Himilce
Titre : Himilce
Auteur : Emmanuel Chastellière
Éditeur : Argyll
Date de publication : 2023 (juin)
Synopsis : 218 avant J.-C. Entre Rome et Carthage, la guerre gronde de nouveau. Le prodige militaire Hannibal Barca se tient prêt à embraser la Méditerranée. Ainsi, lorsqu’il part pour l’Italie à la tête d’une armée, il laisse derrière lui son épouse Himilce. À peine débarquée à Carthage, la princesse ibère est immergée dans les eaux troubles de rivalités féroces, à la merci des ambitieux et des intrigants. Elle doit alors se glisser dans le costume qu’on lui a préparé : celui d’une femme dévouée à sa nouvelle patrie, la mère du futur héritier. Dans une ville tout entière tournée vers la guerre, la jeune femme devra-t-elle suivre le chemin tracé pour elle ? Se ranger du côté des voix de la discorde ? Ou tracer sa propre route, quitte à faire naître des inimitiés, même parmi les siens ?
-Tout dépend de Rome.
-Et pas d’Hannibal ?
-Plus le temps passe et plus je me demande si le sort de cette guerre a jamais dépendu de lui… Mais qui d’autre l’a compris ?
La femme derrière le général
Dans son dernier roman, Emmanuel Chastellière délaisse l’époque contemporaine qui servait de canevas à ses précédents romans et nouvelles pour nous plonger dans l’Antiquité. « Himilce » nous entraîne en effet au IIIe siècle avant J.-C., alors que s’apprête à éclater la deuxième guerre punique, conflit opposant la ville de Rome à celle de Carthage. Parmi les protagonistes les plus célèbres de cet affrontement figure le général en charge des troupes carthaginoises, Hannibal Barca. Ce que l’on sait moins, c’est que ce général avait une femme dont on ignore presque tout, si ce n’est son nom et la lignée dont elle descend. On retrouve ici un peu de la démarche d’Ursula Le Guin dans son roman « Lavinia », les deux auteurs tentant de combler les vides laissés par des sources pour le moins lacunaires afin de donner un visage et une épaisseur à un personnage féminin oublié de l’histoire car évoluant dans l’ombre d’un homme charismatique. Les textes mentionnant Himilce se révélant très succincts, Emmanuel Chastellière a pu ici jouir d’une grande liberté pour brosser le portrait de cette princesse d’un genre un peu particulier. La jeune femme se distingue en effet à la fois par la distance qu’elle affiche envers le conflit engagé contre Rome et dans lequel son époux est pourtant amené à jouer un rôle de premier, mais aussi dans les difficultés qu’elle éprouve à tenir la place que la famille Barca lui a assigné à Carthage. Il faut dire que le climat est loin d’être serein dans la capitale, celle-ci étant divisée entre les partisans d’Hannibal et ceux qui ne souhaitent pas voir le conflit s’éterniser. La belle-famille d’Himilce ne lui est pas non plus d’un grand secours, celle-ci faisant peser sur ses épaules une énorme pression et ne manquant par d’insister sur la nécessité pour elle d’engendrer rapidement un héritier. Dans cet environnement hostile, la jeune femme peut toutefois compter sur quelques alliés, qu’il s’agisse d’une cousine étonnement plus débridée que le reste de la famille Barca, ou bien d’Aspar, ce vétéran à qui le général a confié la sécurité de son épouse et dont elle est bien décidée à percer la carapace.
Plongée dans la Carthage antique
L’initiative de l’auteur de mettre en avant une femme occultée par son mari est intéressante et s’inscrit dans la lignée de ce qu’ a récemment pu faire Jean-Laurent del Socorro avec sa « Morgane Pendragon ». Dans les deux cas, le choix de mettre l’accent sur une femme de l’entourage du traditionnel héros implique évidemment un changement de perspective, notamment en ce qui concerne les thématiques abordées. Le roman de Chastellière consacre ainsi très peu de pages à la guerre (même si celle-ci demeure en permanence en toile de fond) puisque la jeune femme se voit refusée le droit de suivre son époux sur le champ de bataille. Himilce se retrouve donc totalement déconnectée du front et de l’avancée de cette guerre qui ne jouera finalement qu’un rôle marginal dans le récit au profit d’autres sujets plus rarement abordés. Parmi eux, la question de la maternité, ou plutôt son absence, apparaît centrale, Himilce se refusant à donner le jour à un enfant dans un climat aussi instable que celui d’une guerre, alors même que tout son entourage la presse pour devenir mère. Cette préoccupation est amenée à prendre de plus en plus de place dans le récit, ce qui lui donne une dimension presque intimiste et permet à l’auteur de mettre en scène des questionnements et des épisodes douloureux auxquels beaucoup de femmes se trouvent confrontées. Le roman possède aussi une légère dimension sociale, Himilce, dans un souci de trouver un sens à sa position et son mariage, s’intéressant aux couches les plus pauvres de la population. Le sujet se révèle quelque peu sous-exploité mais il permet à l’auteur de donner à voir davantage de Carthage que ses beaux palais et ses temples et de fournir aux lecteurs quelques informations sur l’ordinaire des Carthaginois de l’époque et les difficultés auxquelles ils pouvaient être confrontés. En ce qui concerne la reconstitution historique, l’auteur tente de dresser un portrait le plus complet possible de la ville de l’époque, évoquant aussi bien ses pratiques religieuses que son urbanisme ou son fonctionnement politique. Ce dernier aspect aurait toutefois mérité d’être davantage développé, le lecteur pouvant parfois éprouver des difficultés à bien saisir comment les décisions étaient prises dans la cité.
Rythme et intrigue(s)
Si j’ai beaucoup apprécié la volonté de l’auteur de donner la parole à cette princesse invisibilisée ainsi que l’originalité des thématiques sur lesquelles il a choisi de mettre l’accent, j’ai toutefois quelques nuances en ce qui concerne l’intrigue. On peine en effet à discerner de véritable fil conducteur, le récit semblant plutôt constitué d’une succession de trames narratives dont on peine parfois à deviner si elles sont amenées à jouer un rôle important pour l’histoire ou si elles se révéleront finalement anecdotiques. Et c’est bien le cas de certaines d’entre elles qui pâtissent d’une résolution plutôt décevante. Parallèlement au quotidien d’Himilce et à sa familiarisation avec les us et coutumes carthaginois, l’auteur s’attarde en effet également sur un obscure trafic d’enfants, mais aussi sur une mystérieuse querelle opposant son protecteur à un personnage influent de la cité. Autant de trames narratives qui ne semblent rattachées qu’artificiellement à celle d’Himilce, comme si l’auteur avait craint que les simples aventures de la princesse ne suffisent pas à combler les attentes du lecteur. Or ce sont surtout les passages mettant en scène les propres expériences et ressentis de l’héroïne qui sont les plus intéressants, quand bien même les marges de manœuvre de la jeune femme se révèlent plutôt faibles. Les personnages, eux, sont intéressants et possèdent des profils variés, Himilce étant amenée à côtoyer aussi bien un sénateur hostile à la guerre que les femmes de l’entourage de son mari, ou encore une enfant des rues, un guerrier hanté par la prise d’une cité, mais aussi une prêtresse dont l’indépendance d’esprit donnera à notre héroïne la force de s’élever contre le carcan dans lequel on veut l’enserrer.
Emmanuel Chastellière signe avec « Himilce » un roman qui rend hommage à une femme oubliée de l’histoire, réduite à un simple nom associé à celui d’un grand personnage. Le temps de quelques heures, voilà pourtant le célèbre général Hannibal Barca cantonné à son tour au rôle de simple figurant tandis que son épouse occupe le devant de la scène grâce à un portrait, certes totalement fictif, mais néanmoins convainquant. En dépit de légers problèmes de rythme et de la frustration née du manque d’exploitation de certains aspects historiques ou narratifs, l’ouvrage se révèle agréable et permet de mettre en lumière des thématiques ou des points de vue encore trop marginaux.
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4 commentaires
Ge Collectif Polar
Celui-ci a tout pour me plaire !
Merci pour cette belle chronique
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Emmanuel
Bonjour !
Merci pour ce retour !
Ah, je ne « craignais » rien pourtant, au niveau de l’intrigue !
De mon point de vue, ça reste avant tout un portrait. 🙂
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