Fiction historique

Azincourt par temps de pluie

Titre : Azincourt par temps de pluie
Auteur : Jean Teulé
Éditeur : Mialet Barrault
Date de publication : 2022 (février)

Synopsis : Azincourt, un joli nom de village, le vague souvenir d’une bataille perdue. Ce 25 octobre 1415, il pleut dru sur l’Artois. Quelques milliers de soldats anglais qui ne songent qu’à rentrer chez eux se retrouvent pris au piège par des Français en surnombre. Bottés, casqués, cuirassés, armés jusqu’aux dents, brandissant fièrement leurs étendards, tous les aristocrates de la cour de France se précipitent pour participer à la curée. Ils ont bien l’intention de se couvrir de gloire, dans la grande tradition de la chevalerie française. Aucun n’en reviendra vivant. Toutes les armées du monde ont, un jour ou l’autre, pris la pâtée, mais pour un désastre de cette ampleur, un seul mot s’impose : grandiose !

Épisode épique plein d’étincelles de percussion, c’est une fureur nue. O désastre, pitié, jour à jamais célèbre, la moitié de la chevalerie du bataillon a péri en seulement une paire d’assauts de lors anglais. Ceux, serrés, du troisième rang, hésitent, hagards, mais y vont quand même, faut être bête !

Récit d’une défaite grandiose

Toujours friand d’anecdotes cocasses mêlant le tragique et l’absurde, Jean Teulé s’est déjà penché sur nombre d’événements historiques qu’il s’agisse d’un fait divers faisant état du massacre d’un homme par une foule devenue cannibale au XIXe (« Mangez-le si vous voulez »), d’un épisode de transe collective à Strasbourg au XVIe (« Entrez dans la danse »), ou encore du combat livré par le marquis de Montespan pour dénoncer son cocufiage par le roi Louis XIV (« Le Montespan »), ce à quoi il faut ajouter quantité de biographies déjantées consacrées à des figures marquantes, notamment des écrivains (le plus récent en date étant Baudelaire). Avec son nouveau roman, l’auteur nous plonge au XVe siècle, en pleine guerre de Cent Ans, et plus précisément en 1415 où se déroula la fameuse bataille d’Azincourt. France et Angleterre sont alors en conflit depuis les années 1330 et s’opposent, entre autre, sur la question de la légitimité du roi anglais à siéger sur le trône de France. En 1415, Henri V débarque avec ses troupes sur le sol français et, après s’être emparé de la ville d’Harfleur, décide de rejoindre Calais puis l’Angleterre, son armée ayant été décimée davantage par la maladie (des huîtres avariées !) que par les combats. La chevalerie française décide de profiter de la faiblesse de l’Anglais et l’accule à Azincourt où l’issue de l’affrontement paraît courue d’avance tant la supériorité numérique des Français est écrasante. Or, la bataille est justement restée célèbre en raison de la défaite monumentale subit sur place par la chevalerie française qui vit ses effectifs fondre considérablement suite à l’affrontement, y compris au sein de la haute-noblesse. La fine-fleur des chevaliers paiera ainsi très cher son excès de confiance qui la poussa à commettre une série d’erreurs stratégiques plus stupides les unes que les autres et que ne manqua pas d’exploiter Henri V, fin tacticien disposant pourtant d’une force limitée parmi laquelle figurent les fameux longbowmen dont les arcs causèrent des dégâts considérables. Un échec inattendu de cet ampleur, forcément, ça parle à Jean Teulé !

L’un des opposants politiques évoqués, l’Armagnac, s’était choisi deux épis d’orge pour nouvel emblème. L’autre, le Bourguignon, qui ne pouvait pas saquer son noble confrère, avait alors changé le sien par de l’ortie, sous-titré de la devise : « Attention, qui s’y frotte s’y pique ! » La menace était claire mais c’était sans compter sans la réplique du premier qui vira alors l’orge de sa bannière pour le remplacer par un bâton noueux utilisé dans les campagnes afin de saccager la plante urticante. Au motif représenté il fit ajouter l’expression JE LENNUIE (comprendre : « Je l’emmerde, ce fils de pute, et je vais lui pourrir sa gueule. »).

Quand le tragique côtoie l’absurde

Le roman est court (deux cents pages) et s’inscrit dans la droite lignée des autres ouvrages de l’auteur à la patte si particulière. C’est cru, sordide, absurde souvent, poétique parfois, si bien que cela ne plaira évidemment pas à tout le monde. Teulé décide de se focaliser uniquement sur trois journées, celle de la bataille, celle qui lui a précédé et celle qui lui a succédé, et alterne entre les points de vue d’une multitude de personnages, anonymes ou grands seigneurs, Anglais ou Français, combattants ou simples observateurs. La particularité de l’ouvrage réside notamment dans le fait qu’il n’y a pas vraiment de protagonistes récurrents (à l’exception d’une seule, mais j’y reviendrai) : on passe d’un individu à un autre au fur et à mesure que la bataille avance, même si des figures incontournables comme Henri V, le chef de l’armée française ou certains nobles parmi les plus célèbres comme Charles d’Orléans, reviennent à plusieurs reprises, quoi que brièvement. Le résultat est réussi et rend le récit particulièrement immersif tout en donnant à voir les effets et conséquences du conflit sur l’ensemble des participants, et pas seulement sur la noblesse. Autre choix incongru de l’auteur, celui de mettre en scène comme personnage « fil rouge », chargé de nous guider tout au long du récit, une prostituée envoyée divertir le camp français et qui, par ses remarques pertinentes concernant la désorganisation des troupes, le manque de praticabilité du terrain choisi ou l’inconséquence avec laquelle les combattants traitent leurs armes (ils s’en repentiront !) permet de pointer du doigt les erreurs majeures commises par les Français. Soyons honnête, ça permet aussi à Teulé de multiplier les scènes de sexe plus absurdes et glauques les unes que les autres, à l’image de ce qu’il a pu faire dans le reste de sa bibliographie. Un ton cru qui pourra déplaire à certains lecteurs et qui, même parmi les amateurs de l’auteur (dont je suis), peut parfois mettre très mal à l’aise tant ce dernier va parfois loin dans la surenchère.

Trop bloquée en ses immuables principes ancestraux, la fantastique chevalerie française paie cash sa vanité et son incapacité à s’adapter aux temps nouveaux. Les Anglais ont contrevenus aux codes de la guerre, et alors, ce n’est pas une partie de cricket !

Une plume inimitable

Mais Jean Teulé c’est aussi, paradoxalement, une belle plume avec de jolis moments de grâce et, toujours, une volonté d’utiliser l’humour et de souligner le grotesque de chaque situation, même parmi les plus tragiques. Pour se faire, l’auteur use d’un registre de langue familier, n’hésitant pas à se montrer ordurier ou à multiplier les interjections aux personnages eux-mêmes ou au lecteur. Cela donne lieu à des échanges surréalistes entre les combattants et à des passages hilarants au cours desquels Teulé s’amuse à accentuer le contraste entre la manière ampoulée de s’exprimer de la noblesse française et celle, crue et sans concession, de l’écrivain lui-même. L’humour naît aussi des anecdotes plus croustillantes les unes que les autres dénichées par Teulé et qui parsèment le récit de la bataille, des crises de folie du roi Charles VI au choix des bannières des Armagnacs et des Bourguignons, en passant par le massacre des prisonniers français ou encore à l’arrivée tardive de nobles dont les forces ne purent participer à la bataille. En dépit du ton volontiers désinvolte employé par l’auteur, ce dernier nous livre d’ailleurs un récit de bataille historiquement fort documenté, Teulé ayant pris soin de consulter d’abondantes sources afin de livrer à ses lecteurs le plus de détails possibles concernant la disposition des troupes, leur équipement, leurs bannières ou encore leurs choix tactiques. Qu’on apprécie ou pas le style, ce travail de recherche permet incontestablement de renforcer l’immersion du lecteur, pas seulement au coeur de cette bataille mémorable mais, plus largement, dans ce XVe siècle dans lequel la chevalerie française paraît totalement dépassée car engluée dans ses traditions ridicules et incapable de s’adapter à de nouveaux usages.

Cuisante et tragique défaite française, la bataille d’Azincourt se transforme sous la plume de Jean Teulé en un affrontement absurde où toutes les bourdes possibles et imaginables ont été commises par les Français, au bénéfice de leur adversaire anglais pourtant clairement désavantagé. L’auteur reste fidèle à lui-même, usant d’un ton cash, multipliant les scènes de sexe ou de massacres plus glauques les unes que les autres et pointant du doigt les anecdotes historiques les plus cocasses. Inutile de vous dire que, pour lire une bataille racontée par Teulé, il faut avoir le coeur bien accroché !

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

Un commentaire

  • belette2911

    J’avais lu une critique dans le journal de mon père et elle ne donnait pas envie de le lire… Avec la tienne, j’hésite, mais vu tout ce que j’ai encore à lire, je pense que je vais laisser les chevaliers dans la boue d’Azincourt… 😉

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