Fantastique - Horreur

L’étrange traversée du Saardam

Titre : L’étrange traversée du Saardam
Auteur : Stuart Turton
Éditeur : 10/18
Date de publication : 2023

Synopsis : 1634. Le Saardam quitte les Indes néerlandaises pour Amsterdam. À son bord : le gouverneur de l’île de Batavia, sa femme et sa fille. Au fond de la cale, un prisonnier : le célèbre détective Samuel Pipps, victime d’une sombre affaire. Alors que la traversée s’avère difficile et périlleuse, les voyageurs doivent faire face à d’étranges événements. Un symbole en lettres de sang apparaît sur la grand-voile, une voix terrifiante se fait entendre dans la nuit, et bientôt on retrouve un cadavre dans une cabine fermée de l’intérieur. Le bateau serait-il hanté, ses occupants maudits ? Aucune explication rationnelle ne semble possible. Et l’enquête s’avère particulièrement délicate, entre les superstitions des uns et les secrets des autres.

Une nouvelle enquête palpitante

Après le coup de cœur qu’avait représenté « Les sept morts d’Evelyn Hardcastle », c’est avec enthousiasme que je me suis penchée sur le reste de la bibliographie de Stuart Turton. C’est comme ça que je suis tombée sur « L’étrange traversée du Saardam », un roman à mi-chemin entre le thriller, le fantastique et la fiction historique. L’action se déroule en 1634 et met en scène un navire, le fameux Saardam, en passe de quitter les Indes orientales pour Amsterdam sur l’ordre du gouverneur de l’île de Batavia. Un voyage crucial pour ce dernier qui escompte troquer ce qu’il ramène à bord contre une place au sein des Genleman 17, un club très fermé qui régit tout le commerce occidentale. En guise de monnaie d’échange figure notamment un certain Samuel Pipps, détective de renom embauché il y a peu par le gouverneur puis emprisonné pour trahison. Arent, son garde du corps, est cependant prêt à tout pour le faire libérer, et ce d’autant plus que la traversée promet d’être mouvementée. En effet, un lépreux présent sur les quais au moment de l’embarquement a proféré des menaces terribles à destination de tous les passagers, promettant leur mort inéluctable et la libération d’un démon redoutable. Avertissement dédaigneusement négligé par le gouverneur mais pris au sérieux par Arent ainsi que Sara, l’épouse du chef de l’expédition, qui cherche à tout prix à assurer la protection de sa fille et est fascinée par les enquêtes de Samuel Pipps. Le voyage leur donnera raison, car très vite des événements plus effrayants et déroutants les uns que les autres s’enchaînent à bord du navire. Cela commence par cette marque, le signe du démon, qui se met à apparaître un peu partout. Puis il y a cette lumière qui surgit de nul part certaines nuits au large et ne correspond à aucun des navires de la flotte. Et puis il y a ces murmures permanents une fois le soleil couché, ceux qui promettent une récompense en échange d’un ralliement à un démon dont le nom suffit à instiller la peur dans le cœur des passagers : Old Tom. Et puis, enfin, il y a ces meurtres qui s’enchaînent…

Un huis-clos angoissant et maîtrisé de bout en bout

Si le roman n’est pas tout à fait à la hauteur des « Sept mort d’Evelyn Hardcastle », il n’en demeure pas moins un excellent page-turner dont on ne voit pas les six cents pages passer. L’intrigue est une fois encore très bien ficelée et comporte un nombre incalculable de fils qui finissent par se rejoindre pour tisser un motif complexe et surprenant. L’auteur se plaît à entretenir le suspens tout au long du récit concernant la nature des événements qui sont relatés : s’agit-il, comme certains le prétendent, des actes d’un démon relâché sur la Terre pour semer la terreur ? Ou bien tout cela ne serait-il qu’une machination orchestrée par un esprit retors mais tout à fait humain ? Les nombreux rebondissements que comporte l’intrigue nous font tour à tour pencher vers l’une ou l’autre de ces théories, avant que les toutes dernières pages ne viennent finalement nous apporter la réponse tant attendue. Les mystères sont nombreux et ont tendance à se multiplier au fil des pages, rajoutant sans arrêt une couche supplémentaire de questions à celles qui se posaient initialement. L’auteur se garde cependant de faire de la rétention d’informations et distille au contraire énormément d’indices à mesure que ses personnages avancent dans leur enquête. Comme dans son précédent roman, l’influence d’Agatha Christie se fait ressentir, que ce soit par le nombre important de suspects possibles ou par le huis-clos qui participe à instaurer une ambiance angoissante et accroît la tension entre les personnages. Le Saardam est un décor à la hauteur du mystère, l’indiaman se révélant être le décor rêvé pour dissimuler les secrets des passagers, avec ses alcôves, ses règles et traditions propres au monde de la mer, sans oublier ses dédales labyrinthiques. Le contexte historique en tant que tel n’est que peu explicité et l’auteur nous apprend dans ses notes qu’il a volontairement omis ou réarrangé certains aspects pour que cela colle mieux à son récit, mais cela ne nuit ni à la cohérence ni à l’immersion. Les quelques éléments de contexte abordés sont quant à eux intéressants, qu’ils traitent de la chasse aux sorcières et de l’instrumentalisation de la superstition ou des conditions de vie dans les navires de ce type.

Une belle galerie de personnages

Les personnages sont eux aussi intrigants, tous ayant leur lot de secrets à préserver. Répartis en trois catégories aux intérêts divergents à bord (marins, nobles, passagers lambda), tous ont des désirs inavoués, des regrets qui les rongent ou des ambitions cachées. Les manigances d’Old Tom ne vont faire qu’exacerber toutes ces tentions préexistantes. En ce qui me concerne, j’ai particulièrement apprécié le rôle dévolu aux personnages féminins qui sont tous bien campés et permettent de souligner les problématiques rencontrées par la plupart d’entre elles (violences conjugales, mariages arrangés, absence de perspectives autre que la maternité, menace d’accusation en sorcellerie qui plane…) Contrairement à ce que la présence d’un célèbre détective à bord pouvait laisser penser, le mystère n’est pas résolu par un seul individu doté d’une intelligence redoutable mais par une poignée de passagers mettant en commun leurs informations et leurs compétences afin d’échafauder une théorie. Ce nombre conséquent d’investigateurices en herbe permet de rythmer l’intrigue par des découvertes fréquentes immédiatement mutualisées. Le duo Pipps/Arent laisse évidemment penser à un autre duo d’enquêteurs, Arent ayant l’habitude de publier les comptes-rendus feuilletonnés de leurs aventures quand Pipps se révèle être doté de capacités de déduction hors du commun et d’un sens des conventions sociales bien particulier. Il serait toutefois réducteur de cantonner le duo à une simple doublure de Sherlock et Watson, et il est d’ailleurs intéressant de constater que Pipps, d’ordinaire héros de l’enquête, évolue ici en marge de l’histoire quand Arent, plus habitué à jouer un rôle se second couteau, occupe ici le devant de la scène. Le personnage est éminemment sympathique, sa carrure de géant cachant un esprit affûté mais aussi une profonde bonté qui en font l’un des rares repères solides de l’histoire où tout le monde soupçonne tout le monde. Il en va de même pour Sara, l’épouse du gouverneur, qui cherche à se libérer du carcan que son sexe et son rôle social l’obligent à supporter, et qui séduit par son pragmatisme, son intelligence et sa volonté de protéger sa fille à tout prix. Les autres personnages suscitent des sentiments très variés, certains se montrant violents et cruels quand d’autres cherchent à se présenter comme charmants et civilisés ; mais tous cachent visiblement quelque chose, ce qui les rend difficile à cerner.

« L’étrange traversée du Saardam » est un page-turner haletant flirtant avec le fantastique et mettant en scène un navire du XVIIe parti pour un long voyage et menacé par de mystérieuses forces à bord. La traversée ne tarde ainsi pas à devenir un véritable enfer pour les passagers qui se retrouvent tous suspects des atrocités commises. Doté d’une intrigue complexe mais astucieusement élaborée, le récit captive par ses rebondissements permanents et par la multitude de questions que l’enquête menée par certains passagers ne tardent pas à soulever. Un huis-clos angoissant et captivant qui ravît autant par les frissons qu’il procure que par l’intérêt que l’on porte aux personnages, sans oublier bien sûr le plaisir que l’on prend à essayer de résoudre le mystère.

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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