Fantasy

Trilogie d’une nuit d’hiver, tome 3 : L’hiver de la sorcière

Titre : L’hiver de la sorcière
Cycle/Série : Trilogie d’une nuit d’hiver, tome 3
Auteur : Katherine Arden
Éditeur : Denoël
Date de publication : 2020 (juin)

Synopsis : Un incendie vient de ravager la ville de Moscou. Le grand prince est fou de rage et les habitants exigent des explications. Tous cherchent un bouc émissaire et Vassia, dotée d’étranges pouvoirs, fait une coupable idéale. Le père Konstantin aiguillonne la vindicte populaire pendant que Vassia cherche à réconcilier le monde des humains et celui des créatures magiques.

 

-Tu étais une si gentille enfant la première fois que je t’ai rencontrée, devant ce même arbre, lui fit remarquer l’Ours. Que s’est il passé ?
-Ce qu’il s’est passé ? répondit Vassia. L’amour, la trahison, le temps. Ce qui se passe et amène finalement quelqu’un à vous comprendre, Medved : la vie.

L’ultime combat

« L’hiver de la sorcière » met un terme à la « Trilogie d’une nuit d’hiver », série entamée par Katherine Arden en 2017 (2019 pour la version française) et dont les différents tomes doivent impérativement être lus dans l’ordre (je me permet de le préciser car, à l’exception d’une petite note sur la quatrième de couverture, aucune mention n’indique au lecteur qu’il ne s’agit pas d’un roman indépendant mais d’une suite, ce qui est un peu trompeur…). [Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de lire les tomes précédents, je vous conseille d’ailleurs de vous rendre directement au paragraphe suivant au risque de vous voir révéler des pans importants de l’intrigue.] On retrouve donc notre héroïne, Vassia, juste après les terribles événements mis en scène dans « La fille dans la tour », à savoir l’incendie de Moscou et la défaite du sorcier qui souhaitait s’en prendre à la famille princière. Bien que victorieuse, la jeune fille n’en demeure pas moins toujours en fâcheuse posture puisque le père Konstantin, un prêtre qu’elle fascine autant qu’elle terrifie, et qui a connaissance de sa capacité à voir les créatures magiques, a décidé lui aussi de passer à l’action. Or, son pouvoir de persuasion sur les foules est immense, aussi n’a-t-il guère de difficulté à convaincre la population moscovite que Vassia est bel et bien une sorcière, un qualificatif qu’il ne fait pas bon arborer dans la Russie médiévale… La « fille de l’hiver » n’est d’ailleurs pas la seule à se trouver dans une situation périlleuse, puisque les Tatars menacent d’entrer en guerre contre la Rus’. Or, celle-ci n’a alors rien du grand empire qu’elle deviendra par la suite puisqu’elle est composée de plusieurs principautés qui n’ont pas toutes forcément l’intention de répondre à l’appel du prince de Moscou, certaines envisageant même de combattre du côté tatar. Enfin, une autre menace, plus insidieuse, plane sur la Rus’, celle de Medved, l’esprit du chaos, à nouveau libéré de ses chaînes, et qui tente de rallier à lui tous les tchiorti (Petit Peuple du folklore russe) désireux de combattre les hommes pour ne pas sombrer dans l’oubli auquel les condamne le christianisme.

Incursion féerique dans la Rus’ médiévale

Le premier tome de la trilogie était essentiellement consacré à l’immersion du lecteur dans le contexte religieux de la Russie de l’époque : les différentes créatures du folklore, l’essor de la religion chrétienne, les spécificités propres au culte dans cette région… Le second volume introduisait un certain nombre de nouveaux éléments géopolitiques comme les Tatars et la menace qu’ils représentent depuis des années, mais aussi les liens entre les grands seigneurs de Rus’, ou encore d’autres particularités d’ordre culturel, comme l’isolement forcé des femmes de l’aristocratie russe. Dans ce troisième et dernier tome, la « grande histoire » se fait encore plus présente, puisque la plupart des événements relatés ici par Katherine Arden ont des fondements historiques, à commencer par la grande bataille de Koulikovo, qui eut effectivement lieu en 1380 sur le Don. Le travail de reconstitution historique réalisé par l’autrice tout au long de la série est une très grande réussite, dans la mesure où il permet de se faire une idée du contexte de l’époque, et ce sur des aspects différents mais néanmoins complémentaires : la place de la religion, celle des femmes, les disparités entre les différentes régions qui composent alors la Rus’… L’autrice nous propose aussi et surtout une formidable immersion dans le folklore russe, avec un bestiaire original qui s’étoffe une fois encore dans ce troisième tome. Aux domovoï, roussalka, vazila, banick et liéchi succèdent ainsi bagiennik, dames midi et minuit, ou encore oiseau de feu. Tour à tour agressifs ou curieux, dangereux ou bienveillants, les tchiorti mis en scène sont tous fascinants, et leur rencontre avec l’héroïne donne lieu à des moments féeriques extrêmement marquants, parfois effrayants, parfois émouvants. Outre la mise en avant de la richesse du bestiaire de la Rus’ médiévale, cette incursion dans le folklore permet à l’autrice d’aborder le concept intéressant de « dvoevierie », soit « double foi », et ainsi illustrer une autre spécificité locale historiquement avérée : la coexistence surprenamment pacifique entre le paganisme et l’orthodoxie dans la région.

Une héroïne inoubliable

En dépit de toutes les qualités précédemment citées, la plus grande réussite du roman réside avant tout dans ses personnages, et notamment son héroïne. De l’enfant sauvage et innocente du premier tome, il ne reste aujourd’hui plus grand-chose : Vassia est devenue une jeune femme et est passée par énormément d’épreuves qui l’ont durement confronté à la violence du monde et des hommes. Dotée d’un physique quelconque (oui oui, on peut mettre en scène un personnage féminin intéressant sans forcément en faire une bombe…), mais d’une force de caractère impressionnante, celle que l’on surnomme « snégourotchka » (la fille-de-neige) se révèle être un personnage incroyablement attachant. Cette force de caractère, elle s’observe notamment via la relation qu’elle entretient avec Morozko, le fameux Roi de l’hiver. Le lien qui les unit paraît, il est vrai, au premier abord, complètement stéréotypé, puisqu’on a affaire à une jeune femme qui se juge tout à fait ordinaire et va s’éprendre d’un « homme » tout à fait extraordinaire, qui va lui servir d’amant, de mentor et de guide Bref : Twilight. Or, l’histoire d’amour mise en scène par Katherine Arden n’a strictement rien à voir. Vassia n’a en effet rien d’une Bella : elle entend bien préserver son indépendance et ne pas se laisser enchaîner par cette divinité hivernale qui, certes, l’attire, mais pas au point d’oublier qui elle est ou les responsabilités qui pèsent sur ses épaules. Que cette histoire d’amour ne rebute donc pas les moins romantiques d’entre vous : elle n’occupe qu’une place limitée dans l’intrigue, et elle donne surtout l’occasion à l’autrice de témoigner de la force et de la détermination de son héroïne. Les autres femmes du récit sont elles aussi très bien campées et possèdent, toutes, une force très différente, qu’il s’agisse d’Olga, mère de famille et épouse d’un grand seigneur qui fait preuve d’une abnégation et d’un sens des responsabilités remarquables, ou encore de sa fille, la petite Maria, aussi sauvage et libre que sa tante, et pour cette raison incompatible avec les deux seuls options qu’on laissait alors aux jeunes filles, le mariage ou le couvent. Les personnages masculins sont eux aussi réussis et prennent pour leur part directement leur origine dans l’histoire puisque tant le grande-prince Dimitri Ivanovitch qu’Alexandr Perevest, T’cheli-Bey ou encore Oleg de Rizan sont inspirés de personnages réels.

Katherine Arden conclut magistralement ici sa « Trilogie d’une nuit d’hiver » consacrée à la Rus’ médiévale et à son folklore. Outre la qualité de la reconstitution historique proposée, on peut également saluer celle des personnages mis en scène, à commencer par Vassia, une héroïne inspirante et dont je me souviendrais longtemps. La trilogie vaut également le coup d’oeil pour les thématiques qu’elle aborde, notamment celle de la place des femmes dans la société russe de l’époque, ou encore de la coexistence entre paganisme et christianisme. Une très belle trilogie qui ravira tous les amateurs de fantasy.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 2

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Vert (Nevertwhere)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

7 commentaires

Répondre à Boudicca Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.