Ars Obscura, tome 1 : Sorcier d’empire
Titre : Sorcier d’empire
Cycle/Série : Ars obscura, tome 1
Auteur : François Baranger
Éditeur : Denoël
Date de publication : 2023 (mars)
Synopsis : 1815. Napoléon Ier a conquis l’Europe grâce aux pouvoirs d’Élégast, un sorcier dont nul ne sait rien et qui est le seul capable de pratiquer l’Art Obscur : une forme de magie aussi puissante que terrifiante. En dépit de la force militaire de la France, la population vit dans la crainte des bulles noires, ces manifestations surnaturelles violentes qui engloutissent les gens et libèrent des hordes de monstres semant la mort dans les campagnes. Ludwig Arcerese, un mercenaire qui a tout oublié de son passé, s’est spécialisé dans la traque de ces créatures. Lorsqu’il croise la route d’Éthelinde Ordant, une étrange naturaliste recherchée par toutes les polices de l’Empire, celle-ci ne peut que constater l’impossible : Ludwig sait lui aussi faire appel aux forces de l’Art Obscur. Les deux marginaux vont unir leurs efforts afin de comprendre qui est cet effrayant sorcier, et quels sont ses noirs desseins. Antique confrérie de mages, espions à la solde de l’étranger, mystérieuses entités ésotériques, comploteurs travaillant à la chute de l’Empereur, secte russe d’adorateurs d’un dieu sanguinaire… Chacun joue son rôle dans ce récit épique, les uns pour empêcher le monde de sombrer dans les ténèbres, les autres pour l’y plonger.
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Une uchronie napoléonienne
« Ars obscura » est le premier tome d’une nouvelle série signée François Baranger, bien connu dans le petit monde de l’imaginaire français, autant pour ses précédents romans (notamment le diptyque « Dominum Mundi ») que pour ses nombreuses illustrations de couverture. Son roman se déroule au début du XIXe et relève de l’uchronie puisque nous sommes en 1815 et que la Restauration n’a pas eu lieu, Napoléon Bonaparte restant maître d’une bonne partie de l’Europe. Cette déviation par rapport à notre histoire s’explique essentiellement par l’irruption à la fin du XVIIIe d’Elegast, un sorcier doté de puissants pouvoirs qu’il a choisi de mettre au service du futur empereur, alors seulement général conduisant une campagne décisive en Égypte à la demande du Directoire. Alliée à son génie militaire, la magie fournie par cet allié inespéré a complètement renversé l’ordre du monde et permis à Napoléon d’étendre son influence sur des territoires jusqu’à présent préservés de son ambition, à commencer par l’Angleterre, désormais soumise au joug français. L’arrivée de celui que l’on nomme désormais avec crainte le « Sorcier d’Empire » s’est toutefois accompagnée de l’apparition de « bulles noires » un peu partout sur le territoire : des sortes de portails livrant passage à des résurgions, des créatures toutes plus monstrueuses et mortelles les unes que les autres et qui font régner un climat de terreur permanente dans les campagnes. C’est dans ce contexte que nous faisons la connaissance de plusieurs personnages dont les destins vont se croiser pour le meilleur comme pour le pire. Parmi eux, on trouve, pêle-mêle, Ludwig, un chasseur de résurgions ayant perdu sa famille de façon tragique ; Hélade, un officier appartenant à la très décriée troupe placée sous l’autorité directe du Sorcier d’Empire ; Ethelinde, une jeune naturaliste amatrice d’art obscure justement pourchassée par les sbires d’Elegast ; mais aussi Irénion, un soldat chargé du maintien de l’ordre, Jonas, un espion anglais, ou encore Nicolas, le frère du tsar de Russie qui se livre à de curieuses expérimentations.
Monstres et magie dans la France du XIXe
Le roman comprend donc beaucoup de personnages que l’on va suivre à tour de rôle, chaque chapitre portant le nom de l’un d’entre eux et se focalisant sur son point de vue. Un procédé qui permet de rendre la lecture plus dynamique mais qui a pour revers de perdre le lecteur dès lors que ces points de vues se multiplient. Et c’est un peu le cas ici puisque, si on suit globalement avec intérêt l’ensemble des protagonistes évoqués plus haut, il faut admettre que changer constamment de personnage au début d’un roman rend l’immersion plus compliquée, d’autant que les liens qu’ils entretiennent les uns avec les autres n’apparaissent que tardivement. Les cent premières pages ont ainsi un petit côté brouillon, puis les différentes trames narratives se rejoignent enfin et permettent au roman de gagner en fluidité et en rythme. On peut alors pleinement profiter du cadre offert par l’auteur qui puise ici son inspiration dans une période historique rarement utilisée en fantasy : le XIXe siècle. La reconstitution de l’époque est convaincante, d’autant que l’auteur ne limite pas son décor aux lieux de pouvoirs comme c’est généralement le cas mais nous entraîne sur les routes et dans les campagnes. L’immersion n’en est que plus forte tandis que le va-et-vient entre différentes ambiances permet d’avoir un aperçu complet du contexte de l’époque, l’auteur insistant aussi bien sur la montée du sentiment d’insécurité dans les campagnes ou sur la façon dont les gens se protègent et se déplacent que sur les manigances auxquelles se livrent les hommes les plus puissants de l’empire afin de limiter l’influence du sorcier. Les informations distillées par l’auteur à propos de ce dernier sont pour le moment très parcellaires et devraient sans doute s’étoffer dans les tomes à venir. De même, on ignore pour le moment presque tout de cet art obscure et de la façon dont il fonctionne, ce qui peut s’avérer légèrement frustrant compte tenu de la place qu’occupe cette étrange magie dans l’intrigue.
Quelques déceptions
En dépit de ses qualités le roman souffre de quelques maladresses qui, sans être rédhibitoires, n’en demeurent pas moins problématiques. Parmi ces bémols on peut mentionner la place accordée aux personnages féminins qui sont bien peu nombreux et, pour celles mises sur le devant de la scène, bien trop stéréotypées. On retrouve ainsi le cliché de l’espionne lascive et cruelle, mais aussi celui de la jeune femme bad-ass désireuse d’assouvir une vengeance familiale, ou encore de l’amante idéalisée par son compagnon pour qui elle incarne le bonheur domestique. Ethelinde est la seule à bénéficier d’un traitement un peu plus approfondi qui permet de la rendre sympathique mais il s’agit là d’une exception. L’auteur a de plus tendance à systématiquement tomber dans le même travers dès lors qu’il dépeint un personnage féminin puisque toutes sont définis (évidemment) par leur physique, mais aussi par l’attention qu’elles portent aux hommes. Difficile également par moment de se départir de l’impression d’avoir à faire à une scène de « Witcher » tant les similitudes sautent aux yeux (un chasseur de monstres, des attaques de bêtes plus hideuses les unes que les autres dans la forêt, l’aide d’une magicienne…). Certes, cela donne lieu à de belles scènes d’action, mais la référence est ici un peu trop marquée pour ne pas faire tiquer. On peut également regretter que certains éléments de l’intrigue se révèlent trop prévisibles, certains rebondissements n’en étant pas vraiment dans la mesure où on les voit arriver longtemps à l’avance. Enfin, j’ai trouvé les méchants de l’histoire vraiment très caricaturaux puisque tout ce que l’on sait d’eux est qu’ils n’hésitent pas à utiliser n’importe quel individu comme cobaye ou chair à canon, et ce sans le moindre remord. Seule compte pour eux l’atteinte de leur objectif, et les nombreux actes de cruauté dont ils se rendent coupables les rendent finalement assez peu crédibles.
« Sorcier d’empire » est le premier volet d’une série de François Baranger consacrée à une uchronie se déroulant au début du XIXe et basée sur la survie du Premier Empire et de Napoléon après 1815 grâce à l’aide d’un puissant sorcier capable de manier « l’art obscure ». Immersif et dynamique, ce premier tome permet de poser les bases du contexte et de l’intrigue qui souffre, malgré tout l’intérêt qu’on lui porte, de légères maladresses, notamment en ce qui concerne la représentation des femmes et la capacité à surprendre le lecteur. L’histoire est tout de même alléchante, aussi espérons que ces défauts seront corrigés dans le prochain volume.
Voir aussi : Tome 2
Autres critiques : Lhotseshar (Au pays des cave trolls)
3 commentaires
belette2911
Coucou,
Il me faisait de l’oeil, alors je l’ai acheté. Bon, mince pour les bémols… mais maintenant que je le sais, ça passera peut-être mieux ! mdr
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