Science-Fiction

L’anomalie

Titre : L’anomalie
Auteur : Hervé Le Tellier
Éditeur : Gallimard / Folio
Date de publication : 2020 / 2022

Synopsis : En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris-New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte. Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.

Un vol, deux avions

Récompensé en 2020 par le prestigieux Prix Goncourt, « L’anomalie » est un roman d’Hervé Le Tellier dont le pitch ne laisse que peu de place au doute concernant le genre dans lequel il s’inscrit : la science-fiction. Seulement, comme on est entre gens de bonne compagnie et qu’il est question ici de « vraie » littérature, le terme ne sera jamais employé pour parler du livre présenté comme un chef d’œuvre de la littérature blanche (« le roman, le grand, le vrai », nous dit-on sur la quatrième de couverture). Grande amatrice d’imaginaire, c’est avec curiosité que je me suis plongée dans ce roman de SF qui ne dit pas son nom, et, quoique globalement positif, mon bilan est malgré tout assez mitigé. Tout commence par une rencontre avec une dizaine de personnages successifs dont l’auteur brosse efficacement le portrait chapitre après chapitre. Si rien ne semble au premier abord relier le tueur à gage à l’écrivain maudit, l’avocate aux dents longues à l’architecte épris d’amour pour une jeunette, ni le chanteur à succès nigérien à la petite américaine passionnée par les batraciens, on comprend rapidement que toutes ces personnes possèdent pourtant un point commun : celui d’avoir embarqué au printemps 2021 dans un avion reliant Paris à New-York. Un avion qui a atterri en mars, mais qui vient également tout juste de se poser trois mois plus tard. Le même avion, avec les mêmes passagers, mais en juin et non en mars. Immédiatement c’est le branle-bas de combat : tous les scientifiques du monde sont mobilisés pour tenter d’analyser le phénomène et d’en comprendre l’origine, tandis que les passagers, désormais dotés d’une copie conforme parfaite, voient leur vie être totalement chamboulée.

Personnages convaincants, intrigue un peu moins

Des gens dupliqués, un avion qui déroge aux règles de l’espace et du temps : évidemment qu’on est là dans un roman de SF ! Le problème, c’est que le livre s’adresse visiblement à un lectorat peu connaisseur du genre, si bien que les amateurs et amatrices risquent d’être un peu déçus par le tour pris par l’intrigue. La palette d’options explorées par les scientifiques et les principales hypothèses retenues font en effet pale figure par rapport à celles, bien plus ambitieuses et cohérentes, que l’on peut trouver dans de nombreux romans de science-fiction, si bien que je n’ai pu m’empêcher d’être déçue. Si la première partie consacrée à la présentation des (très) nombreux personnages se révèle captivante, le deuxième tiers du roman comporte un sacré ventre mou qui m’a presque fait décrocher. On se lasse en effet assez vite de ces pages de rapports top secrets, de morceaux d’interviews, d’hypothèses scientifiques foireuses ou de chicaneries entre experts. Les personnages, le principal moteur du roman, sont désormais passés au second plan, alors que c’est au contraire sur leurs réactions que l’on souhaiterait que l’auteur s’attarde. Le dernier tiers corrige heureusement le tir et nous offre enfin quelques unes des scènes attendues, même si on ne peut s’empêcher d’être frustrés de voir certains personnages quitter la scène aussi rapidement. Le mystère, lui, reste entier, ce qui est finalement une bonne chose, et la dernière scène permet au roman d’acquérir plus d’épaisseur encore. Si j’ai donc apprécié ma lecture je ne peux toutefois m’empêcher d’être déçue par la façon dont l’intrigue a été traitée, l’auteur consacrant une place bien trop grande aux (vaines) tentatives d’explications du phénomène plutôt qu’aux conséquences pour ces personnages qu’il a mis si longtemps à nous présenter et qui sont finalement délaissés pendant une partie non négligeable de l’histoire.

Hervé Le Tellier signe avec « L’anomalie » un roman de science-fiction captivant dans lequel il imagine que les passagers d’un vol Paris-New York auraient atterri deux fois, l’une en mars et la seconde en juin, ce qui implique que chacun d’entre eux possède désormais une copie conforme de lui-même, mais à trois mois d’écart. Le principal point fort du récit réside dans ses personnages qui, bien que très nombreux, parviennent tous à émouvoir ou intriguer, et il est d’autant plus dommage que ces derniers soient délaissés dans la seconde moitié de l’ouvrage au profit de la recherche d’explications au phénomène. Une découverte sympathique, donc, mais loin d’être exceptionnelle.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

2 commentaires

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