le sentiment d’angoisse qui étreint peu à peu les lecteurices vient également de l’étrangeté de l’héroïne, Ada, qui nous narre elle-même son histoire et dont certaines réactions nous rappellent soudainement qu’elle n’appartient pas tout à fait à l’humanité. Chaque chapitre est entrecoupé d’un témoignage d’un ou d’une habitant.e du village qui nous parle de son ressenti sur ce duo surprenant : la façon dont ils les ont guéri, les rumeurs qui courent à leur sujet… Cette alternance de points de vue courts est astucieux car il nous permet de mettre en perspective le récit d’Ada et de comprendre comment sa magie est perçue par ses voisin.es. La conclusion m’a parue un peu abrupte mais se révèle finalement appropriée, à la fois terrible mais juste, à l’image du roman.

Avec « Jusque dans la terre », Sue Rainsford signe un roman effrayant mais fascinant mettant en scène un père et sa fille presque-humains capables de soigner tous les maux grâce aux vertus magiques de la terre. Dérangeant par bien des aspects (et pas que ceux liés au surnaturel), le récit se lit d’une traite et dresse le portrait d’une adolescente certes très étrange mais aussi touchante de normalité dans ses aspirations et ses questionnements. Une lecture courte mais intense, donc, que je vous recommande chaudement.

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Les Chroniques du Chroniqueur

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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