Récit contemporain

L’Enfer

L'Enfer

Titre : L’Enfer
Auteur : Gaspard Koenig
Éditeur : Éditions de l’Observatoire (Fiction) [site officiel]
Date de publication : 6 janvier 2021

Synopsis : Un conte philosophique pour notre époque.

C’est là que je réalisai toute mon erreur : je n’étais pas au Paradis, mais en Enfer. La torture éternelle, ce n’était pas la chaux et les pinces, mais un salon d’attente avec sièges inclinables.

À l’occasion d’une nouvelle Masse critique Babelio, j’ai pu lire le roman L’Enfer, de Gaspard Koenig, paru chez les éditions de l’Observatoire.

Terminal de l’au-delà

Après sa mort, un homme non nommé, professeur d’économie, universitaire à la retraite, débarque dans un terminal d’aéroport et découvre qu’il y a une vie après la mort. Et en plus, c’est une vie illimitée ! L’argent est infini, les voyages sont constants et le temps ne vous interdit rien ! Il commence par enchaîner les voyages dans des destinations exotiques, mais les visites semblent se limiter aux terminaux d’aéroports et aux files d’attente. Il recherche alors un nouveau sens à son existence (difficile de parler de « vie » vu le contexte). Ainsi, le narrateur rencontre des employés numérotés, des personnages historiques et finalement des personnes qui éveillent sa conscience individuelle du temps qui passe. Il finit par désespérer de trouver un intérêt à rester dans cet endroit clos au point d’avoir l’impression d’être en enfer ; il recherche les angles morts de cet Enfer : est-il possible de stopper ce flux constant afin de trouver enfin un lieu de repos éternel ?

Conte politique sur la mort annoncée du néolibéralisme

La quatrième de couverture évoque un « conte philosophique pour notre époque », le lecteur s’attend donc à des enseignements sur notre société. En s’inspirant fortement (exergues à l’appui) de L’Enfer de Dante, Gaspard Koenig met en scène ce professeur d’économie dans un univers d’au-delà très ordonnancé ; sous couvert de cette mise en scène, Gaspard Koenig aborde la société du début du XXIe siècle sous le prisme de l’homo oeconomicus. Le personnage principal se questionne énormément sur le système qu’il rencontre, qu’il trouve à la fois très contraignant et pourtant tout à fait en accord avec un certain nombre des principes libéraux qu’il a défendus toute sa vie. Péripéties après attentes, le narrateur évoque notre rapport à la mort, évidemment, mais aussi celui à la consommation, à l’économie en général. Il dépeint un au-delà qui contrôle les humains dans tous les aspects de leur mort, qui continue à les réglementer constamment, les fait valdinguer d’un terminal à l’autre (terminal d’aéroport ou terminal de paiement d’ailleurs) et les guide vers un flux sans fin. On peut lire facilement une critique du néolibéralisme, qui met en place un système qui va dans le mur car ne permet pas l’épanouissement individuel, une critique de cette société du flux constant.

Pour aller plus loin

L’auteur semble ainsi défendre le libéralisme, c’est-à-dire un système politique qui laisse l’économie s’organiser par une concurrence la plus totale et libre possible (toute la question est de savoir si une concurrence avec des acteurs si inégaux entre eux peut être libre), en insistant sur la non-ingérence de l’État en matière économique (laisser faire la « libre entreprise »). Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, le libéralisme (relatif selon les pays) s’est souvent mu en néolibéralisme quand il a été soutenu par un fort étatisme ; cela peut être contradictoire au premier abord, mais c’est cohérent quand on constate que des États optent à leurs dépens pour des politiques outrageusement en faveur des acteurs économiques déjà les plus puissants (en ce moment les multinationales). À travers le personnage principal, l’auteur fait le procès de ce système néolibéral. Mais ce serait alors pour le remplacer par quoi ? Peut-être par un libertarianisme tout aussi jusqu’au-boutiste ; ce n’est pas neuf, cela cherche à mettre en place un système sans État (sauf éventuellement pour les fonctions dites « régaliennes ») où la liberté fondamentale est fondée sur le droit absolu de propriété, les droits d’un individu l’emportant toujours sur l’intérêt collectif. Toutefois au bout du compte, un système n’est jamais questionné dans ce roman, le capitalisme, puisque même les personnes devraient être des propriétés, cela ne semble pas lui poser de problème. Car oui, Gaspard Koenig est loin d’être un inconnu qui tente une réflexion parmi d’autres, c’est le président de GénérationLibre, un cercle de réflexion très autocentré et surtout très libéral au sens le plus pur, qu’il définit lui-même comme « une sorte de start-up intellectuelle dotée de la structure professionnelle d’un think tank ». Dans ce roman, on sent bien qu’il essaie d’organiser sa pensée, de la faire avancer, de la polir mais il est plus compliqué de saisir où part son personnage, lui-même étant perdu ; au bout du bout, seule sa propre liberté semble être importante dans ce cheminement.

En somme, L’Enfer n’est pas mauvais (mais rien que de le dire ainsi, ce n’est pas positif non plus). Il est difficile de tirer un enseignement de cette fable, au demeurant pas inintéressante (ok, la formulation n’est pas meilleure). Disons que L’Enfer est pavé d’intentions (voilà, là c’est neutre).

Autres critiques :

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

Un commentaire

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