Science-Fiction

Abysses

Titre : Abysses
Auteur : Frank Schätzing
Éditeur : France Loisir / Pocket
Date de publication : 2007 / 2024

Synopsis : Des bancs de méduses toxiques envahissent les plages d’Europe. Des millions de vers étranges s’agglutinent au large de la Norvège. Des baleines attaquent les touristes sur la côte canadienne. Et si ces calamités étaient liées ? C’est ce qu’affirment un biologiste norvégien et une poignée de chercheurs originaires des quatre coins du monde, sans réussir à se faire entendre. Jusqu’au jour où un gigantesque tsunami menace de tout ravager…

-Les baleines pilotes s’échouent toujours dans les mêmes baies. Dans les îles Féroé, les pêcheurs les chassent par groupes entiers et les massacrent à coup de barre de fer. Et regarde au Japon, à Futo, où ils font la même chose avec les marsouins. Ces animaux savent depuis des générations ce qui les attend. Pourquoi reviennent-ils toujours ?
-Ce n’est sûrement pas le signe d’une intelligence exceptionnelle, commenta Ford. D’un autre côté, chaque année, malgré tout ce que nous savons, nous continuons à envoyer des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et à déforester les forêts tropicales. Ce n’est pas non plus la marque d’une intelligence exceptionnelle, si ? 

L’apocalypse par la mer

1232. C’est le nombre de pages que comptabilise le roman de l’auteur allemand Frank Schätzing précédemment édité sous le titre « L’essaim » par France Loisir et qui vient de faire l’objet d’une réédition chez Pocket. Un pavé, donc, qui mêle habilement sciences et écologie, le tout à la sauce thriller. Tout commence par une succession d’anomalies touchant des espèces vivant dans nos océans. Un biologiste norvégien est par exemple confronté à la prolifération massive de vers inconnus attirés par le méthane et pouvant potentiellement menacer l’installation d’un nouveau site pétrolier en mer du nord. Les côtes sud américaines se voient pour leur part assaillies de méduses particulièrement toxiques, obligeant les touristes à fuir les plages et renoncer à toute idée de baignade. Il y a aussi ces inquiétantes disparitions de plus en plus fréquentes de petites embarcations qui ne donnent plus signe de vie, et ce alors même que les conditions météo étaient favorables lorsqu’elles ont pris la mer. Et puis il y a les baleines qui, à cette époque de l’année, se retrouvent massivement sur les côtes canadiennes où elles font pendant quelques semaines le bonheur des touristes avant de poursuivre leur migration. Seulement cette fois, baleines, orques et autres mammifères marins se font attendre. Et, lorsqu’elles finissent par pointer le bout de leur nez, leur comportement n’a plus rien à voir avec celui des géantes paisibles que l’on connaît. Les voilà en effet qui se mettent à attaquer les bateaux, et qui plus est de manière concertée, causant ainsi d’énormes ravages, y compris sur de gros navires qui n’ont jamais eu à essuyer d’attaques de ce type. La mer est alors peu à peu désertée par les humains qui ne peuvent plus s’y aventurer sans risque. Mais il est évidemment hors de question pour les grandes puissances mondiales de laisser tomber l’exploitation pétrolière ou le commerce maritime, sans oublier qu’une bonne partie de notre réseau de communication à l’échelle mondiale passe par des câbles sous-marins. Dès lors, il convient de mettre à contribution tous les plus grands scientifiques du monde pour réfléchir à la nature de ces anomalies et à la meilleure manière de permettre à l’humanité de retrouver la maîtrise des océans. Et le temps presse, car les attaques sur les navires, pour mortelles qu’elles soient, ne sont rien en comparaison du gigantesque tsunami qui menace désormais le littoral européen.

Un bon page-turner très bien documenté

Le roman de Frank Schätzing est efficace, c’est indéniable. On est très vite happé par la description de cette succession d’anomalies et on prend beaucoup de plaisir à réfléchir au fil des pages à des hypothèses plausibles pour expliquer leur origine. La crainte d’une théorie farfelue et décevante est rapidement écartée par l’auteur qui a au contraire mis au point une solution à la fois simple et élégante pour expliquer tous ces phénomènes anormaux. Par souci de réalisme et pour donner davantage de poids à son message, l’auteur s’est évidemment doté d’une documentation solide, et ce dans quantité de domaines scientifiques, forçant ainsi l’admiration du lecteur. On apprend par conséquent énormément de choses sur la vie des océans, les fonds marins, les bactéries qui y pullulent, le comportement des animaux, la formation des tsunamis… C’est passionnant, même si (comme c’est mon cas) on possède peu de connaissances scientifiques, et ce parce que l’auteur vulgarise merveilleusement bien son propos. Par le biais d’analogies, de simplifications ou de métaphores, les personnages sont passés maîtres dans l’art d’expliquer les subtilités de leur discipline aux non initiés, et cela fonctionne relativement bien. Malgré tout, le roman reste très dense, et il n’est pas toujours facile de suivre le déroulement de la pensée des scientifiques réuni.es autour de la table. C’est là que réside à mon sens le principal bémol du roman qui aurait sans conteste bénéficié d’un allégement afin d’être plus digeste. 1200 pages, c’est long et, si on est la plupart du temps pris dans le feu de l’action et captivé par le mystère entourant ces perturbations sous-marines, il y a aussi plusieurs moments où on aimerait voir les choses s’accélérer un peu. Bien que louable, le souci de réalisme et de précision de l’auteur a en effet pour conséquence de ralentir considérablement l’intrigue, si bien que la description des anomalies à elle seule prend près de quatre cent pages ! Alors oui, c’est souvent passionnant, mais un petit coup d’accélérateur n’aurait pas été de trop.

Quand thriller rime avec écologie

Outre l’ampleur de la documentation réunie, le roman marque aussi profondément par la teneur du message qui sous-tend tout le récit. Un message évidemment écologiste et qui a ici d’autant plus de poids que le scénario du pire imaginé par l’auteur se base sur des fondements scientifiques solides, et donc paraît d’autant plus crédible. Si le roman adopte des allures de page-turner à certains moments, c’est d’ailleurs en partie à cause de ce malaise qui finit par ne plus quitter le lecteur et qui provient de la prise de conscience que les océans en général, et les abysses en particulier, sont en fait des milieux que nous ne connaissons pas si bien que cela, et que des dangers inattendus pourraient très bien s’y tapir. Cette nervosité permanente est l’un des principaux moteurs du récit, notamment dans la première moitié, alors que le mystère qui entoure les anomalies reste entier. L’ambiance change légèrement dans la deuxième partie du roman, une fois que la théorie avancée par l’un des scientifiques a été adoptée et qu’on commence à cerner l’origine du problème. Les explications techniques deviennent alors encore plus poussées et plus nombreuses, ce qui, personnellement, a fini par me pousser à sauter certains passages trop pointus (sans que cela ne gêne en rien la compréhension, ce qui est tout de même le signe que certains détails scientifiques sont clairement en trop). La tension là encore savamment entretenue par l’auteur permet cela dit de maintenir l’intérêt du lecteur en éveil, et ce d’autant plus qu’à celle née de la menace venue des océans s’ajoute désormais celle liée à des enjeux bien plus humains. Le roman se transforme en effet en huis-clos réunissant scientifiques, espions et militaires à bord d’une gigantesque embarcation, chacun cachant son jeu et cherchant de toute évidence à atteindre des objectifs très différents.

On a beau tirer la sonnette d’alarme, personne ne nous écoute vraiment. Parce que les grands groupes sont les nouveaux commanditaires de la recherche. Si nous nous baladons par ici, tous les deux, c’est parce que Statoil a trouvé un ver. Formidable ! C’est l’industrie qui paie les chercheurs, puisque l’État n’a plus d’argent. Mais la recherche fondamentale, ils ne connaissent pas. Ils considèrent ce ver non pas comme un sujet de recherche, mais comme un problème qu’il faut éliminer. Ce qu’on nous demande, c’est de la recherche orientée, et pour délivrer un blanc-seing.

Une large galerie de personnages

Toutes ces tensions accumulées, il fallait évidemment qu’elles finissent par éclater, aussi le dernier tiers de l’intrigue s’apparente-t-il davantage à un film d’action à base de double-jeu, de trahisons, d’arme à feu dégainée à tout va et de course contre la montre. Là encore on se prend assez facilement au jeu même si on ne peut se départir de l’idée que le plus terrible a finalement déjà eu lieu dans la première partie qui comporte bon lot de scènes spectaculaires emplissant le lecteur d’un mélange de terreur et de fascination pour l’océan et les créatures qui y vivent (clairement, vous ne verrez plus jamais les orques et les baleines de la même façon !). Dans ces circonstances, il ne me paraît guère surprenant que le cinéma se soit emparé de l’histoire et ait tenté de proposer une adaptation (pas encore vue, mais ça ne saurait tarder). Reste à aborder la question des personnages qui restent pour moins le second point faible du roman, sans pour autant pouvoir être qualifiés de complètement décevants. L’auteur prend en effet la peine de soigner la psychologie de ses personnages, du scientifique norvégien au spécialiste des baleines canadien, en passant par le militant écologiste, la journaliste scientifique ou encore l’espionne ayant l’oreille du président des États-Unis. Malgré tout, rares sont celles et ceux auxquel.les je me suis véritablement attachée. Et ce n’est pourtant pas faute de la part de l’auteur de tenter de provoquer cet attachement par le biais de scènes plus intimes dévoilant là une vulnérabilité, là un fantôme du passé, ou là les prémisses d’une relation amoureuse. Le problème, c’est que, l’ouvrage étant déjà fort conséquent, ces scènes s’apparentent pour le lecteur à des digressions. Des digressions parfois intéressantes, mais qui finalement n’apporteront rien à l’intrigue à laquelle on ne peut s’empêcher d’être pressé de retourner. Suivre des personnages sur un nombre aussi important de pages n’est toutefois pas anodin, si bien qu’en dépit du manque d’attachement initial, on ne peut s’empêcher d’être touché par le sort tragique réservé à certains d’entre eux dans la conclusion.

Avec « Abysses », Frank Schätzing signe un thriller écologique puissant qui marque par la solidité et l’abondance de la documentation scientifique réunie pour renforcer la cohérence du scénario catastrophe mis en scène. Au fil de l’intrigue, le roman évolue et passe par plusieurs ambiances qui possèdent toutes leur charme et permettent à l’attention du lecteur de ne pas décroître. L’ouvrage aurait toutefois mérité d’être quelque peu allégé, notamment en ce qui concerne les explications techniques qui, si elles sont remarquablement vulgarisées, n’en demeurent pas moins trop nombreuses. Malgré tout, cela ne suffit pas à gâcher le plaisir que l’on prend à la lecture de cette apocalypse maritime qui, paradoxalement, est aussi et surtout une belle déclaration d’amour à l’océan et ses habitants qui sont encore loin d’avoir révélés tous leurs secrets.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

2 commentaires

  • Tachan

    Je comptais le lire cet été mais j’ai reculé devant le nombre de pages, j’avoue. Mais tu as l’air de dire que ça vaut largement le coup malgré quelques longueurs entre les thèmes et le dynamisme de l’intrigue. Noté 😉

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