Polar - Thriller

Les sept morts d’Evelyn Hardcastle

Titre : Les sept morts d’Evelyn Hardcastle
Auteur/Autrice : Stuart Turton
Éditeur : Sonatine / 10-18
Date de publication : 2019 / 2020

Synopsis : Ce soir à 11 heures, Evelyn Hardcastle va être assassinée. Qui, dans cette luxueuse demeure anglaise, a intérêt à la tuer ? Aiden Bishop a quelques heures pour trouver l’identité de l’assassin et empêcher le meurtre. Tant qu’il n’est pas parvenu à ses fins, il est condamné à revivre sans cesse la même journée.

Agatha Christie, Downton Abbey et Un jour sans fin

« Mixez Agatha Christie, Downton Abbey et Un jour sans fin » Voilà comment l’éditeur présente le roman de Stuart Turton. Or, si je suis d’ordinaire plus que réservée concernant les comparaisons hasardeuses avec des œuvres considérées comme des classiques, force est de constater que, dans le cas présent, cela se justifie. Pour être honnête cela faisait bien longtemps que je n’avais pas eu un tel coup de cœur et qu’un roman ne m’avait pas autant captivé. Tout commence par un homme qui se réveille, seul et sans souvenir au milieu d’une forêt. Après avoir été témoin de ce qu’il pense être l’agression ou le meurtre d’une jeune femme, ce dernier finit par sortir du bois pour atteindre une vieille demeure anglaise, celle des Hardcastle. Là, il découvre qu’il est un invité de la famille possédant le château, mais sa mémoire continue de se dérober, ce qui le plonge dans une profonde détresse. Détresse qui va croître encore davantage lorsqu’il va véritablement saisir la raison de sa présence en ces lieux. A 23h ce soir, Evelyn Hardcastle, la fille des propriétaires, va être assassinée au cours du bal donné en son honneur. Cet événement lui est présenté comme inéluctable, de même que son rôle dans l’histoire : trouver le meurtrier dans le laps de temps très court qui lui est imparti, soit sept jours. Sept jours qui n’en sont en fait qu’un seul, car notre protagoniste est condamné à revivre sept fois la même journée, mais chaque fois en incarnant un invité différent. Charge à lui de récolter le plus d’indices possibles au cours de ses différentes incarnations et de reconstituer le puzzle avant que le cycle ne se répète à nouveau et qu’il ne reperde la mémoire. La mission s’avère d’autant plus difficile que, si le héros peut compter sur une poignée d’alliés, il a aussi un ennemi redoutable qui traque chacune de ses incarnations et tente de les éliminer avant qu’ils ne parviennent à en apprendre davantage sur l’histoire d’Evelyn et des Hardcastle.

Intrigue policière et boucle temporelle

Difficile de ne pas immédiatement faire le parallèle avec Agatha Christie pour le côté roman policier tant les deux auteurs partagent le même talent pour mettre en scène un meurtre et entretenir le suspens sur sa résolution jusqu’à la toute fin. L’intrigue de Stuart Turton est remarquablement ficelée, si bien qu’on ne peut s’empêcher d’être captivé par l’aura de mystère qui entoure ce drame bourré de rebondissements. L’auteur appâte astucieusement avec des révélations qui apportent toujours un éclairage différent sur l’histoire, tout en prenant soin de laisser de nombreuses questions en suspend. Impossible dans ces conditions de lâcher le roman une fois entamé, aussi est-ce typiquement le genre d’ouvrage capable de vous faire passer une nuit blanche sans même que vous vous en rendiez compte. Si l’intrigue policière est habilement orchestrée, les aspects du récit liés au surnaturel participent également à entretenir cette frénésie de lecture. L’auteur nous livre en effet ici une seule histoire mais que l’on va revisiter encore et encore sous un angle chaque fois différent, ce qui va nous permettre de jeter régulièrement un éclairage nouveau sur des événements déjà vécus. Le principe est grosso modo le même que dans « Le prisonnier d’Azcaban » avec Hermione et son retourneur de temps : le présent est affecté par des décisions prises par le personnage qui n’a pas conscience de les avoir prises dans le futur. Stuart Turton use encore et encore de ce ressort narratif pourtant extrêmement difficile à manier avec un brio qui suscite l’admiration. On est époustouflé par la capacité de l’auteur à sans arrêt retomber sur ses pattes en justifiant de façon cohérente et convaincante des événements jusqu’alors totalement inexplicables.

Secrets de familles, chantage, trahison et meurtres en série

Le charme du roman tient aussi à son ambiance à la « Downton Abbey », notamment de part le décor. On est vite oppressé par cette grande demeure anglaise isolée de tout et en état de délabrement avancé dans laquelle cohabitent des invités bourrés de rancune et possédant tous d’inavouables secrets. L’atmosphère est oppressante, le sentiment d’urgence permanent, et tout cela participe à rendre le mystère encore plus passionnant. D’autant qu’à cela s’ajoute plusieurs secrets de famille plus ou moins honteux et profondément enfouis refaisant surface, une histoire de maître chanteur, un bon nombre d’agression (voire d’autres meurtres), sans oublier plusieurs invités mystères en sachant visiblement bien plus sur la situation et que l’on peine tout du long à identifier comme des alliés ou des ennemis du protagoniste. Un cocktail explosif qui provoque une mise en tension permanente et instaure un climat d’autant plus inquiétant que les faux semblants et les masques tombent progressivement de partout, même là où on ne les attendait pas. Pourtant, en dépit du décor glauque, des violences subies par certains personnages, de l’ambiance étouffante qui règne dans la demeure des Hardcastle, on ne peut s’empêcher en tant que lecteur de s’amuser comme un fou ! Outre la jubilation de constater à quel point l’intrigue a été intelligemment ficelée, le plaisir de lecture provient également de la qualité avec laquelle sont évoqués les personnages.

Un héros, sept corps

Le protagoniste, à mesure qu’on en apprend davantage sur sa personnalité, ne tarde pas à susciter l’empathie, et ce d’autant plus qu’il lui faut chaque fois ré apprivoiser un nouveau corps, et surtout un nouvel esprit. Or les invités que notre héros se doit d’incarner sont loin d’être des anges, et l’auteur parvient à décrire avec beaucoup de talent là encore les conflits intérieurs du personnage, partagé entre sa propre personnalité et celle de son hôte avec lequel il est forcé de cohabiter pour la journée. Les personnages secondaires correspondent souvent aux stéréotypes des personnages de romans policiers de ce style (le major d’homme, le banquier, l’amie de la famille, la bonne, les membres d’une bonne famille bourgeoise rongée par les rancœurs…) et font à ce titre presque figure d’hommage au genre. Si tous ne bénéficient pas d’un traitement particulièrement détaillé, cela ne nuit en aucun cas à l’implication du lecteur tant on est obnubilé par l’idée de lever le voile sur les secrets que cachent chacun d’entre eux, et de déterminer lequel peut bien avoir un lien avec la mort d’Evelyn Hardcastle. L’auteur distille ses révélations à petite dose, presque au goutte à goutte, et chacune va permettre de mieux cerner tel ou tel personnage et de comprendre les raisons de sa présence à cette étrange fête qui a en fait tout d’une mascarade. La résolution de l’énigme est pour sa part tout à fait satisfaisante, alliant surprises, cohérence et élégance. L’auteur se permet de jouer avec son lecteur jusqu’à la toute fin, et c’est avec plaisir qu’on découvre à quel point on a pu se laisser berner tout au long du récit, tout en voyant malgré tout certaines hypothèses se vérifier. On referme le roman avec un mélange de soulagement (d’avoir enfin toutes les réponses), de nostalgie (de quitter une histoire aussi palpitante) et d’envie (celle de se reprendre la lecture depuis le début à l’aulne de ce que l’on sait désormais pour pouvoir apprécier tous les indices savamment distillés par l’auteur dès la première page).

Dans « Les sept morts d’Evelyn Hardcastle », Stuart Turton met en scène un homme condamné à revivre une même journée par le biais de plusieurs incarnations jusqu’à ce qu’il soit parvenu à résoudre le meurtre d’une jeune femme, assassinée à l’occasion d’une fête en son honneur par un invité dans une demeure anglaise coupée du monde. Véritable coup de coeur, le roman se révèle être un page-turner redoutablement efficace doté d’une intrigue incroyablement complexe et élégante, jouant aussi bien avec les codes du roman policier qu’avec ceux de la SF. A lire absolument, et à mettre obligatoirement sous le sapin !

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

Un commentaire

  • belette2911

    Coucou, je l’avais lu à sa sortie et j’avais eu beaucoup de mal à entrer dans le premier chapitre, tant je ne captais pas… et puis, fiat lux et à partir de ce moment là, j’ai eu du mal à décrocher du roman. Il était génialissime et bien mis en scène.

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