La reine sirène

Titre : La reine sirène
Auteur/Autrice : Nghi Vo
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2025 (avril)
Synopsis : Quand un cinéma ouvre ses portes à une rue de la blanchisserie de ses parents et qu’elle assiste à la projection de Roméo et Juliette, Luli Wei voit naître l’ambition qui dictera toute sa vie : devenir une star hollywoodienne. Elle le sait, l’univers du septième art est dangereux. Cruel. Et en tant que jeune femme queer, d’origine asiatique, elle devra payer son succès au prix le plus fort : les démons pulluleront, chaque contrat sera négocié et signé de son sang, et les producteurs chercheront à s’emparer de tout ce qu’elle possède – de son visage à son identité, sans négliger les femmes qu’elle aime. Mais qu’importe. Luli Wei est prête à tout pour vivre selon ses désirs, quitte à renoncer à son humanité.
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La magie du cinéma
Nghi Vo est une autrice américaine révélée il y a deux ans par les éditions L’Atalante qui a depuis édité plusieurs de ses novellas inscrites dans un même univers (« Archives des Collines-Chantantes ») ainsi que deux romans. Le premier, « Les beaux et les élus », se voulait une réinterprétation au féminin (avec une pointe de surnaturel) de l’œuvre emblématique de F. Scott Fitzgerald, « Gatsby le magnifique ». Le second, « La reine sirène » est quant à lui consacré au monde du cinéma des années 1930 à 1950, soit l’âge d’or des studios hollywoodiens. Tout commence avec une jeune fille d’origine asiatique habitant aux États-Unis et qui se rend par hasard dans la toute nouvelle salle de cinéma ouverte dans son quartier. Là, la petite Luli Wei a une véritable révélation : elle sera un jour une star de cinéma ! Seulement, si le monde imaginé par Nghi Vo ressemble presque en tout point au notre, les apparences sont parfois trompeuses, et travailler dans le cinéma a un prix que toutes les jeunes actrices en herbe ne sont pas prêtes à payer. C’est ce que va découvrir Luli lorsqu’elle va mettre un premier pied dans la « grande famille du cinéma » après avoir été repérée en tant que figurante. Son association avec un réalisateur en vogue va lui permettre de rentrer dans les studios Wolfe et d’être formée au métier d’actrice avec un seul objectif : devenir une étoile, une de ces stars que l’on n’oubliera jamais et qui résiste à la mode aussi bien qu’au temps. Une position qui n’est réservée qu’à une toute petite poignée d’élues et qui paraît d’autant plus hors de portée pour Luli que ses origines la cantonnent à des rôles stéréotypés et relativement secondaires. Loin de se satisfaire de cet état de fait, notre héroïne va tout faire pour imposer ses conditions et se détourner des rôles traditionnellement réservés aux jeunes femmes asiatiques, quitte pour cela à jouer des monstres…
Derrière le décor
Je n’ai jamais tout à fait accroché à l’écriture de Nghi Vo que j’ai souvent trouvé assez sibylline et fleurtant souvent avec l’onirisme. C’est à nouveau l’impression que j’ai eu ici, même si l’atmosphère instaurée par l’autrice a pourtant un charme certain. Tout le folklore créé autour de l’industrie du cinéma est ainsi très pertinent et permet de mettre en lumière la nocivité de ce milieu et des rapports de domination omniprésents en son sein. Les contrats signés entre les actrices et les studios sont ici, littéralement, de véritables pactes avec le diable, cinéma et magie étant intrinsèquement liés et pas pour le meilleur. Comme souvent, l’autrice ne se montre pas particulièrement bavarde concernant le cadre du récit, mais les quelques informations glanées ici et là permettent de comprendre que toutes celles et ceux qui gravitent autour du grand studio sont pieds et poings liés et que, outre leur intégrité physique, c’est aussi celle de leur âme qui est menacée. J’ai beaucoup aimé cet aspect du roman qui nous invite à considérer l’envers du décor en insistant par exemple sur la vampirisation des actrices par les studios de production, ou encore sur le caractère très éphémère de nombre d’entre elles. J’ai en revanche eu du mal à m’attacher à cette héroïne froide et déterminée qui ne laisse que rarement poindre ce qui se cache sous sa carapace, et ce d’autant plus que l’histoire nous est narrée à posteriori. Ce choix narratif n’est d’ailleurs pas des plus heureux car il a le désavantage de balayer l’un des principaux enjeux du roman (va-t-elle réussir oui ou non à devenir une star ?) mais aussi parce qu’il donne lieu à des interruptions certes rares mais néanmoins dérangeantes faisant intervenir une tierce personne que nous ne connaissons pas et dont nous n’apprendrons d’ailleurs rien de plus.
Implicite et double sens permanent
Comme « Les beaux et les élus », le roman a aussi le mérite de chercher à mettre en lumière les questions de racisme et de sexisme, le personnage principal étant ici constamment victime de comportements relevant tour à tour de l’une ou l’autre de ces discriminations. L’héroïne a cependant du répondant et sait parfaitement mettre le doigt sur les sous-entendus de ses interlocuteurs, ce qui est le seul véritable aspect du personnage que j’ai apprécié. L’autrice insiste également beaucoup sur l’homosexualité de Luli mais la succession d’histoires d’amour vécues par le personnage n’apporte que très peu à l’intrigue. Les scènes de sexe sont ainsi nombreuses et, si elles permettent pour une fois d’échapper au schéma classique de l’hétéronormativité, elles n’ont que peu d’impact sur l’intrigue et ne suffisent pas à pénétrer dans l’intimité des personnages qui manquent d’humanité. Pour cette raison, leurs réactions sont parfois assez déroutantes et donnent régulièrement l’impression d’avoir loupé un wagon ou de ne pas disposer d’éléments suffisants pour les comprendre. Les dialogues sont à cette image, les personnages multipliant les sous-entendus, les non-dits ou les double sens que je ne suis parvenue à saisir qu’une fois sur deux, ce qui donne le sentiment désagréable de rater l’essentiel et de rester en permanence en surface des choses. L’intrigue est pourtant parvenue à m’accrocher à plusieurs reprises et les questionnements de l’autrice sur l’industrie du cinéma sont vraiment pertinentes et m’ont permis de tenir jusqu’à la fin.
Second roman publié en France de l’autrice américaine Nghi Vo, « La reine sirène » est un roman déroutant mettant en scène une jeune femme d’origine asiatique cherchant à percer dans le milieu du cinéma dans les années 1950. Si j’ai apprécié toute la mythologie élaborée par Nghi Vo autour de l’industrie du cinéma dont elle dénonce la voracité et les rapports de dominations qu’elle entretient et reproduit, j’ai peiné à m’attacher à l’héroïne, de même que j’ai eu beaucoup de mal avec le style de l’autrice qui mise sans doute un peu trop sur l’implicite et le double sens, au risque parfois de perdre ses lecteurices par des scènes ou des propos bien trop sibyllins.
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