Fantasy

Morgane Pendragon

Titre : Morganne Pendragon
Auteur : Jean-Laurent del Socorro
Éditeur : Albin Michel
Date de publication : 2023 (février)

Synopsis : Île de Bretagne, début du VIIe siècle. Morgane devient la nouvelle reine de Logres en s’emparant de l’épée de son père, Uther Pendragon, alors que son amant Arthur et tant d’autres ont échoué avant elle. À peine couronnée, la voilà déjà attaquée par des royaumes vassaux qui mettent en doute sa légitimité. Ce conflit en annonce un autre, plus dangereux. Une nouvelle religion arrive en Bretagne : le christianisme, avec à sa tête l’archevêque de Canterbury. Morgane devra protéger sa foi, celle de la Déesse. Pour mener ses batailles, elle pourra s’appuyer sur Merlin, le druide qui l’a protégée et formée, ainsi que sur les chevaliers de sa table ronde nouvellement créée. Promise à des victoires éblouissantes, mais aussi à d’amères défaites, réussira-t-elle à échapper au venin mortel de la trahison ?

Arthur VS Morgane

Les romans de Jean-Laurent del Socorro reposent la plupart du temps sur deux constantes : un cadre historique, qui peut aller de l’Antiquité au XVIe siècle en passant par le Moyen âge, et une large place accordée aux femmes, avec une volonté affichée de la part de l’auteur de s’affranchir, ou du moins de questionner, les stéréotypes de genre. Deux caractéristiques que l’on retrouve dans son nouvel ouvrage consacré à Morgane, figure controversée et somme toute assez marginale de la légende arthurienne, ici propulsée sur le devant de la scène. Jean-Laurent del Socorro nous propose en effet une réinterprétation complète du mythe arthurien basée sur l’accession au pouvoir de Morgane, et non d’Arthur, condamné à rester dans l’ombre, et ce en dépit des machinations de l’Enchanteur Merlin. C’est donc elle qui retire l’épée d’Uther, elle qui se voit confier la lourde tâche d’unifier le royaume de Logres en ralliant les principaux seigneurs sous sa bannière, et, bien sûr, elle qui est à l’origine de la fondation d’une communauté regroupant les meilleurs chevaliers et meilleures chevalières du royaume. Un grand poids, donc, surtout pour une femme aussi jeune et inexpérimentée dont l’autorité est immédiatement contestée par une partie de ses vassaux. L’auteur opte ici pour une narration à deux voix, les chapitres alternant entre le point de vue de Morgane et d’Arthur, amant de la reine et chevalier promis à un bel avenir mais au centre de toutes les manigances fomentées par les ennemis de la jeune femme. Le récit est mené tambour battant et comporte peu de temps morts dans la mesure où le roman entreprend de revisiter la plupart des épisodes incontournables de la légende arthurienne. On y retrouve donc sans surprise le conflit opposant Merlin à Viviane, la constitution de la Table ronde, la recherche du Graal, sans oublier bien sûr tout ce qui a trait aux relations entretenues entre les principaux protagonistes. Ce n’est certes pas la première fois que la « matière de Bretagne » est réinvestie dans un univers de fantasy et remise aux goûts du jour, néanmoins la version proposée ici par Jean-Laurent del Socorro se révèle originale à plus d’un titre, et par conséquent agréablement rafraîchissante.

Une nouvelle interprétation féministe

Le premier aspect qui tranche assez radicalement avec la légende telle qu’on la connaît concerne les codes sociaux mis en scène dans cette Angleterre du VIIe siècle. En effet, bien que Morgane souligne à plusieurs reprises que sa condition de femme n’est pas étrangère aux réactions parfois belliqueuses ou condescendantes de ses sujets, il n’en demeure pas moins que la société bretonne telle que mise en scène par l’auteur se révèle relativement égalitaire. Les femmes peuvent ainsi non seulement prétendre à la royauté en leur nom propre, mais aussi embrasser la carrière de chevalier, ce qui change évidemment considérablement la composition et les dynamiques au sein de la Table ronde. Guenièvre, par exemple, est loin d’être cantonnée au rôle de potiche puisqu’elle siège parmi les autres chevaliers et manie les armes elle-même. Elle est d’ailleurs loin d’être la seule combattante puisque, aux côtés des traditionnels Lancelot, Gauvain ou Kay, on trouve Elaine de Galles, Arcade, Yseult ou encore Tate du Kent, unique chevalière à avoir embrassé la foi chrétienne. De la même manière, l’auteur fait le choix de dynamiter la norme hétérosexuelle puisque les personnages sont libres d’aimer qui ils le souhaitent, l’homosexualité n’étant absolument pas tabou, et encore moins prohibé. Cela engendre, là encore, de profondes transformations du récit arthurien originel et permet par exemple à l’auteur d’allègrement jouer sur de nouveaux triangles amoureux. Cette importance accordée à la place des femmes dans les sociétés mises en scène par Jean-Laurent del Socorro est, on l’a dit, loin d’être une première, mais c’est à mon sens la première fois que l’auteur le fait de manière aussi appuyée, et cela fonctionne à merveille en faisant souffler un vent de fraîcheur bienvenu dans cette légende milles fois revisitée, et pourtant jusqu’ici si peu modernisée. Au delà de ces nombreux bouleversements et de la surprise qu’ils ne manqueront pas de susciter parfois, le récit puise tout de même l’essentiel de son inspiration dans les traditionnelles sources concernant le mythe arthurien (Chrétien de Troyes, Thomas Malory…), si bien que les amateurs de la légende s’y retrouveront malgré tout. L’auteur a de plus astucieusement choisi les épisodes clés de son roman et mêle avec habilité des scènes connues et attendues de tous (l’épée dans le rocher, la bataille du mont Badon, le triangle amoureux autour de Guenièvre…) et d’autres qui sont d’ordinaire passées sous silence, ou alors traitées à la marge.

Boudicca

La place de la fantasy

Parmi les thématiques abordées par l’auteur, il en est une autre qui est peu à peu amenée à occuper une place centrale dans le récit : le conflit opposant les « païens », adorateurs de la Déesse, et les chrétiens, récemment implantés en Bretagne grâce à la conversion du seigneur du Kent et qui entend bien renforcer sa position sur l’île. Placer l’intrigue au VIIe siècle permet ainsi à Jean-Laurent del Socorro de mettre en scène des personnalités marquantes de l’époque (notamment le premier archevêque de l’île) tout en mettant en lumière les changements de société opérés par la propagation du christianisme. Cette confrontation fournit également l’occasion parfaite d’instiller une dose de surnaturel puisque l’accession au trône de Morgane s’accompagne d’un réenchantement de la Bretagne, et donc d’un retour de créatures magiques jusqu’ici presque oubliées, ce qui ne va pas manquer d’accroître les tensions entre les deux religions. L’idée d’une coexistence entre les mortels et les êtres qui peuplaient autrefois nos bestiaires n’est certes pas nouvelle, mais elle est traitée ici avec subtilité et donne lieu à des réflexions intéressantes qui, là encore, nous incitent à rejeter les stéréotypes. La quête du Graal s’inscrit pleinement dans cette lutte d’influence entre partisans des deux religions et est habilement intégrée à l’intrigue par l’auteur qui décide d’exploiter deux interprétations de la symbolique de la relique, évitant ainsi de trancher entre le récit païen ou chrétien.

Du roi je serai l'assassin

Des personnages de qualité

Parmi les autres points forts du roman, on peut évidemment mentionner les personnages qui sont, comme dans toutes les œuvres de l’auteur, particulièrement attachants. Morgane est une souveraine en proie au doute, puissante, certes, mais aussi seule, et c’est cette vulnérabilité inattendue qui nous rend immédiatement le personnage sympathique. Arthur, lui, est sans doute moins complexe, en revanche son évolution est sans aucun doute la plus intéressante. Son parcours réserve en effet bien des surprises et, quand bien même certains choix suscitent la colère ou la déception du lecteur, ce dernier a bien du mal à se départir de l’affection qu’il éprouve pour ce chevalier prometteur relégué à un second rang alors qu’il aurait pu prétendre à occuper le devant de la scène. Les autres chevaliers et chevalières, les fameuses Épées réunies par Morgane, n’ont quant à eux guère de mal à remporter l’adhésion, moins en raison de leur personnalité, qui n’est souvent que rapidement esquissée, mais grâce à la camaraderie et à la solidarité qui les unit et que l’auteur parvient à rendre communicatives. Tout en s’appuyant sur le matériel fourni par la légende, ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à prendre des libertés, si bien qu’on a affaire à des personnages qui paraissent familiers mais dont les réactions inédites nous invitent régulièrement à réévaluer notre jugement. C’est le cas notamment pour Guenièvre, et plus largement pour toutes les femmes de la légende qui sortent de l’ombre pour occuper une position clé dans l’intrigue, s’affrichissant enfin des sempiternels rôles de demoiselles en détresse ou de simples objets de désir. Certains acteurs, peu exploités dans le mythe ou nés de l’imagination de l’auteur, apportent de plus une dose supplémentaire de fraîcheur, qu’il s’agisse du chevalier sassanide Palamède ou des créatures surnaturelles rencontrées par les chevaliers et chevalières au fil de leurs aventures. L’auteur ne se prive pas non plus de multiplier les clins d’œil à d’autres œuvres littéraires ou cinématographiques, qu’elles concernent directement la légende arthurienne ou touchent plus largement à la fantasy.

Jean-Laurent del Socorro se réapproprie avec « Morgane Pendragon » le mythe arthurien en y instillant, notamment, une bonne dose de féminisme. Le résultat est remarquable et permet de revisiter les épisodes les plus marquants de la légende sous un jour véritablement nouveau, tout en préservant le charme propre à cette histoire pleine de drames et de péripéties haletantes. Le roman sort en librairie demain : précipitez-vous !

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Le nocher des livres

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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