La maison aux pattes de poulet
Titre : La maison aux pattes de poulet
Auteur : GennaRose Nethercott
Éditeur : Albin Michel
Date de publication : 2024 (janvier)
Synopsis : Séparés depuis l’enfance, Bellatine et Isaac Yaga pensaient ne jamais se revoir. Mais lorsque tous deux apprennent qu’ils vont hériter leur grand-mère ukrainienne, frère et sœur acceptent de se rencontrer. Ils découvrent alors que leur legs n’est ni une propriété ni de l’argent, mais quelque chose de bien étrange : une maison intelligente juchée sur des pattes de poulet. Arrivée de Kyiv, foyer ancestral de la famille Yaga, l’isba est traquée par une entité maléfique : Ombrelongue, qui ne reculera devant aucun acte de violence pour détruire l’héritage de Baba Yaga.
-Ce village a été rayé de la carte par des pogroms dans les années 1910.
-Les pogroms ?
-Oy vey, tss-tsta Issac. Les jeunes, qu’est-ce qu’on vous apprend à l’école de nos jours ?
-Euh… Que Christophe Colomb est un héros, que la guerre de Sécession a permis l’abolition du racisme et qu’on peut tomber enceinte après une simple pipe.
-Dieu bénisse l’Amérique, murmura Bellatine.
Folklore slave et Amérique des marges
Chaleureusement accueilli par la critique, « La maison aux pattes de poulet » est le premier roman traduit de l’autrice GennaRose Nethercott dans lequel elle se réapproprie l’une des figures les plus emblématiques du folklore slave, la sorcière Baba Yaga. L’ouvrage met en scène un duo composé d’un frère et d’une sœur qui, après avoir été séparés de longues années, vont être réunis grâce à un héritage. Arrivé tout droit d’Ukraine, ce dernier appartenait à leur arrière-grand mère et se révèle pour le moins surprenant puisqu’il ne s’agit ni d’argent ni d’un carton de vieux souvenirs mais d’une maison. Une maison qui leur est donc livrée par conteneur jusqu’en Amérique (où leur famille a émigré il y a longtemps) et qui possède deux particularités : celle d’être consciente, d’abord, mais surtout celle d’être capable de se déplacer seule, puisque la chaumière en question est affublée de deux solides pattes de poulet. Pour étonnant qu’il soit le phénomène n’a cependant pas l’air d’être totalement inédit dans l’univers mis en scène par l’autrice puisqu’il y existe plusieurs cas de bâtiments ayant développés des caractéristiques physiques inhabituelles pour mieux s’adapter à un nouvel environnement (comme des branchies après une inondation, par exemple). Le cadeau n’est tout de même pas banal, ce qui n’empêche pas Bellatine (la sœur) de tomber immédiatement sous son charme. Issac (le frère) en profite pour proposer un marché à cette dernière, lui proposant de lui laisser ses parts de la maison en échange de sa participation à une tournée d’un an afin de présenter leur spectacle de marionnettes dans toute l’Amérique (là encore un héritage familial). Deux problèmes vont toutefois rapidement émerger. Le premier concerne Bellatine qui, depuis toute petite, possède des mains dotées du pouvoir d’animer les objets, pouvoir qui la terrifie et auquel elle tente désespérément de ne pas lâcher la bride. Or, la proximité avec les marionnettes risque fort de la faire replonger dans ses travers. Le deuxième réside dans la traque impitoyable lancée contre la maison aux pattes de poulet par une étrange entité venue tout droit de Russie, Ombrelongue, et dont les pouvoirs et la violence semblent inarrêtables.
Deux ambiances réussies
Le moins que l’on puisse dire concernant le roman de GennaRose Nethercott, c’est qu’il est original ! Qu’il s’agisse du savant mélange entre folklore russe et américain, de la mise en scène de cet étonnant personnage de maison sur patte, ou encore du focus opéré sur le théâtre de marionnettes, tous ces aspects participent à créer une ambiance qui sort de l’ordinaire. Enfin, plutôt deux ambiances. Le roman est en effet composé de deux histoires qui se déploient parallèlement, certains chapitres relatant à la troisième personne la course poursuite entre le duo Yaga et Ombrelongue dans l’Amérique moderne, tandis que d’autres donnent directement la parole à la maison elle-même. Plus brefs, ces passages nous plongent dans l’Europe de l’Est du début du XXe siècle et visent à expliquer l’origine de cette curieuse chaumière dotée de pattes. Seulement la narratrice, légèrement taquine, ne cesse d’inventer milles et une version de sa naissance et de réécrire sans arrêt l’histoire de ses principales occupantes, une certaine Baba Yaga et ses deux filles. On comprend vite cela dit que cela a à voir avec les troubles qui agitèrent la Russie dans les années 1910, et que la véritable histoire sur laquelle la maison refuse de s’appesantir n’a rien de très gai. Cette construction imbriquée se révèle être une vraie réussie, le lecteur passant avec plaisir d’une époque et d’un pays à l’autre, avec toujours cette même envie d’en apprendre davantage sur les nombreux mystères qui entourent la famille Yaga (l’origine de la maison, certes, mais aussi la nature des pouvoirs de Bellatine et, dans une moindre mesure, de ceux d’Isaac). Bien que plutôt épais, le roman ne souffre ainsi que de peu de temps mort, les aller-retours temporels couplés aux multiples rebondissements inhérents à tout récit de course poursuite fonctionnant à merveille.
Bémols et conclusion
J’avoue malgré tout avoir eu une préférence assez marquée pour les chapitres consacrées à l’origine de la maison et à Baba Yaga plutôt qu’à ceux mettant en scène Isaac et Bellatine. Les raisons sont multiples mais tiennent surtout à l’aura de mystère et de peur qui imprègne ces passages et qui fait naître un sentiment assez paradoxal cher le lecteur, à la fois avide de connaître le fin mot de l’histoire mais aussi presque terrifié par l’inéluctabilité de la violence et du drame à venir. Bien que présente, la tension est tout de même moindre dans les chapitres au présent qui, de plus, prennent des tours parfois tellement inattendus qu’on en vient presque à sortir du roman. Enfin, si j’ai tout de suite accrochée au personnage de Bellatine pour laquelle on éprouve rapidement une solide d’empathie, j’ai été assez rebutée par celui d’Isaac qui n’est jamais parvenu à m’émouvoir et dont les réactions et le comportement m’ont tout du long parus exaspérants (sentiment partagé par sa sœur, ce qui a de toute évidence facilité l’identification avec cette dernière). Les autres personnages sont plus en retrait mais les seconds couteaux font du bon travail, ajoutant tour à tour un peu de peps, de douceur ou d’humour au duo Yaga. En dépit de mes réserves concernant certains pans de l’intrigue, je dois en revanche reconnaître que la conclusion offerte par l’autrice m’a totalement conquise. D’abord parce qu’elle se révèle bouleversante d’un point de vue émotionnelle. Ensuite parce qu’elle nous livre enfin toutes les réponses que l’on attendait, et que ces dernières sont bien plus subtiles et élégantes que ce que j’avais pu imaginer.
« La maison aux pattes de poulet » est un roman atypique dans lequel GennaRose Nethercott se réapproprie la figure mythique de Baba Yaga, nous offrant ainsi une plongée pleine de surprises dans le folklore slave mais aussi dans une Amérique des marges qu’on a d’ordinaire peu l’habitude d’arpenter. Bien que certains personnages et quelques aspects de l’intrigue ne m’aient pas totalement convaincus, je n’en ressorts pas moins conquise de ma lecture, l’autrice étant parvenue à construire un récit solide reposant sur une idée originale et proposant une réflexion importante sur la violence mais aussi l’acceptation de soi, la mémoire ou encore la dimension cathartique de l’art.
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Les blablas de Tachan ; Le nocher des livres
3 commentaires
Jean-Pierre
apprennent qu’ils vont hériter leur grand-mère (quel héritage, en effet !)
affublée de deux solides de pattes de poulet. (paires ?)
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