Science-Fiction

La Geste d’Hamlet Evans

Titre : La Geste d’Hamlet Evans
Auteur : Rafael Marin
Éditeur : Argyll
Date de publication : 2024 (août)

Synopsis : En cette ère glorieuse du Troisième Moyen Âge, une partie de l’humanité végète sur la vieille Terre tandis que les vaisseaux de la puissante Corporation conquièrent de nouvelles planètes. À bord des navires, les poètes officiels composent des poèmes épiques relatant ces exploits guerriers, dûment embellis, exaltés et… déformés. Hamlet Evans a été l’un de ces poètes, jusqu’à ce que la Propagande lui apparaisse dans sa cruelle vérité et qu’il choisisse la désertion et la liberté. Tour à tour mendiant, paysan, comédien ou clown, il est pourchassé par les meilleurs traqueurs de la Corporation. Voici son histoire, racontée avec ses mots, comme vous ne la trouverez jamais dans les registres officiels.

La guerre, je l’ai compris, était un flanc ouvert où brûlait l’enfer, une plaie purulente sillonnée par un millier de démons. La guerre était un feu de sang qui se répandait en profondeur. (…) La guerre c’était l’acier trempée, la poussière et la crasse coincées dans les poumons, dans le cœur, dans l’esprit. Bruit contre bruit, soif de tuer et goût de la chair. Tout cela, c’était la guerre, et l’horreur allait encore plus loin. L’agonie, la destruction, le sang. C’était cela, et j’étais là pour le chanter. 

De la SF venue d’Espagne

A l’approche de la rentée, les éditions Argyll nous proposent de nous plonger dans de la science-fiction espagnole, avec le premier roman traduit en français de Rafael Marin et considéré en Espagne comme un classique du genre. Le roman se déroule dans un futur très lointain dans lequel les humains sont parvenus à coloniser de nombreuses planètes et poursuivent inlassablement leur expansion, exterminant ou asservissant toutes les espèces rencontrées. Dotée d’une force armée surpuissante, la Corporation déploie ses troupes partout dans l’univers et impose sa loi sur le moindre bout de caillou habitable. C’est dans ce contexte que l’on fait la rencontre d’Hamlet Evans, un jeune terrien rêvant de devenir poète et qui va être sélectionné pour intégrer le prestigieux Monastère chargé de la formation des futurs écrivains qui serviront ensuite dans l’un des nombreux vaisseaux militaires responsables des nouvelles conquêtes ou de la pacification du territoire déjà conquis. Car la Corporation a besoin d’une propagande efficace pour garantir la docilité des populations sous son autorité, et pour donner du courage à ces milliers de soldats qui donnent chaque jour leur vie pour la gloire de l’empire. Un projet avec lequel Hamlet Evans est en désaccord profond, ce qui va le pousser à rompre son contrat. Dès lors traqué par la Corporation, qui ne supporte pas le plus petit acte de rébellion, le poète résistant va arpenter différentes planètes qui lui feront découvrir de nouvelles facettes de l’empire qu’il servait, mais aussi de son art auquel il n’a jamais pu renoncer. L’idée de transposer le vocabulaire et l’esthétique du Moyen âge, avec ses ménestrels et ses troubadours, à un décor de space-opera est originale et astucieusement mise en œuvre par l’auteur dont on comprend sans mal la popularité de l’autre côté des Pyrénées où il est considéré comme un auteur majeur de la SF. « La geste d’Hamlet Evans » est en effet un superbe roman offrant un subtile mélange d’aventure et de réflexion, et surtout porté par un personnage inoubliable.

Dire et dénoncer la guerre

Si l’ouvrage possède en effet de nombreuses qualités, aucune n’égale celle de son protagoniste qui endosse ici le rôle de narrateur à posteriori. La construction narrative pour laquelle a opté l’auteur est d’ailleurs intéressante dans la mesure où elle nous informe dès le premier chapitre que le héros est pourchassé par la Corporation, avant d’opérer un retour en arrière pour nous faire comprendre comment Hamlet est en arrivée à cette situation. On s’attache très vite à ce poète qui porte un regard extrêmement lucide sur lui-même, ne cherchant pas à cacher ou édulcorer ni ses failles ni ses biais, et c’est cette intégrité et cette humilité qui séduit en premier lieu le lecteur (ainsi que, il faut le reconnaître, sa soif de connaissance et son amour pour la littérature). Le regard de plus en plus critique que le poète porte sur la Corporation et sa politique expansionniste renforce également la sympathie qu’on lui porte, et ce d’autant plus qu’il évolue dans un environnement dans lequel très peu de personnes sont capables de prendre suffisamment de recul pour dénoncer l’absurdité de cette guerre sans fin ou ses atrocités. Certes, tout le monde ne porte pas la Corporation dans son coeur, et Hamlet sera amené à rencontrer au cours de son expérience de poète officiel plusieurs individus désireux de résister à l’empire, mais cette résistance paraît toujours vaine, et la victoire du plus fort inéluctable, ce qui en incite beaucoup à se soumettre et à refuser de se poser des questions. Pour cette raison, le roman se révèle profondément mélancolique, le seul aspect l’empêchant de sombrer totalement dans le désespoir résidant dans la réflexion portée conjointement par le personnage et l’auteur sur le rôle subversif de l’art. Poésie, théâtre, cirque : Hamlet va être confronté à plusieurs formes d’arts qui lui offrent chaque fois l’occasion de réfléchir à ce qu’ils peuvent apporter à l’individu et à la société. Plusieurs poèmes rédigés par le protagoniste parsèment ainsi le roman (chapeau à Sylvie Miller pour la traduction !), de même qu’il y est question de représentations théâtrales, mais aussi de numéro de clown ou de trapèze tous très émouvants.

-Je ne suis même pas sûr d’être un bon acteur.
-Pourquoi pas ? Nous le sommes tous, à des degrés plus ou moins élevés. Ce que tu n’es pas, c’est un acteur de métier. Tout le monde est acteur, comme tout le monde est poète, musicien, meurtrier ou tyran. Il suffit d’en avoir l’occasion.

Une belle galerie de personnages

Notre héros va être amené à rencontrer au cours de son errance de nombreux personnages qui constituent une galerie de seconds rôles remarquables. Qu’ils soient sympathiques ou détestables, tous sont convaincants et certains tellement touchants qu’ils laisseront une marque indélébile dans la mémoire du lecteur, à l’image du protagoniste qu’on ne se résout à quitter qu’avec regret. L’intrigue, elle, est toute aussi maîtrisée, pleine de surprises, de nouveaux décors à explorer et de dangers inattendus. Que ce soit en tant que poète chargé de chanter la gloire des combattants de la Corporation ou comme fugitif, le personnage est en effet amené à voyager sur plusieurs planètes, rencontrer d’autres espèces intelligentes, et surtout mesurer ce qu’il en coûte de s’opposer à l’empire qui dispose de bien d’autres leviers que la simple force brute pour imposer sa loi. Le seul bémol que j’aurai à formuler concernant le roman concerne les scènes mettant en scène la sexualité de certains personnages qui sont parfois assez gênantes et n’apportent finalement pas grand-chose au récit. Il ne s’agit toutefois que de passages ponctuels qui ne sauraient gâcher le plaisir pris par ailleurs au cours de la lecture. Lecture d’autant plus plaisante que Rafael Marin possède une plume remarquable, capable de se faire oublier lorsque c’est nécessaire ou au contraire de s’imposer lors de passages plus lyriques, plus intenses. L’ouvrage se révélant être un magnifique plaidoyer contre la guerre et pour l’affirmation de l’art comme un acte de résistance, la force de son message n’en est ainsi que renforcée.

Premier roman traduit en France de l’auteur espagnol Rafael Marin, « La geste d’Hamlet Evans » est un roman remarquable qui met en scène l’errance d’un poète rebelle dans le vaste univers sur lequel règne un empire en permanente expansion. Intrigue habilement construite et impeccablement rythmée, personnages inoubliables, réflexion profonde sur le sens de la guerre ou encore de l’art, le roman est une véritable perle qui ravira sans aucun doute les amateurs de space-opera, et même les autres (la preuve, il s’agit là d’un sous-genre de l’imaginaire pour lequel je n’ai d’ordinaire que peu d’intérêt). A découvrir absolument !

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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