Quand la tigresse descendit de la montagne
Titre : Quand la tigresse descendit de la montagne
Cycle/Série : Les archives des Collines-Chantantes, tome 2
Auteur : Nghi Vo
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2023 (mai)
Synopsis : Des tigresses métamorphes amatrices de poésie, des mammouths de guerre aussi impressionnants que placides, une jeune lettrée tiraillée entre son cœur et sa raison, fantômes, goules et esprits-renards à l’affût, aventures baroques et amours libres… Dans cette aventure de l’adelphe Chih, Nghi Vo nous convie à un étonnant voyage, inspirée tant par les contes et la poésie de l’Asie du Sud-Est que par les combats sociaux qui l’animent. Aucun carcan ici, aucune frontière, seul importe le récit, porté par une plume légère et des images d’une originalité folle.
-Je préfère cette version, déclara Si-yu, par extraordinaire.
-Je n’aime pas les flatteries venues d’un mets, dit froidement Sinh Loan.
Une seule histoire, plusieurs versions
Après « L’impératrice du sel et de la fortune », les éditions L’Atalante continuent d’explorer l’univers de Nghi Vo et de sa série « Les archives des Collines-Chantantes » avec une deuxième novella qui se déroule dans le même univers et met à nouveau en scène l’adelphe Chih. Membre d’un ordre d’archivistes chargés de compulser tout le savoir du monde, ce dernier (ou cette dernière, puisque son genre nous demeure inconnu, l’adelphe se définissant tour à tour au masculin ou au féminin) entreprend de traverser des montagnes avec pour seule guide une jeune femme montée sur un mammouth. Mais le voyage ne se déroule pas comme prévu, les deux compagnons se retrouvant un soir nez à nez avec trois tigresses. Des félins pas tout à fait comme les autres puisque, outre le fait qu’ils peuvent se métamorphoser en femmes, il se trouve qu’ils sont aussi doués de paroles. Afin de gagner du temps avant l’arrivée de potentiels secours, l’adelphe va se lancer dans le récit de l’histoire de Ho Thi Thao, une tigresse renommée, et de Dieu, une jeune femme qui croisa sa route et dont elle tomba éperdument amoureuse. Tout comme dans la précédente nouvelle de l’autrice, le texte se compose de récits imbriqués et confronte plusieurs versions d’un même événement. Les trois tigresses ont en effet bien des choses à redire à la version de l’histoire telle que retenue par les humains, aussi le récit est-il rythmé selon un régulier va-et-vient à mesure que les tigresses reviennent sur une scène pour ajouter certains détails, ou même en modifient totalement le déroulement. On retrouve ici une partie du charme de « L’impératrice du sel et de la fortune » : le récit prend rapidement des allures de conte et met en scène des humains confrontés à des forces ou des créatures surnaturelles difficiles à cerner et donc imprévisibles.
Un univers prometteur mais lacunaire
La plume de l’autrice est agréable et non dénuée d’une poésie qui renforce l’impression de parenthèse enchantée. La construction narrative est ici ingénieuse, car elle permet de mêler étroitement le récit passé de la tigresse Ho Thi Thao tout en continuant à évoquer le présent et la situation périlleuse de l’adelphe et de son guide. Comme dans le précédent texte, aussi, on retrouve la même violence insidieuse qu’on ne perçoit pas immédiatement car elle est occultée dans un premier temps par les formes que mettent les personnages pour s’adresser les uns aux autres ou par le respect qu’ils portent à certains traditions. L’univers de Nghi Vo n’est ainsi pas dénué de cruauté, et le récit de cette tigresse insatiable en appétit comme en amour en est la preuve. J’ai toutefois quelques réserves concernant cette deuxième nouvelle que j’ai trouvé moins profonde que la première qui avait également le mérite de nous immerger un peu dans des intrigues politiques qui permettaient de mieux cerner le monde dans lequel évoluent les personnages de cette série. Ici, on a finalement peu d’indices sur cet univers : ni repère géographique, ni éléments de compréhension sur l’existence de ces animaux étranges qui peuplent les montagnes, qu’ils soient mammouths ou tigresses. On ressort ainsi de la lecture un peu frustré, avec l’idée que cette nouvelle à elle-seule ne permet pas d’appréhender pleinement la qualité de l’oeuvre de l’auteur, et qu’il aurait sans doute mieux valu l’intégrer à un recueil. L’idée d’un format « novella », un peu à la manière du Bélial, est intéressant, mais, autant cela fonctionnait à merveille avec les textes de Phenderson Djeli Clark, autant les histoires de Nghi Vo ne se suffisent à mon sens pas tout à fait à elles-mêmes pour constituer des publications indépendantes.
Deuxième incursion dans l’univers des « Archives des Collines-Chantantes », « Quand la tigresse descendit de la montagne » est un joli conte narrant la rencontre entre un/une archiviste et un trio de tigresses métamorphes avec lesquelles iel va se lancer dans le récit d’un épisode de la vie d’une de leur plus emblématique souveraine. Bien que poétique et intéressante par sa construction, la novella peine toutefois à satisfaire complètement la satiété du lecteur qui aurait souhaité davantage de contextualisation pour mieux cerner l’univers de l’autrice et ses spécificités. Mais peut-être que « Entres les méandres », dont la parution est prévue pour la fin de l’année, remédiera à cet écueil.
Voir aussi : L’impératrice du sel et de la fortune
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