Fantasy

Le Chien du Forgeron

Le Chien du Forgeron

Titre : Le Chien du Forgeron
Auteur : Camille Leboulanger
Éditeur : Argyll [site officiel]
Date de publication : 19 août 2021

Synopsis : Approchez, approchez ! Alors que tombe la nuit froide, laissez-moi vous divertir avec l’histoire de Cuchulainn, celui que l’on nomme le Chien du Forgeron ; celui qui s’est rendu dans l’Autre Monde plus de fois qu’on ne peut le compter sur les doigts d’une main, celui qui a repoussé à lui seul l’armée du Connacht et accompli trop d’exploits pour qu’on les dénombre tous.
Certains pensent sans doute déjà tout connaître du Chien, mais l’histoire que je m’apprête à vous narrer n’est pas celle que chantent les bardes. Elle n’est pas celle que l’on se raconte l’hiver au coin du feu. J’en vois parmi vous qui chuchotent, qui hésitent, qui pensent que je cherche à écorner l’image d’un grand homme. Pourtant, vous entendrez ce soir la véritable histoire du Chien. L’histoire derrière la légende. L’homme derrière le mythe.
Approchez, approchez ! Venez écouter le dernier récit d’un homme qui parle trop…

Coup de coeur

La sagesse est l’apanage du fort qui n’use pas de sa force à moins d’y être contraint. Le guerrier sage est le guerrier qui sait qu’il n’y a pas de plus grande richesse que la paix et qu’il ne doit faire la guerre que s’il n’a d’autre choix. Le meilleur des guerriers est le guerrier le plus sage : celui qui ne tire jamais son fer du fourreau sans provocation.

Les jeunes éditions bretonnes Argyll proposent d’ores et déjà romans et essais, et notamment cet été 2021, le cinquième ouvrage de Camille Leboulanger, Le Chien du Forgeron, un roman mythologique celtique !

Un héros à la mode celtique

Pour son cinquième roman, Camille Leboulanger nous conte l’histoire de Cuchulainn. Enfin, plutôt un narrateur qui l’a bien connu nous propose de passer la nuit à l’écouter conter ce qu’il a vu, entendu et compiler comme aventures de ce personnage mythique pour son auditoire. Du fin fond de l’Ulaid, Cuchulainn est le neveu honni du roi « choisi par son peuple », le jeune qui ne cherche qu’à briller et à devenir le héros parfait. Tout petit, il n’est que Setanta, fruit d’un amour inexistant entre une princesse revancharde et un seigneur vieillard. Sa conception est déjà sujette à toute une controverse sur son origine divine ou non liée à Lug, un des Fils de Dana. Étape après étape, Setanta se construit à la fois une aura certaine et un certain mépris (des autres, comme de lui vis-à-vis des autres) : il combat nu pour être plus celte que les autres, il provoque des défis forcément incroyables et il se lance « à l’assaut » de la plus belle jeune femme de son âge. Bref, il cherche la merde et la trouve, au point donc de rapidement être surnommé le « Chien du Forgeron », le Cuchulainn. Enchaînant les challenges héroïques, la seule question qui s’impose est : jusqu’à quelle extrémité s’arrêtera-t-il pour se dire satisfait de la gloriole qu’il aura accumulée ?

Un personnage mythique

Je dois le confesser, la mythologie celtique est une de celles que je connais le moins, par rapport notamment à la romaine, grecque, égyptienne, nordique, proche-orientale et mésopotamienne. Après quelques recherches très rapides (et post-lecture), le Chien du Forgeron semble être un semblant du Hercule romain (ou du Héraklès grec), du Horus égyptien, du Thor nordique ou du Gilgamesh mésopotamien : il se doit d’enchaîner (de par sa volonté ou contre son gré) des aventures épiques afin de conquérir ou de conserver son prestige, dans une quête d’immortalité plus ou moins assumée. Dans ce but, l’auteur réunit ici les principales aventures liées au personnage, notamment celles présentes dans La Conception de Cuchulainn (Compert Con Culainn), La Courtise d’Emer (Tochmarc Emire) ou La Razzia des vaches de Cooley (Tain Bo Cuailnge). Ainsi, il a de quoi enchaîner aventures et péripéties de façon assez méthodique, les connaisseurs retrouveront les passages classiques du personnage de Cuchulainn, et cela marque un rythme plutôt soutenu où la lecture se fait à grande vitesse. Mais, pour le protagoniste, l’épique est à double tranchant : certes les faits d’armes parlent pour lui, mais dès qu’il a une action non guerrière, dès qu’il ouvre la bouche, dès qu’il agit en public, c’est un pauvre type. On pourrait dire qu’il est un être inadapté, mais non, il est juste détestable, car au contraire il est très adapté au type de société à laquelle il participe. Cela est d’autant plus souligné et original que le narrateur est drôle et facétieux comme un Thot ou un Hermès du pauvre, ou plutôt une version alcoolique ici, puisqu’il agrémente ses remarques désobligeantes sur Cuchulainn d’innombrables appels à remplir sa coupette. Et on serait tenté de l’imiter…

Sus au virilisme !

Camille Leboulanger en est à son cinquième roman et Le Chien du Forgeron est clairement son plus réussi. Enfin la nuit (2011), Bertram le Baladin (2017), Malboire (2018) et Ru (2021) ont leur charme particulier, mais dans celui-ci, le style est maîtrisé de bout en bout, la longueur correspond parfaitement au protagoniste choisi et le ton est ciselé. Camille Leboulanger narre les aventures de Cuchulainn, mais avec les yeux d’un jeune trentenaire du début du XXIe siècle (ça me parle). Là où d’autres récits feraient du protagoniste un parangon de bravoure et d’héroïsme, l’auteur nous met la réalité en face des yeux : le Chien du Forgeron est un être violent, égocentrique et pour qui les relations avec les filles et les dames peuvent se résumer à l’adage patriarcal « La femme est une conquête »… Camille Leboulanger nous met donc tout ça bien en face pour démonter le virilisme ambiant dans ce type de mythes guerriers. Pour glisser quelques touches de féminisme en contrepoint du personnage envahissant du Chien, il est pourtant compliqué de trouver des personnages intéressants : ses mère et grand-mère sont plutôt dans le moule que leur présentent leur famille et leur situation matrimoniale, ses mentors (le druide grand-père, le Forgeron, son oncle le roi, etc.) sont plutôt du genre à fuir ce jeune guerrier qui veut tout ramasser. Il reste trois contrepoints très intéressants : le meilleur ami, Ferdiad, qui le soutient tout du long de ses épreuves au mépris de sa propre réussite ; Scathach, la magicienne du Nord et ses (à ce titre, le passage dans la « forteresse des femmes » est particulièrement juste) ; et, bien sûr, le narrateur lui-même. Eux trois mettent Cuchulainn devant ses contradictions primordiales (tout résoudre par la force l’oblige à s’user pour rien mortel ; son mépris vis-à-vis des autres lui attire plus d’ennuis qu’il ne peut en gérer ; sa recherche de gloire éternelle le prive d’un bonheur).

Avec Le Chien du Forgeron, Camille Leboulanger est très habile : il s’est approprié un héros de la mythologie celtique pour le réinterpréter de manière efficace et bien écrite, c’est à lire !

Autres critiques :
Célinedanaë (Au pays des Cave Trolls)
Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres)

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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