Fantasy

L’héritage de l’esprit-roi

Titre : L’héritage de l’esprit-roi
Auteur : Claire Krust
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2022 (août)

Synopsis : Shinya est l’onmyoji impérial. Maniant l’illusion et la divination, il est le garant de l’équilibre entre le monde des humains et celui des esprits, à la fois protecteur, juge et bourreau. Quand la fiancée de l’empereur est victime d’une étrange malédiction, c’est à lui de mener l’enquête. Shinya se lance sur les traces du coupable, mais celles-ci semblent conduire tout droit vers un lieu de son propre passé, qu’il pensait oublié… D’où vient la longévité extraordinaire de Shinya et la marque noire qui apparaît parfois sur son front ? Quel prix l’onmyoji est-il prêt à payer pour maintenir l’équilibre ?

Des esprits et des hommes

Apparue sur la scène de l’imaginaire français avec son recueil de nouvelles fantastiques « Les neiges de l’éternel » en 2015, Claire Krust revient avec un nouveau roman fortement inspiré lui aussi de la culture japonaise. L’ouvrage met en scène Shinya, un homme occupant la prestigieuse fonction d’onmyoji impérial, traquant sur tout le territoire les esprits susceptibles de s’en prendre aux humains et de menacer le fragile équilibre régnant entre leurs deux mondes. Peu intégré à la cour où il s’est fait de redoutables ennemis, notre héros se voit confier la mission de retrouver l’esprit à l’origine d’une malédiction lancée sur la fiancée de l’Empereur. Or l’onmyoji croit reconnaître, à défaut de l’instigateur, au moins la provenance du sort : une cité perdue dans une forêt lointaine et dans laquelle des centaines d’esprits se sont réunis, à l’insu des humains, pour y vivre seuls et libres. Un lieu dangereux, d’autant plus pour les simples mortels, et où notre homme va devoir se rendre aux côtés de compagnons de route qui pourraient bien à tout moment se retourner contre lui. Parmi eux Sayo, grande magicienne à qui le poste d’onmyoji aurait du revenir et qui couve une grande rancune à l’égard de Shinya, mais aussi Moroyo et Aï, deux esprits capturés par le héros et qu’il maintient captif dans son esprit afin de profiter de la puissance qu’ils ont à offrir. Le roman se focalise sur le point de vue de l’un de ces esprits, celui d’une jeune femme nouvellement intégrée à Shinya et qui doit donc se familiariser peu à peu, de la même manière que le lecteur, à son nouveau cadre et ses limites. Le récit est entrecoupé de longs chapitres sous forme de flash-back dans lesquels nous découvrons le passé de l’onmyoji, de son enfance à son entrée au service de l’empereur en passant par ses années passées en compagnie des esprits de la ville de l’esprit-roi. Quelques chapitres permettent de temps à autres de décentrer l’histoire du protagoniste en donnant le point de vue d’un personnage mineur, mais ils sont relativement peu nombreux et ont davantage pour objectif de faire avancer l’intrigue que de mettre en avant d’autres acteurs.

Belle ambiance mais manque de profondeur

L’histoire mise en scène par Claire Krust n’est pas particulièrement dense mais elle est efficace et prend rapidement une direction inattendue. Les scènes se déroulant dans le passé et permettant de mieux cerner la personnalité de Shinya sont aussi intéressantes que celles du présent et permettent de lever progressivement le voile sur les interrogations qu’on pouvait avoir concernant la ville de l’esprit-roi. Celle-ci ne manque d’ailleurs pas d’éveiller la curiosité, et c’est avec plaisir que l’on se familiarise non seulement avec les spécificités qui régissent la vie des esprits mais aussi avec les esprits eux-mêmes : leur apparence parfois étonnante, leur puissance, leur histoire… Le roman ne manque donc pas d’action ni de surprises, mais le récit reste avant tout intimiste et accorde beaucoup d’importance aux relations tissées entre les personnages. Le problème, c’est que ces relations manquent de profondeur, si bien que, aussi plaisante que soit l’histoire, l’implication émotionnelle du lecteur reste limitée. Les grands drames aussi bien que les retrouvailles ne suscitent ainsi que peu de réactions, et cette distance affective amoindrit peu à peu l’intérêt que l’on porte au récit. Les particularités de la culture ou du folklore japonais exploitées ici remplissent néanmoins leur rôle et permettent d’instaurer une ambiance qui, elle, est à même de relancer régulièrement la curiosité du lecteur. J’ai pour ma part été assez sensible à la volonté de l’autrice d’aborder la question de la condition féminine dans son univers et de mettre en scène une proportion égale de personnages masculins et féminins, qu’ils soit esprits ou humains. Cet aspect est très présent au début du roman, avec une insistance sur l’importance de donner naissance à un héritier ou sur les violences dont certaines peuvent être victimes dans l’intimité du foyer, mais ces questionnements disparaissent à mesure que l’action prend le pas sur l’exposition de l’univers. De même, on peut regretter que l’ébauche de réflexion concernant les difficultés du personnage à se construire avec des stéréotypes du genre qui le mettent mal à l’aise soit si rapidement abandonnée.

« L’héritage de l’esprit-roi » est un roman agréable à lire qui met en scène un univers inspiré de la culture japonaise et raconte la difficile cohabitation entre le monde des humains et celui des esprits. Les personnages manquent cependant de profondeur, ce qui donne à l’ensemble un côté un peu simpliste et limite l’implication émotionnelle du lecteur.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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