Racines
Titre : Racines
Auteur : Lou Lubie
Éditeur : Delcourt
Date de publication : 29/05/2024
Synopsis : On n’est jamais content de ses cheveux : Rose, qui a les cheveux crépus, rêve de les avoir lisses. Pour se conformer aux normes sociales, elle sera prête à tout, quitte à gommer son identité métissée. Entre enquête de société et récit de vie, une BD riche et touchante qui parle de sexisme, de racisme, d’héritage et d’acceptation de soi.
« Maman, est-ce que je pourrais me lisser les cheveux pour aller au collège ? Hmm on verra. […]
Les filles populaires de mon collège avaient plein de raisons d’être cool. Ça ne pouvait pas être une coïncidence qu’elles soient toutes des zoreils aux cheveux lisses ! »
Bon, ce n’est de pas de gaieté de cœur qu’un chauve doit vous rapporter une sombre histoire capillaire. Mais bon, j’pas le choix. Issue de la sélection du prix Fnac-France Inter pour laquelle votre serviteur s’est vu confier la difficile tâche de membre du jury (cooool, ça fait tout plein de BD gratis !) et auréolée de son prix des lecteurs Ouest France – Quai des Bulles 2024, Racines est le nouvel album de Lou Lubie, qui s’est fait notamment connaître avec Comme un oiseau dans bocal ou Goupil. Le bouquin a été l’objet d’un beau travail éditorial de la part de Delcourt avec un papier plutôt agréable pour le dedans, et une très jolie couverture pour l’extérieur, de par l’illustration, mais aussi par son rendu texturé « cheveux frisés » du plus bel. Assez marrant à observer sous la lumière d’ailleurs.
Une histoire tirée par les cheveux?
Dès l’entame, on se rend vite compte que Racines est loin d’être une histoire purement capillaire. Sous couvert d’autobiographie d’ailleurs très intéressante puisqu’elle raconte son parcours de créole réunionnaise jusqu’à l’hexagone depuis l’enfance à l’âge adulte, Lou Lubie aborde toute une ribambelle de thématiques à travers une histoire de texture et de coupes de cheveux : racisme, place de la femme dans la société, discrimination en général, colonialisme vulgarisation scientifique, sociologie avec des références nombreuses. Racines, c’est une histoire qui prête autant à sourire qu’elle est parfois tragique dans la construction de la jeune Lou Lubie. C’est très bien écrit. Je reprocherais peut-être, à limite, de peut être trop s’appesantir sur le contenu biologique. J’aurais pu dire scientifique, mais la partie sociologique et statistique est vraiment passionnante.
Un style tout doux pour une histoire dure
Côté dessin, ce n’est peut être pas le style dessin que j’apprécie le plus mais… Non en vrai j’ai beaucoup aimé la partie graphique, c’est joli, relativement fin et coloré. Sans parler d’originalité, c’est très réussi, avec des parties plus scientifiques qui ne sont pas sans me rappeler les Tu mourras moins bête de Marion Montaigne. Les décors ne sont forcément ce qu’on trouve de plus détaillé, à vrai dire je n’en ai même plus trop en tête, mais c’est encore une manière de garder l’attention du lecteur. C’est gagné puisse je n’ai pas lâché l’album avant de l’avoir terminé.
Un récit de société
Enfin, si l’autrice est elle-même le centre du récit, on en rencontre pas moins d’autres personnages intéressants, notamment la mère de celle-ci, dont les pratiques capillaires ont bien longtemps marqué sa fille. Pratiques qu’elle même tenait de sa mère, et ainsi de suite, ce qui permet l’apport de tout un tas de références sociologiques, comme mentionné plus haut, et statistiques, qui sont vraiment très intéressantes en ces temps de débats à l’Assemblée Nationale sur les discriminations capillaires. J’étais loin de me douter que ce sujet avait été autant traité. Il est d’ailleurs passionnant de voir comment l’autrice elle-même a évolué dans son cheminement capillaire, et vis-à-vis de ses racines culturelles et géographiques (oui, il était temps de dire que les racines, ici, ce n’est pas que des cheveux sur un crâne). D’une volonté de cacher au maximum cette chevelure africaine pour se fondre dans le moule pendant l’enfance, au quasi-combat pour l’afficher comme essentielle aujourd’hui. La naissance de cet album étant sans doute l’aboutissement de cette quête de construction identitaire.
Dans Racines, Lou Lubie se livre. Par le prisme de son expérience personnelle, l’autrice donne à voir à son lecteur la difficulté de la situation de la femme sous un aspect bien méconnu. Passionnant.
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