Fantasy

Scholomance, tome 1 : Education meurtrière

Titre : Éducation meurtrière
Cycle/Série : Scholomance, tome 1
Auteur : Naomi Novik
Éditeur : Pygmalion / J’ai lu
Date de publication : 2022 / 2023

Synopsis : Bienvenue à la Scholomance, une école pour les surdoués de la magie où l’échec signifie la mort. Dans cet établissement, il n’y a ni professeurs, ni vacances, ni amitiés, sauf celles qui sont stratégiques. Et Galadriel Higgins est particulièrement bien préparée pour sa première année. Elle n’a peut-être pas d’alliés, mais elle possède un pouvoir assez puissant pour raser des montagnes. Elle semble donc de taille à affronter cette scolarité hors normes. Le problème ? Sa magie pourrait aussi tuer tous les autres élèves.

Je remarque d’abord l’ouvrage alors que je suis à deux pas ; je ne le quitte pas des yeux, me rapproche, puis agrippe le bord de l’étagère d’une main, saute et l’arrache de son rayon de l’autre. J’ai l’impression que toute la bibliothèque vacille de ressentiment quand je retombe. Je ne commets pas l’erreur de le feuilleter, car cela l’aurait aussitôt fait entrer dans la collection. Après ça, l’allée se met à avancer plus vite. Je savoure un instant ma victoire, comme si j’avais vaincu la bibliothèque en la forçant à m’offrir quelque chose de bien ; et maintenant elle me laisse passer, car elle rechigne à me permettre de dénicher d’autres trésors. Je sais que c’est faux, bien sur, mais ça fait du bien d’y croire. On n’obtient jamais rien ici sans en payer le prix. Jamais.

Une école de magie carrément mortelle

On ne compte plus le nombre de romans présentés au public comme « le nouveau Harry Potter » et mettant en scène une école de magie plus ou moins inspirée du célèbre Poudlard dans laquelle vaquent de futur.es sorciers et sorcières. Or, force est de reconnaître que les romans en question peinent souvent à soutenir la comparaison avec l’oeuvre de Rowling. La Scholomance de Naomi Novik, elle, est nettement plus intéressante que ce que j’ai pu lire jusqu’à présent dans le même registre et, quand bien même la série s’adresse avant tout à un lectorat adolescent ou jeune adulte, elle possède des atouts à même de séduire un lectorat plus âgé. Dans le premier tome de cette nouvelle série, l’autrice met en scène une jeune fille, Galadriel, dont on découvre le quotidien au sein d’une institution de magie baptisée « Scholomance ». Une école d’un genre un peu particulier, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, les cours n’y sont pas assurés par des professeurs. Ensuite, le bâtiment flotte dans une sorte de néant rendant toute entrée et sortie impossible avant la fin du cursus scolaire des élèves, soit la classe de terminale. Enfin, les élèves sont régulièrement victimes d’attaques de créatures monstrueuses qui pullulent dans tous les recoins de l’école, si bien que survivre à un repas au self ou à un passage aux toilettes nécessitent pour les étudiants de déployer des trésors d’ingéniosité. C’est dans ce climat pour le moins tendu que l’on fait donc la rencontre de Galadriel, présentement en classe de première, et qui possède très peu d’alliés au sein de l’établissement. Or, pour avoir une chance de survivre à l’épreuve finale de terminale prévue l’an prochain, il lui faut absolument intégrer une alliance composée d’autres élèves compétents qui pourront surveiller ses arrières. Sauf que la jeune fille possède peu d’atouts, à commencer par une origine sociale qui l’exclue de facto des groupes les plus puissants. Ou du moins était-ce le cas jusqu’à ce qu’elle croise la route d’Orion, un jeune garçon issu de la plus influente enclave new-yorkaise et qui s’est taillé une sacrée réputation au fil de sa scolarité en sauvant un nombre incalculable d’élèves de la mort. Parmi eux, notre héroïne, agacée d’être secourue comme une vulgaire demoiselle en détresse et peu désireuse de nouer une quelconque relation d’amitié avec le jeune homme qui semble pourtant lui accorder une attention particulière.

Une belle galerie de personnages

Le pitch est somme toute relativement classique puisqu’on retrouve le principe d’une bande d’ados coincés dans un milieu hostile auquel ils ne pourront échapper qu’en s’unissant. Le résultat est cela dit ici de très bonne facture, ce premier tome réservant de belles surprises, tant en ce qui concerne l’intrigue que les personnages, sans oublier le décor. La Scholomance est une école assez captivante à explorer, dont on se familiarise avec les règles et les spécificités au fur et à mesure des péripéties rencontrées par l’héroïne. Certains lieux possèdent d’ores et déjà une aura suffisante pour marquer le lecteur et renforcer ainsi l’immersion. C’est le cas par exemple de l’atelier, dans lequel se cachent toutes sortes de créatures plus vicieuses les unes que les autres, mais aussi du self, où il vaut mieux prêter une grande attention aux aliments qu’on ingurgite, ou encore de la bibliothèque, entité consciente capable de mettre des bâtons dans les roues des lecteurs en jouant avec les rayonnages pour garder enfouis ses ouvrages les plus précieux. Un décor ne pèse toutefois pas bien lourd sans des personnages convaincants pour l’occuper, or la galerie de portraits déployée ici par Naomi Novik se révèle plus que satisfaisante. Galadriel (qui préfère qu’on l’appelle El) est une héroïne attachante, débrouillarde et solitaire qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et qui se montre capable de faire preuve d’une grande maturité. Orion, lui, est un personnage plus difficile à cerner qui, de part son rôle dans l’intrigue, paraît dans un premier temps tout à fait s’inscrire dans le cliché du bellâtre talentueux entiché de la marginale de l’école. Or le profil du jeune homme n’a finalement pas grand-chose à voir avec ce stéréotype, l’autrice le faisant bien vite choir de son piédestal en le dépeignant, certes, comme influent et puissant, mais surtout comme quelqu’un de maladroit, mettant mal à l’aise les membres de son groupe et faisant montre d’une naïveté absolument hallucinante. Naïveté qui irritera régulièrement l’héroïne au plus haut point et l’incitera à secouer régulièrement le jeune homme au cours de scènes d’une grande satisfaction pour le lecteur.

Un sous-texte intéressant

Les autres personnages sont à l’avenant, qu’il s’agisse d’élèves marginalisés ou de membres plus éminents de l’école, tentés désormais d’approcher la jeune fille en raison de sa proximité avec un étudiant appartenant à une prestigieuse famille. Et c’est d’ailleurs là que se situe l’une des plus grandes réussites du roman qui met l’accent sur les inégalités de classes entre les étudiants de la Scholomance. En effet, parmi les aspects de l’univers développés ici par l’autrice, le volet sociétal occupe une part non négligeable puisque, si l’école est censée en théorie récompenser les meilleurs des élèves, les statistiques démontrent de façon implacable que les enfants issus de familles lambda ont davantage tendance à servir de chair à canon que les rejetons des enclaves, clans très fermés regroupant les sorciers et sorcières les plus puissant.es. Cette inégalité se manifeste de façon très diverse, mais force est de constater que les étudiants issus des enclaves et ceux comme El ne vivent pas la même scolarité. Sans être poussée très loin, cette critique sous-jacente du système éducatif permettant de mettre en lumière des inégalités de classe camouflées sous le vernis de la méritocratie se révèle plutôt efficace et donne une profondeur supplémentaire au récit. Ce dernier s’attache également à décrire les spécificités de l’univers imaginé par Naomi Novik qui distille ici et là quelques informations sur la création de l’école et son fonctionnement, ou sur ce qui attend les étudiants victorieux une fois leur cursus terminé. Beaucoup d’aspects restent toutefois à éclaircir et devraient être davantage exploités dans les deux volumes à venir.

« Éducation meurtrière » est le premier tome de la série « Scholomance » écrit par Naomi Novik qui met en scène une école de magie d’un genre particulier dans laquelle les élèves se trouvent à la merci des monstres qui hantent ses murs. Le scénario est classique mais l’ambiance prenante, aussi bien grâce à l’immersion de qualité proposée par le décor qu’en raison de la personnalité de l’héroïne, une jeune fille au caractère bien trempé à laquelle on s’identifie sans mal. La dimension sociale du texte permet au roman de gagner en complexité et participe à rendre sa lecture appréciable aussi bien pour la jeunesse que pour les adultes. Le deuxième tome est déjà paru chez Pygmalion et sortira en poche en février : j’ai hâte !

Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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