Fantasy

Les embrasés

Titre : Les embrasés
Nouvelles/Novellas: Mille et une torches ; Dévoreur ; Les eaux de sous le monde
Auteur : Stefan Platteau
Éditeur : Les Moutons Électriques
Date de publication : 2023 (avril)

Synopsis : Il suffit parfois d’un astre trop brillant, d’un deuil ou d’une catastrophe naturelle pour que des forces oubliées surgissent des tréfonds du ciel ou de la terre. Alors l’âme humaine s’embrase et dévaste ce qui l’entoure. Des sortilèges vengeurs rugissent. Un ogre nait, une passion devient criminelle. De vieux êtres calcinés s’en reviennent rôder autour des vivants. La Reine Maroué, le sage Peyr Romo : les mages et les sorcières arpentent la frontière ténue qui sépare l’humain du monstre et du dieu. À travers eux, Stefan Platteau revisite le mythe de Cronos, évoque les débuts de la guerre civile et remue, à coup d’inondations, les ombres enfouies au plus trouble des communautés humaines. Trois récits étranges et fascinants, dont un roman totalement inédit, qui dévoilent un peu plus les mythes et les merveilles de l’univers des Sentiers des Astres.

L’Inframonde est un dépotoir pour le trop-plein de nos âmes. Une sorte de mer profonde, dans laquelle se déversent les égouts de nos rancœurs, de nos deuils, de nos amertumes.

Un prologue à la saga des « Sentiers des astres »

En 2014, Stefan Platteau faisait une entrée fracassante sur la scène de l’imaginaire francophone avec le premier tome des « Sentiers des Astres » : « Manesh ». Une série captivante reposant sur l’imbrication de plusieurs récits et mettant en scène un univers fortement inspiré de la civilisation indienne et de la toute fin du Moyen âge. Trois tomes supplémentaires sont ensuite sortis, et le dernier ne devrait pas tarder à voir le jour. L’auteur a également écrit plusieurs nouvelles ou courts romans se déroulant dans le même univers et mettant en scène d’autres personnages et d’autres époques. C’est le cas par exemple dans « Le roi cornu », dans « Dévoreur », et donc désormais dans « Les embrasés » qui rassemblent trois textes issus de cet univers dont deux inédits : la nouvelle « Mille et une torches » (prologue à la saga des Sentiers des Astres) et la novella « Les eaux de sous le monde ». Le troisième texte présent au sommaire n’est autre que « Dévoreur », déjà publié précédemment par Les Moutons électriques qui ont pris l’habitude de multiplier les rééditions sous différents formats. Que vous connaissiez ou non « Les sentiers des astres » ce recueil est en tout cas une bonne entrée en matière pour se familiariser avec la plume de l’auteur qui donne encore à voir ici toute l’étendue de son talent. Le premier texte « Mille et une torches » n’excède pas la dizaine de pages et met en scène l’un des événements majeurs de la guerre civile opposant les Luari aux Souranès. L’histoire de cette fameuse nuit au cours de laquelle la duchesse présenta sa reddition à l’Héritier-Roi nous est narrée par deux personnages appartenant chacun à l’un des deux camps et possédant un profil très différent. Aïfe, la calfate, nous relate l’événement depuis les quartiers populaires de la cité de Narrakhin, où la révolte gronde suite à l’annonce de la signature par la duchesse défaite d’un acte de reddition jugé infamant. Le second narrateur se trouve pour sa part au cœur du pouvoir puisqu’il s’agit de l’intendant du Royaume. La nouvelle est courte mais on y retrouve tout ce qui fait le charme de l’univers des Sentiers des astres et de la plume de l’auteur qui n’hésite pas ici à plonger son lecteur dans l’horreur la plus totale. Âmes sensibles, s’abstenir !

« Dévoreur » : père et ogre

Le second texte de ce recueil est le fameux « Dévoreur », court roman paru en 2015 et déjà édité deux fois. On y fait la connaissance d’une famille originaire des montagnes de Pélagis composée d’un couple et de leurs deux enfants dont le quotidien va se retrouver soudainement chamboulé par le comportement de plus en plus étrange d’un de leur ami et voisin. Malgré l’absence de son époux réquisitionné pour exercer ses compétences de mage, Aube est bien décidée à percer ce mystère et ne tarde pas à faire le lien entre l’attitude effrayante du fermier et la luminosité anormale émanant d’un astre néfaste nommé Kiavathi : le Dévoreur. Stefan Platteau nous offre avec ce roman une belle réinterprétation du mythe de l’ogre, ce géant croqueur d’enfants n’aimant rien tant qu’enlever de braves bambins à leur famille pour pouvoir s’en engraisser. Si le roman prend par bien des aspects l’allure d’un conte, cela ne l’empêche pas de ne pas épargner ses personnages qui se retrouvent au contraire confrontés à des situations forts cruelles. L’auteur revient ici à l’essence même du mythe de l’ogre et ce n’est pas sans un frisson d’inquiétude que le lecteur assiste à la transformation progressive de Vidal en cette créature avide de chaire fraîche et dont la monstruosité ne tarde pas à se manifester de la plus atroce des façons. Le récit alterne entre les points de vue des trois protagonistes, Aube d’abord, puis le mage Peyr (qu’on retrouvera ensuite dans le dernier texte puisqu’il s’agit du héros de « Les eaux de sous le monde »), et enfin le voisin-ogre, Vidal. J’ai à nouveau été très sensible à la plume de l’auteur qui donne l’impression d’avoir ciselé la moindre phrase pour la rendre la plus évocatrice et la plus juste possible. Le roman permet également d’accentuer une facette déterminante de l’univers de Stefan Platteau qui donne à voir ici la redoutable influence que les astres peuvent exercer sur les humains qui vivent sous leur lumière. On retrouve à nouveau un côté horrifique et une noirceur qui rendent le monde dépeint plus inquiétant, et par conséquent plus fascinant.

Crue et fantôme(s)

Le dernier texte, « Les eaux de sous le monde » est lui aussi une vraie réussite et constitue la plus grosse partie du recueil puisqu’il compte plus de deux cent pages. Le roman met en scène le mage Peyr, peu de temps après sa confrontation éprouvante avec l’ogre qui fut autrefois son voisin. Le voici ici en mission dans une ville victime depuis des jours d’une crue dévastatrice dont les eaux occupent encore une bonne partie de la cité. C’est dans ces circonstances que le personnage va être sollicité pour régler une querelle opposant les deux institutions spécialisées dans le soin aux pauvres et aux malades : le Saharon et le Nimiron. Toutes deux ont pour particularité d’être exclusivement tenues par des femmes, mais les deux ordres possèdent des méthodes et une philosophie bien différentes. C’est pour le compte de l’abbesse du Saharon que Peyr est envoyé au Nimirion afin de débarrasser les lieux du fantôme qui hante ses murs depuis le début de la crue. Les tensions qui couvent entre les deux ordres incitent en effet la Révérente-Mère à suspecter une manigance de leurs concurrentes qui, pour calmer le jeu, ont décidé de faire intervenir le mage. Or ce dernier est loin d’imaginer où il met les pieds ! La nouvelle est construite comme une enquête, le protagoniste étant envoyé collecté des informations pour résoudre un problème à priori banal mais qui va se révéler plus complexe que prévu en raison du passé mouvementé de la communauté dans l’intimité de laquelle il va s’inviter malgré l’hostilité affichée d’une partie des soeurs.

Enquête sur et sous le monde

On pense beaucoup au roman « Le nom de la Rose » d’Umberto Eco tant les deux ambiances se ressemblent de même que l’intrigue : il s’agit en effet dans les deux cas de percer les secrets d’une communauté dans laquelle règne une véritable omerta et que plombe un lourd passé. L’intrigue est astucieusement construite et permet de maintenir le lecteur en haleine tout au long du récit qui nous donne là encore quelques sueurs froides. Le roman n’est toutefois pas exempt d’humour, et on reconnaît bien lors de brèves scènes la marque de fabrique de l’auteur qui se plaît à glisser ici et là quelques références grivoises. Les personnages sont rapidement caractérisés mais bien campés, si bien qu’on s’attache vite à la plupart de ces sœurs qu’on apprend à connaître par le biais des fantômes qui les hantent. La crue a en effet eu comme conséquence de faire remonter à la surface des créatures ou des souvenirs issus de l’Inframonde, et ces derniers vont considérablement mettre à mal l’apparente tranquillité des Servantes. Le récit ne souffre d’aucun temps mort, l’enquête étant régulièrement ponctuée de rebondissements et, lors des rares moments d’accalmie, on prend autant de plaisir à en apprendre davantage sur l’histoire des deux ordres et sur l’ingéniosité avec laquelle ils trouvèrent des moyens de se saborder mutuellement qu’on en prenait à tenter de percer le mystère de l’esprit hantant les murs du Nimirion. L’univers des Sentiers des astres gagne ici encore en complexité, le lecteur ayant l’impression que les événements évoqués et les lieux visités jusqu’à présent ne représentaient finalement qu’une toute petite partit d’un tout bien plus vaste et bien plus riche. Une fois n’est pas coutume, l’auteur n’a pas son pareil pour donner vie à des femmes inspirantes, pleines de contradictions et de failles mais qui font malgré tout preuve d’un courage admirable. Le personnage d’Azal, hommage de l’auteur aux malades de la poliomyélite, est à cet égard une vraie réussite, mais il en va de même de la plupart des Servantes qui sont évoquées et qui, toutes, à un moment ou un autre, parviennent à toucher le cœur du lecteur.

« Les embrasés » est un recueil de trois textes permettant de retrouver ou de décourir l’univers des « Sentiers des astres » par le biais d’une nouvelle et deux courts romans. Qu’ils relatent un événement clé de la guerre civile opposant Luari et Souranès, la confrontation entre une famille et leur voisin perverti par un astre malveillant, ou bien l’enquête menée par un mage afin de faire disparaître le fantôme hantant les couloirs d’une communauté de sœurs guérisseuses, tous les textes possèdent les mêmes qualités et ravissent aussi bien par la profondeur qu’ils laissent entrevoir de l’univers de l’auteur, que par la qualité de leurs personnages. La plume de l’auteur est quant à elle toujours aussi soignée et toujours aussi immersive, ce qui n’en rend les textes que plus irrésistibles. « Les embrasés » ravira ainsi aussi bien les connaisseurs de l’œuvre de Stefan Platteau que les lecteurs qui souhaiteraient la découvrir. A lire !

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.