Les cités divines, tome 1 : La cité des marches
Titre : La cité des marches
Cycle/Série : Les cités divines, tome 1
Auteur/Autrice : Robert Jackson Bennett
Éditeur : Albin Michel
Date de publication : 2024 (janvier)
Synopsis : Autrefois puissante cité divine capable de conquérir et d’asservir les peuples établis à sa proximité, Bulikov est tombée. Ses dieux protecteurs ont été exterminés par un chef de guerre venu de Saypur. Et une mystérieuse catastrophe a eu lieu dans la foulée : le Cillement. Soixante-dix ans plus tard, Bulikov n’est plus que l’ombre d’elle-même. Restent toutefois visibles, çà et là, certains vestiges des miracles qui l’ont façonnée, notamment d’immenses escaliers brisés qui ne relient plus la terre aux cieux. Quand un célèbre historien est assassiné, le ministère des affaires étrangères envoie en territoire occupé une de ses meilleures espionnes : Shara Thivani. Se présentant comme une humble diplomate, la jeune femme découvre l’étrange cité des marches et commence son enquête. Mais sa tâche devient très vite compliquée et dangereuse, car elle touche un domaine des plus sensibles : le passé divin du Continent. Un passé proscrit, que nul n’a le droit d’évoquer.
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Mission spéciale dans une ville sous occupation
Robert Jackson Bennett est décidément un auteur qui a le vent en poupe. Après plusieurs sorties remarquées en fantasy (« Les Maîtres enlumineurs ») mais aussi en SF (« Vigilance ») et en fantastique (« American Elsewhere »), les éditions Albin Michel se sont lancées dans la traduction d’une autre de ses trilogies de fantasy. Imposant, le premier tome met en scène un monde dans lequel une ancienne nation colonisée (Saypur) est parvenue à se libérer de ses chaînes et à coloniser à son tour l’empire qui l’avait asservie (le Continent). Plusieurs décennies ont passé, et la ville de Bulikov, autrefois puissante et majestueuse, reste en grande partie un immense champ de ruine. En cause le Cillement, un événement sans précédent ayant provoqué la disparition de pans entiers de la cité suite à la disparition d’une de ses divinités tutélaires. Car, contrairement à Saypyur, l’ancien empire possédait un panthéon de dieux et déesses vivant aux côtés de leurs fidèles et disposant de pouvoirs extraordinaires. Des pouvoirs capables de générer des miracles de toute sorte qui ont permis au Continent de s’étendre et de bénéficier d’une supériorité écrasante sur ses ennemis. Du moins jusqu’à ce que le Kaj, héros saypurien, ne trouve une arme capable de venir à bout des divinités. Désormais, les miracles et toute mention aux anciens cultes à l’histoire même du continent sont strictement interdites, ce qui n’empêche pas les citoyens de Bulikov d’aspirer à retrouver leur splendeur passée et de se montrer extrêmement hostiles envers l’administration saypurienne en charge de la ville. C’est dans ce contexte pour le moins explosif que déboule notre héroïne, Shara, descendante du Kaj et officiant sous couverture en tant qu’agente des services de renseignements saypuriens. Son objectif est simple : trouver qui est l’origine du meurtre d’un universitaire à priori tout à fait inoffensif venu compiler des informations sur l’histoire du continent. Le problème, c’est qu’elle va tomber dans un véritable panier de crabes et mettre la main sur des informations qui vont totalement remettre en cause la version officielle de l’histoire.
Un blockbuster efficace
Si cette « introduction » se révèle dans l’ensemble moins bluffante que le premier tome des « Maîtres enlumineurs », elle reste tout de même de bonne facture. L’auteur nous plonge dans un univers de fantasy cohérent et plutôt dense avec lequel on se familiarise à mesure que l’on reconstitue les bribes d’événements évoqués par les personnages. Ce n’est certes pas la première fois que le thème de la colonisation est abordée en fantasy, mais ce n’est pas non plus très fréquent ce qui n’est pas sans donner au roman une certaine fraîcheur. La réflexion reste cela dit assez superficielle, le roman ayant manifestement davantage été pensé comme une sorte de blockbuster littéraire (et je ne considère pas que c’est forcément un défaut) davantage que comme un instrument de réflexion (même si certains passages posent des questions intéressantes) . On a ainsi avant tout affaire à un bon roman d’aventure, avec des énigmes qui s’accumulent, des scènes d’action spectaculaires, le tout agrémenté d’une bonne dose de surnaturel. L’avantage avec la littérature, c’est que le budget est illimité, et Robert Jasckson Bennett l’a bien compris puisqu’on retrouve ici la même folie des grandeurs que dans sa précédente trilogie, avec des scènes d’affrontement impressionnantes opposant des humains ordinaires à des forces d’une puissance sans commune mesure. Shara n’est toutefois pas une héroïne totalement démunie puisqu’elle a à son actif plusieurs années d’expérience dans l’espionnage et qu’elle possède une solide expérience de la magie du contient, qu’elle a passé la dernière décennie à explorer. Elle peut également compter sur son acolyte, un colosse taiseux capable de venir à bout d’une petite armée à lui tout seul. Là encore, on peut regretter la superficialité de la personnalité de certains personnages ou leur côté un peu caricatural, mais ils restent globalement satisfaisants chacun dans leur genre. Mulagesh, par exemple, joue parfaitement son rôle de militaire blasée mais redoutablement efficace tandis que Vohaness, ancien petit-ami devenu politique influent à Bulikov, permet d’introduire une autre thématique centrale dans le roman, celle de l’homophobie et, plus largement, des discriminations (sujet déjà au coeur de sa précédente trilogie)
Aventure, magie et politique
Le roman est ainsi traversé par des questionnements indéniablement politiques qui ne constituent pas le cœur de l’intrigue mais en sont une composante non négligeable. Le sujet se manifeste notamment par le biais de l’opposition entre deux partis à Bulikov, un parti progressiste qui ne veut pas s’appesantir sur le passé et entend collaborer avec Saypur pour redresser économiquement le continent, et un parti réactionnaire qui entend redonner à la ville sa splendeur passée et remettre la population dans le droit chemin en promouvant un ordre moral extrêmement illibéral. Les deux visions peuvent paraître caricaturales (d’autant qu’elles s’accompagnent de la sempiternelle opposition magie VS technologie qu’on retrouvait là encore dans sa précédente œuvre de fantasy), mais l’auteur parvient à y introduire de la nuance et ainsi à mieux surprendre les lecteurices. L’intrigue prend en effet parfois des directions surprenantes, notamment dans la première moitié dans laquelle on met un certain temps à cerner où on est en train de mettre les pieds. Le récit donne alors un peu l’impression de partir dans tous les sens, l’enquête initiale passant très vite au second plan compte tenu d’une succession permanente d’événements plus urgents auxquels Shara est confrontée. La deuxième moitié paraît mieux structurée dans la mesure où on comprend désormais mieux les enjeux, mais cela s’accompagne d’une plus grande prévisibilité des rebondissements. Deviner où l’auteur veut nous emmener n’empêche pas de profiter du voyage, mais celui se fait légèrement trop long sur la fin qui n’est pas totalement satisfaisante (notamment parce qu’une partie des explications que l’on attendait depuis le début nous sont finalement données assez maladroitement).
« La cité des marches » est un premier tome prometteur dans lequel on retrouve bien la patte de Robert Jackson Bennett qui possède un véritable talent pour faire naître des univers complexes et convaincants dans lesquels évoluent toujours des personnages loin d’être irréprochables, et, pour cette raison, particulièrement attachants. Ce n’est pas parfait, mais c’est divertissant, plein de rebondissements, d’artefacts mystérieux et de scènes de grand spectacle. Espérons que la suite sera du même acabit !
Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Tachan (Les blablas de Tachan)
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