Mauvaise graine

Titre : Mauvaise graine
Cycle/Série : Patternist
Auteur/Autrice : Octavia Buttler
Éditeur : Au Diable Vauvert
Date de publication : 2025 (1980)
Synopsis : Être aux pouvoirs sans limite, Doro est un esprit ancien qui engendre des humains sur lesquels régner. Sa puissance ne connaît pas d’égal, jusqu’à sa rencontre avec Anyanwu… Entre amour et haine, Doro et Anyanwu se poursuivent à travers les continents et les siècles, dans une lutte de pouvoir, modifiant irrémédiablement ce que signifie être humain.
…
Une immortelle sous emprise
Après l’uppercut asséné par ma lecture de « Liens de sang », j’ai décidé de poursuivre ma découverte de l’œuvre d’Octavia Butler avec « Mauvaise graine », roman qui s’inscrit dans le cadre de la série de science-fiction « Patternist ». Bien que l’ouvrage ait été le quatrième dans l’ordre de parution, il est chronologiquement le premier, aussi fait-il office de préquelle et peut-il être lu de façon tout à fait indépendante. Tout commence en Afrique, au XVIIe siècle, avec la rencontre de deux individus exceptionnels. Le premier, Doro, est un homme possédant la capacité de se glisser dans le corps de n’importe quel individu. Habitué à changer régulièrement de peau, l’immortel parcourt inlassablement le monde pour dénicher des personnes dotées de capacités psychiques ou physiques sortant de l’ordinaire. La seconde, Anyanwu, est justement l’un de ces êtres puisque, en plus d’être elle aussi dotée d’une longévité exceptionnelle, elle possède le pouvoir de changer de forme, de guérir les afflictions qu’elle a pu analyser et elle est dotée d’une force physique très supérieure à la normale. Attiré par son aura, Doro est immédiatement fasciné par Anyanwu qui mène une petite vie tranquille dans un village africain autour de ses nombreux descendants. Séduite par cet étranger et la nouveauté qu’il lui promet, mais aussi consciente de sa dangerosité et désireuse de l’éloignée de ses proches, l’immortelle accepte de le suivre à l’autre bout du monde, en Amérique. Tous deux vont alors se lancer dans un périple qui va les amener jusqu’aux États-Unis où Doro a fondé une petite colonie dans laquelle il réunit ses enfants les plus prometteurs. Pour Anyanwu, c’est le début de l’enfer, car Doro n’a aucune intention de la laisser partir et compte au contraire se servir d’elle pour mener à bien ses expériences de sélection génétique afin de donner naissance à des descendants plus forts, plus puissants et, peut-être un jour, capables de durer et de mettre fin à la terrible solitude qui est la sienne.
Esclavage…
Écrit dans les années 1980, le roman s’inscrit clairement dans le courant afrofuturiste dont Octavia Butler fut l’une des précurseuses. L’histoire met essentiellement en scène des personnes racisées et accorde une grande importance à la fois aux modes de solidarité et d’organisations sociales qui ont cours dans certains communautés africaines, mais aussi à la question de l’esclavage. Car si Anyanwu n’est pas à proprement parlé une esclave, son parcours vers l’Amérique puis sa vie auprès de Doro vont ressembler presque en tout point à ce que pouvaient vivre ces femmes et ces hommes arrachés à leur terre et réduit au rang de simple objet. On retrouve ainsi certains des sentiments qui transparaissaient déjà dans « Liens de sang », avec notamment cette peur permanente dont l’étreinte peut parfois légèrement se desserrer mais qui finit toujours par revenir dès lors que le rapport de domination se voit réaffirmé (souvent avec violence lors de scènes marquantes). Dans ces circonstances, la force et le réalisme de l’œuvre d’Octavia Butler viennent du fait qu’elle ne cherche pas à faire de ses personnages des femmes fortes en toutes circonstances. On voit bien ici avec le parcours d’Anyanwu que les femmes en général, et les femmes noires en particulier, se voient souvent contraintes au compromis avec la ou les forces qui les oppressent, que ce soit pour se préserver un quotidien plus respirable ou pour protéger celles et ceux qu’elles aiment. C’est exactement ce qui se passe ici avec l’héroïne du roman qui, bien que dotée de capacités extraordinaires, est obligée d’accepter des choses qui lui semblent pourtant intolérables (à elle comme aux lecteurices, d’ailleurs), mais qui choisit de plier pour ne pas rompre. Si Anyanwu est un protagoniste à laquelle on s’attache sans réserve, ce n’est en revanche pas le cas de Doro qui, de par sa position tout en haut de la « chaîne alimentaire », use systématiquement de coercition pour rallier à sa cause celles et ceux qui trouvent grâce à ces yeux. Et pourtant, en dépit de sa violence, le personnage parvient parfois à émouvoir, ce qui n’est pas sans provoquer un certain malaise.
… et eugénisme
La thématique de l’eugénisme, cette pratique qui consiste à sélectionner génétiquement des êtres humains afin de favoriser l’émergence d’individus « améliorés », est également centrale dans « Mauvaise graine ». Le projet de Doro n’est en effet pas autre chose puisque son objectif est de faire se reproduire ses descendants les plus prometteurs et ceux d’Anyanwu afin de donner naissance à des êtres de plus en plus puissants. Anyanwu, elle, cherche également à rassembler les individus aux capacités sortant de l’ordinaire, mais non pas dans une obsession de sélection mais de survie. Cette différence de méthode va opposer les deux personnages pendant toute la durée de ce roman consacré à la lutte de ces deux immortels qui s’aiment, se haïssent, se combattent, mais ne peuvent finalement compter que l’un sur l’autre. Le récit est bien rythmé, avec seulement quelques temps morts où l’on a parfois l’impression de tourner en rond, à l’image de l’héroïne elle-même qui alterne entre des moments d’abattement et de soumission et d’autres de colère et de révolte. Paradoxalement, alors que le récit constitue une sorte de préquelle aux autres tomes de la série de science-fiction Patternist, l’aspect science-fictif du roman reste très léger puisqu’il se réduit finalement à ces questions de sélections génétiques (ainsi que, dans une moindre mesure, aux capacités d’Anyanwu d’analyser divers phénomènes biologiques). Le roman relève ainsi davantage de la fantasy ou du fantastique dans la mesure où les capacités hors normes des deux immortels peuvent s’apparenter à de la magie et où le cadre du récit se base sur le contexte historique du XVIIe-XVIIIe siècle, et c’est sans doute la raison pour laquelle j’ai apprécié l’histoire (je ne suis pas certaine que la suite de la série soit ma tasse de thé en revanche).
Roman introductif à la série de science-fiction « Patternist », « Mauvaise graine » est un roman qui relève ici davantage du fantastique et qui raconte le conflit opposant deux immortels, l’un cherchant à utiliser l’autre pour créer des individus de plus en plus puissants. Octavia Butler concentre une fois encore l’essentiel de son propos à la dénonciation des systèmes d’oppression dont sont victimes les femmes noires (l’esclavage constituant le paroxysme de cette oppression). Bien rythmé et porté par des personnages convaincants à la psychologie travaillée, le roman séduit aussi bien par les thématiques qu’il aborde que par l’angle original choisi par l’autrice pour le faire. Une belle découverte.
Autres critiques : ?

2 commentaires
Jean-Pierre
Une p’tite coquille : « et désireuse de l’éloignée de ses proches, »
tampopo24
J’ai eu l’impression d’avoir trouvé l’inspiratrice des Terres fracturées en la lisant.