Fiction historique

Alice Guy

Titre : Alice Guy
Auteurs : Catel et Bocquet
Éditeur : Casterman (BD poche)
Date de publication : 2023

Synopsis : En 1895, à Lyon, les frères Lumière inventent le cinématographe. Moins d’un an plus tard, à Paris, Alice Guy, 23 ans, réalise La Fée aux choux pour Léon Gaumont. Première réalisatrice de l’histoire du cinéma, elle dirigera plus de 300 films en France. En 1907, elle part conquérir l’Amérique, laissant les Films Gaumont aux mains de son assistant Louis Feuillade. Première femme à créer sa propre maison de production, elle construit un studio dans le New Jersey et fait fortune. Mais un mariage malheureux lui fait tout perdre. Femme libre et indépendante, témoin de la naissance du monde moderne, elle aura côtoyé les pionniers de l’époque : Gustave Eiffel, Louis et Auguste Lumière, ou encore Georges Méliès, Charlie Chaplin et Buster Keaton.

La première réalisatrice de l’histoire du cinéma

Cela fait quelques années maintenant que Casterman propose des bandes dessinées en petit format, parmi lesquels on retrouve plusieurs œuvres du duo Catel et Bocquet, spécialisé dans la biographie de femmes célèbres mais peu connues (Olympe de Gouges, Kiki de Montparnasse…). On leur doit dernièrement un portrait d’Alice Guy, première réalisatrice du cinéma français aujourd’hui largement oubliée du grand public et dont la biographie est désormais disponible en format semi-poche. En trois cent pages, les auteurs reviennent sur le parcours atypique de cette femme ayant fait carrière au tout début de l’invention du cinéma dont elle accompagne chacune des principales étapes. On assiste ainsi à ses côtés à l’évolution des techniques et appareils capables de projeter et animer une image, ainsi qu’ à la concurrence féroce à laquelle se livrèrent leurs inventeurs, bien conscients du caractère révolutionnaire de leurs découvertes. Engagée dans un premier temps comme sténo-dactylographe pour le compte de Léon Gaumont, Alice Guy va progressivement monter en grade, jusqu’à se voir confier la réalisation des toutes premières productions cinématographiques de l’entreprise. Petit à petit, les techniques se perfectionnent, ce qui accroît encore davantage les possibilités artistiques et permet à la jeune femme d’expérimenter tout un tas d’idées, que se soit en variant le décor, en multipliant considérablement le nombre d’acteurs et figurants ou en se penchant sur des sujets moins consensuels. Son parcours va évidemment l’amener à croiser certaines des personnalités artistiques les plus en vues de l’époque, qu’il s’agisse du photographe Frédéric Dillaye, des frères Lumière, de Gustave Eiffel ou encore de Charles Chaplin. Car la carrière d’Alice ne se limite pas à la France et l’entraînera jusqu’aux États-Unis où elle rencontrera moins d’obstacles en tant que femme, sans pour autant pouvoir pleinement laisser libre cours à son talent en raison des difficultés financières rencontrées par son mari.

Être une femme dans le milieu du cinéma au début du XXe

En parallèle de l’évolution de sa carrière et, par extension, de celle du cinéma, les auteurs évoquent aussi longuement la vie privée de la réalisatrice, de son enfance itinérante à ses relations avec ses collègues de travail en passant par son mariage et les rapports qu’elle entretenait avec ses enfants. Trois cent pages pour résumer une vie aussi remplie, c’est évidemment un peu court, aussi Catel et Bocquet ont-ils été obligés de ne sélectionner que certains épisodes parmi les mieux à même d’illustrer le parcours d’Alice Guy. Cela fait tout de même beaucoup d’épisodes et, quand bien même le pari est dans l’ensemble réussi, la juxtaposition d’autant de toutes petites scènes mises bout à bout donne souvent l’impression de ne rester qu’en surface des choses. Peu d’aspects de sa vie ou de sa carrière sont ainsi explicitement mis en avant par rapport à d’autres, si bien que l’on a l’impression que tous les événements évoqués se valent, des épisodes anecdotiques acquérant alors la même importance que des moments vraiment déterminants ou tragiques. Cet aspect en particulier est renforcé par la vitesse avec laquelle on passe d’un moment de sa vie à un autre. Il est toutefois un sujet que les auteurs ont tenté de mettre en valeur par le biais de plusieurs scènes disséminées dans tout l’ouvrage, à savoir les difficultés rencontrées par Alice en raison de son genre. Catel et Bocquet s’attardent par exemple sur les petites répliques empreintes de sexisme qu’elle devait endurer quotidiennement, mais évoquent aussi les agressions que pouvaient subir les femmes de la part de figures emblématiques du milieu. Parfois cela se révèle plus insidieux, notamment dans la première partie de l’ouvrage qui multiplie les scènes au cours desquelles l’héroïne se retrouve figée à l’arrière-plan avec un beau sourire sur le visage pendant que, devant, les hommes discutent de l’avenir du cinéma et des possibilités qu’il ouvre. Ce qui met un peu mal à l’aise, c’est que la jeune femme ne semble pas prendre ombrage de cette mise à l’écart et du rôle de potiche qui est alors le sien, réagissant au contraire toujours avec un entrain presque naïf dès lors que ces messieurs daignent se rappeler sa présence et l’inclure dans la conversation.

Invisibilisation et retour sur le devant de la scène

Ce qui frappe surtout à la lecture de cette biographie, c’est l’invisibilisation dont son travail a fait l’objet. Il faudra en effet les recherches d’historiens spécialistes de l’histoire du cinéma pour qu’on cesse enfin d’attribuer ses œuvres à d’autres cinéastes, qu’ils aient été ses collègues ou parfois même ses assistants. Son nom ne sera en effet que peu mentionné une fois sa carrière achevée, au point qu’une grande partie des films qu’elle a réalisé seront pendant longtemps perdu. Il faudra attendre les années 1950, puis en 1976 la publication posthume de son autobiographie et le travail de plusieurs chercheurs et chercheuses, pour que la paternité de ses œuvres lui soit enfin restituée. Cet aspect est évoqué tardivement dans l’ouvrage, qui ne consacre que peu de temps à la fin de sa vie, mais on trouve heureusement plus de renseignements à ce sujet dans les abondantes annexes qui viennent compléter la bande dessinée. Parmi elles, on trouve notamment une longue chronologie recensant aussi bien les événements marquants de la vie d’Alice que les étapes clés de l’invention du cinéma. Les auteurs ont également écrit une dizaine de biographies détaillées des personnages mis en scène dans la bande dessinée, y compris ceux qui n’y font qu’un passage éclair. A ce titre, l’ouvrage de Catel et Bocquet se révèle être une véritable mine d’or pour toutes celles et ceux qui souhaiteraient se familiariser avec les débuts du cinéma, que ce soit du point de vue des techniques employées que des personnalités influentes dans le milieu à l’époque.

Avec ce nouveau portrait consacré à Alice Guy, première scénariste de l’histoire du cinéma français, Catel et Bocquet continuent de mettre en lumière des femmes artistes et intellectuelles injustement oubliées. Très dense, l’ouvrage se compose d’un nombre impressionnant de petites scènes qui abordent une grande partie des événements marquants de la vie privée comme professionnelle de la jeune femme mais qui, en l’absence de véritable hiérarchisation, courent parfois le risque de noyer le lecteur. L’ouvrage se révèle enfin particulièrement instructif en ce qui concerne la naissance du cinéma et son évolution qui est ici retracé avec un luxe de détails appréciable.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

2 commentaires

  • Tigger Lilly

    J’ai beaucoup aimé cette lecture passionnante. J’adore cette collection. J’ai lu la bd sur Olympe de Gouges et je zyeute sur les autres à chasue fois que je passe en librairie. Mais elles sont touffues ce sont des bd qu’il faut prendre le temps de lire alors j’atermoye un peu.

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