Fantastique - Horreur

Requiem pour les fantômes

Titre : Requiem pour les fantômes
Auteur/Autrice : Katherine Arden
Éditeur : Denoël
Date de publication : 2024 (février)

Synopsis : Janvier 1918 : Laura Iven, après avoir été grièvement blessée, est revenue du front où elle était infirmière. Elle tente de retrouver sa vie d’avant à Halifax, au Canada, bien que son frère, Freddie, soit pour sa part resté dans les tranchées. Un jour, elle reçoit l’annonce de sa disparition, accompagnée de l’uniforme du jeune homme. Incapable de croire à la mort de celui-ci, Laura décide de repartir pour la Belgique. Novembre 1917 : Après une explosion, Freddie Iven reprend connaissance sous une casemate retournée, coincé dans le noir avec un soldat allemand. Tous deux désorientés, ils vont devoir unir leurs efforts pour survivre. Mais, une fois dans le no man’s land, leurs chances seront infimes. Freddie pourrait-il être encore en vie ? Laura parviendra-t-elle à découvrir ce qui lui est vraiment arrivé ? Et la rumeur selon laquelle les soldats qui le souhaitent oublieraient tous leurs souvenirs grâce à un mystérieux violoniste est-elle fondée ?

Plongée éprouvante au cœur de la Première Guerre mondiale

En 2019 paraissait « L’ours et le rossignol » de Katherine Arden, un roman qui a rapidement rencontré un grand succès qui s’est prolongé avec la sortie des deux autres tomes constituant la « Trilogie d’une nuit d’hiver ». Ayant adoré les trois volumes, c’est avec grand plaisir que je me suis lancée dans la lecture de ce nouveau one-shot consacré à un tout autre contexte puisque l’autrice nous plonge ici dans l’horreur de la Première Guerre mondiale. Tout commence avec une sœur et son frère. Laura Iven est une infirmière qui a servi sur le front jusqu’en 1917 où une grave blessure l’a obligée à être rapatriée au Canada. Hélas, la guerre se rappelle rapidement à la jeune femme qui se retrouve orpheline après la destruction d’une partie de la ville d’Halifax, ravagée par un incendie provoqué par des explosifs accidentellement déclenchés dans le port. Freddie, lui, sert dans les tranchées jusqu’à ce qu’il se retrouve après un énième assaut coincé sous une casemate retournée, en compagnie d’un soldat allemand. Leurs espoirs de survie sont minces, mais ils vont tout tenter pour parvenir à quitter l’enfer du front. Le roman alterne entre leurs deux récits qui, et c’est important, ne se déroulent pas au même moment, à quelques mois près. On va donc suivre en parallèle la lutte pour sa propre survie de Freddie fin 1917, et la quête de Laura début 1918 pour retrouver son frère que l’armée juge visiblement mort. Renvoyée sur le front aux côtés de deux autres femmes servant dans un hôpital situé au plus prêt des combats, la jeune femme va se retrouver à nouveau confrontée aux horreurs de la guerre, tout en suivant les maigres traces laissées par son frère. Des traces qui semblent mener à un être de légende peuplant les récits des soldats traumatisés qui évoquent un violoniste dont la musique serait capable d’envoûter irrémédiablement les hommes et de leur faire oublier non seulement les atrocités de la guerre, mais aussi tous leurs souvenirs.

Quand l’histoire rencontre le fantastique

Premier constat : Katherine Arden est aussi à l’aise pour se réapproprier le folklore russe que pour aborder l’une des périodes les plus tourmentées de notre histoire. Le roman brosse un portrait glaçant de la Première Guerre mondiale que l’on a l’occasion d’étudier ici sous divers aspects, et pas uniquement celui des combats dans les tranchées (prise en charge médicale, désertion, déconnexion de l’état major, poids de l’effort de guerre…). Le parcours de Laura permet ainsi d’aborder le sujet des conséquences du conflit sur les civils, tout en mettant en lumière le rôle joué par les femmes. L’occasion de rappeler que nombre d’entre elles ont aussi vécu les combats de prêts, notamment en tant que personnel médical, et qu’elles ont aussi été fortement impactées. Outre Laura, Katherine Arden met en scène plusieurs femmes n’ayant pas vécu la même expérience de la guerre mais qui partagent malgré tout la douleur d’avoir vu leurs proches décimés. L’autrice s’est de toute évidence beaucoup documentée sur la période et nous livre ainsi de nombreux détails passionnants sur la guerre, insistant sur la prise en charge concrète des soldats blessés, mais aussi les conditions de vie dans les tranchées et les traumatismes qu’elles engendrent, sans oublier les résistances et tentatives d’évitement de la part des soldats, usés par les assauts successifs et révoltés par l’inanité de certains des ordres qui leur sont donnés. Le roman n’est toutefois pas strictement historique puisque l’autrice va le pimenter d’une bonne dose de fantastique, incarnée par le personnage du violoniste. Une créature dont on devine très vite la nature, puisqu’il s’agit d’une figure emblématique du folklore occidental, mais que Katherine Arden replace ici dans un contexte peu commun, ce qui lui permet de se la réapproprier et de la dépoussiérer.

Récit addictif, personnages convaincants

La construction narrative du roman est aussi astucieuse dans la mesure où les récits du frère et de la sœur convergent vers un même point mais pas à la même vitesse, ce qui permet à l’autrice une confortable marge de manœuvre pour surprendre les lecteurices. L’alternance de point de vue sur de courtes périodes incite évidemment à poursuivre chaque fois un peu plus la lecture, d’autant que les cliffhangers sont fréquents. Le plus gros point fort du roman reste malgré tout ses personnages, à commencer par Laura, une jeune femme solide et capable, dotée d’un sang froid qui forge l’admiration mais qui a parfois du mal à laisser libre court à ses émotions. Freddie, lui, suscite immédiatement l’empathie de part la précarité de la situation dans laquelle il se trouve ainsi que pour la gentillesse et l’humanité dont il se révèle capable de faire preuve, y compris dans les situations les plus désespérées. Les autres personnages, eux, n’ont de secondaires que le nom, car Katherine Arden parvient à donner à chacun d’eux une personnalité convaincante et ne se limite pas à leur faire donner la réplique aux protagonistes. Le rôle de certains d’entre eux s’avérera ainsi déterminant dans le dernier tiers du récit qui nous offre une conclusion douce-amère qui convient parfaitement à l’ambiance du livre.

« Requiem pour les fantômes » est un one-shot écrit par l’autrice du roman à succès « L’ours et rossignol » qui nous propulse cette fois au coeur des combats de la Première Guerre mondiale aux côtés d’un frère en passe de se perdre et d’une sœur prête à tout pour le retrouver. Katherine Arden décrit ici avec un réalisme parfois insoutenable l’horreur à laquelle furent confrontés les soldats et le personnel médical sur le front et y ajoute une pointe de surnaturelle qui vient accentuer le sentiment d’avoir affaire à une triste farce d’une ampleur inégalée.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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