Convergence, tome 1 : Ni dieux ni monstres
Titre : Ni dieux ni monstres
Cycle/Série : Convergence, tome 1
Auteur/Autrice : Cadwell Turnbull
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2024 (mars)
Synopsis : Un triste mois d’octobre, Laina apprend la mort de son frère Lincoln, abattu par la police de Boston. Perdue dans son deuil, elle reçoit la vidéo du meurtre. La révélation est un choc : Lincoln était un lycanthrope et c’est sur un monstre qu’a tiré le policier. Les monstres existent. Et ils veulent que le monde le sache. Les événements s’emballent alors. Pour cette meute de loups-garous qu’on tente de faire taire. Pour ce professeur piégé par une société secrète, occulte. Pour ces personnes qui disparaissent sans laisser de traces. Pour cet enfant qui découvre ses pouvoirs. Pour ces manifestants à la conquête de nouveaux droits civiques.
…
Monstres cachés et sociétés secrètes
Qui sont les véritables monstres ? Depuis toujours récits, contes et légendes se sont penchés sur cette épineuse question avec des réponses bien différentes. Avec ce premier tome de « Convergence », Cadwell Turnbull a décidé d’apporter à son tour une pierre à l’édifice. Le roman adopte une forme narrative un peu particulière puisqu’il est composé d’un assemblage de portraits à priori indépendants dont on identifie seulement tardivement le ou les points communs. Tout commence par une jeune femme a qui on annonce la mort de son frère, abattu en pleine rue par la police. Ce n’est certes pas la première fois qu’un afro américain perd la vie suite à une interpellation, mais l’affaire prend un tour vraiment inattendu lorsqu’on livre à Laina la vidéo du meurtre de son frère. Vidéo qui révèle que le policer a ouvert le feu non sur un jeune homme, mais sur un lycanthrope. Très vite, la vidéo fait le tour du pays et en incite certains et certaines à révéler à leur tour leur lycanthropie, avant que le ménage ne soit fait et l’incident étouffé. On suit ensuite un universitaire fasciné par tout ce qui relève de l’occultisme et du complotisme et qui va être entraîné malgré lui dans une secte secrète. Et puis il y a Dragon, un enfant maintenu en captivité et doté d’un pouvoir extraordinaire. Il y a aussi cette meute composée de plusieurs jeunes femmes qui tentent tant bien que mal de surmonter leurs traumatismes. Et puis il y a ces deux sœurs, l’une évoluant dans la sphère de la politique et l’autre capable de se rendre invisible. Et puis, et puis, et puis… Vous l’aurez compris, le roman de Cadwell Turnbull comprend beaucoup de personnages, mais le cloisonnement de chaque récit permet dans un premier temps de ne pas trop s’emmêler les pinceaux et de bien cerner chacun d’entre eux, avant que les différents fils narratifs ne finissent par se rejoindre. J’ai trouvé la construction du roman un peu déroutante au début mais on finit par s’habituer à ce changement perpétuel de narrateur et même par apprécier ce côté un peu puzzle à reconstituer.
Famille et politique
L’auteur nous livre ici un récit très ancré à la fois dans son époque mais aussi dans le contexte propre aux États-Unis. La question de l’oppression des minorités et de la marginalisation de certaines populations est ainsi au cœur du roman qui met essentiellement en scène des femmes et des personnes racisées et ou queer. Le racisme est ainsi omniprésent et fait planer une atmosphère anxiogène, cette menace venant s’ajouter pour les protagonistes à celle que fait peser sur eux leur appartenance au rang des « monstres ». Les membres de la société secrète lancée à leur poursuite ressemble en effet par certains traits à un groupe suprémaciste à la KKK et prône l’élimination des non-humains qu’ils traquent avec des moyens pour le moins redoutables. Les relations intra-familiales sont également centrales, chaque histoire comportant son lot de conflits opposant tour à tour un père et sa fille ou des frères et sœurs, si bien que le roman prend souvent des allures de chroniques familiales. Les histoires intimes laissent cependant progressivement la place à un récit plus collectif à mesure que les protagonistes prennent conscience des nombreuses similitudes dans leur parcours et dans les discriminations qu’ils subissent, ce qui les incite à se coaliser pour lutter ensemble. L’ouvrage de Cadwell Turnbull est ainsi éminemment politique, sans pour autant que cet aspect ne prenne le pas sur la fiction qui reste le principal moteur du roman. On suit en effet avec curiosité le conflit de plus en plus ouvert qui oppose une société secrète qui en sait décidément long sur les créatures surnaturelles qui peuplent l’Amérique, et les créatures elles-mêmes, bien décidées à s’allier pour éviter d’être annihilées et désireuses d’être acceptées par la société. Certains personnages sont certes plus intéressants que d’autres, mais les chapitres finissent par s’enchaîner de telle façon qu’on passe rapidement de l’un à l’autre, ce qui donne du dynamisme à la narration. La scène finale qui vient clore ce premier tome fait office de coup de tonnerre et donne incontestablement envie de lire la suite, « Nous sommes la crise », justement paru il y a quelques semaines.
Cadwell Turnbull imagine dans « Ni dieux ni monstres » une Amérique fracturée dans laquelle des personnes non humaines (assimilées par une partie de la société à des monstres) vivaient jusqu’à présent en toute discrétion, avant que leur anonymat ne vole en éclat. Le roman met en scène plusieurs personnages, insistant sur leurs failles et les rapports conflictuels qu’ils entretiennent avec leur famille, mais le récit aborde aussi et surtout des questions très politiques (nécessité de s’organiser collectivement, dénonciation d’un racisme systémique et de la marginalisation de certaines communautés…). Difficile de ne pas être tenté de lire la suite.
Voir aussi : Tome 2
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls)
Un commentaire
Tachan
J’ai aussi beaucoup aimé le portrait de cette Amérique. L’écriture ciselée de l’auteur m’a rappelé les grands romans américains et beaucoup plu.