Fantasy

Délius, une chanson d’été

Titre : Délius, une chanson d’été
Auteur : Sabrina Calvo
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 1997 / 2019 (août)

Synopsis : XIXe siècle. Un poète assassin sème la terreur autour du monde, ses victimes sacrifiées aux cours d’horribles rituels floraux. Sur ses traces, Bertrand Lacejambe, un botaniste excentrique et son fidèle Fenby, elficologue amateur. Aux portes de la folie et de la magie, ils vont devoir braver les dangers de Féerie pour dévoiler la terrible menace que fait peser le Diadème sur nos rêves.

 

Qu’est ce que vous racontez, Fenby ?
-Ce que vous n’avez jamais voulu savoir. Pourquoi croyez-vous que vos fleures chantent, Lacejambe ?
-Parce qu’elles ont une belle voix.
-Non, parce que ce sont des fées.

Des meurtres et des fleurs

Les quatre mousquetaires de la fantasy. Voilà le surnom utilisé par certains pour désigner quatre jeunes auteurs français jugés particulièrement prometteurs dans les années 1990 : Mathieu Gaborit, Fabrice Colin, Laurent Kloetzer, et Sabrina Calvo dont « Délius » est le tout premier roman. Initialement paru en 1997, le texte fait l’objet en cette rentrée 2019 d’une nouvelle publication dans un superbe écrin (la couverture est signée Cindy Canévet) : l’occasion de (re)découvrir cet ouvrage malheureusement un peu tombé dans l’oubli. L’autrice y met en scène un duo de personnages truculents en la personne de Bertrand Lacejambe, botaniste de génie résidant à Marseille, et son ami Fenby, anglais exilé en France et profondément marqué par sa rencontre il y a plusieurs années avec ce qu’il pense être des créatures féeriques. Tous deux voient leur quotidien perturbé lorsqu’une troupe pour le moins hétéroclite débarque un jour dans leur demeure afin de leur confier une enquête pour le moins intrigante. En effet, voilà plusieurs semaine qu’un assassin sème les cadavres un peu partout dans le monde sans que les enquêteurs ne soient en mesure de définir ni le profil de l’homme, ni son mobile, ni la façon dont il procède. Ne voyant guère de rapport avec leur corps de métier, nos deux compères sont sur le point de refuser avant que la curiosité de Lacejambe ne soit titillée par un détail surprenant : les visages des victimes expriment tous une profonde béatitude et leur corps est intégralement recouvert de fleurs. Il n’en fallait pas plus au botaniste pour abandonner séance tenante toutes ses activités et se lancer à corps perdu dans cette enquête dont il pourrait bien regretter de s’être mêlé.

La poésie et la musique à l’honneur

Le texte est d’une grande sensibilité et fait référence à de nombreux artistes dont l’autrice s’inspire et auxquels elle rend plus ou moins explicitement hommage. La musique occupe ainsi une place centrale dans le roman, surplombé par deux figures majeures des XIXe et XXe siècle : la musicienne et compositrice Kate Bush et Frederick Delius, compositeur anglais qui à l’honneur de figurer au nombre des personnages du roman. La poésie occupe aussi une place essentielle : quelques poèmes de P. D. Finn sont reproduits et servent de fil conducteur au récit qui, sous la plume de Sabrina Calvo, développe sa propre poésie. Toujours dans le domaine littéraire, difficile également de passer à côté des références à deux personnages emblématiques de la littérature anglaise. Que ce soit par leur physique ou par leur attitude, nos deux héros ont en effet des allures très reconnaissables de Sherlock Holmes et John Watson : le premier est un génie dans son domaine mais s’avère complètement farfelu, le second est terre-à-terre et plus doué pour les interactions sociales. Le clin d’œil ne se limite d’ailleurs pas qu’à une simple ressemblance puisque la petite troupe responsable de l’affaire fait à plusieurs reprises nommément référence au célèbre détective qui semble être considéré par certains comme un personnage bien réel (ce que d’autres réfutent absolument). Il est aussi amusant de constater qu’Arthur Conan Doyle figure lui aussi parmi les personnages du roman, l’autrice utilisant habilement certains pans de sa biographie pour les faire coïncider à son histoire (sa fascination pour le spiritisme, notamment). Toutes ces références participent à donner au roman une ambiance très particulière dont on comprend sans mal pourquoi elle a séduit tant de lecteurs lors de sa première parution.

-Vous savez, les entrées ne sont jamais les mêmes, vraiment – des fois ce sont des portes, d’autres fois des vagues.
-Des vagues ?
-Oui… Vous n’êtes jamais passé sous une vague ?
-Je… non.
-Alors vous ne savez rien. Si vous nagez suffisamment bien, vous pouvez émerger au creux de la vague, là où le temps se fige. Ce sont des cathédrales d’eau magnifiques, avec des algues et des vitraux de corail. Souvent, on peut y trouver l’entrée du Royaume.

Une intrigue et des personnages déroutants

En dépit de l’indéniable poésie qui se dégage du texte, le roman reste tout de même très particulier. Ne vous attendez pas à une enquête ou un récit conventionnel, vous serez déçu ! L’autrice fait en effet régulièrement le pari de l’absurde et s’amuse à faire perdre aux lecteurs et aux personnages tous leurs repères, enchaînant les situations plus burlesques les unes que les autres (c’est un aspect qui m’avait aussi gêné dans « Arcadia » de Fabrice Colin, un roman qui présente des similitudes avec celui de Calvo). Certaines scènes ou dialogues paraissent ainsi complètement surréalistes, au point qu’on a souvent l’impression (notamment dans la seconde partie) de se retrouver dans un univers à la « Alice au pays des merveilles », avec une multitude de personnages bizarres et des situations complètement absurdes. C’est amusant parfois, déroutant souvent, en tout cas ça ne laisse pas indifférent. Si certains pans de l’intrigue m’ont laissée dubitative, plusieurs trouvailles sont en revanche franchement originales. L’autrice n’hésite pas, par exemple, à se livrer à des tours de passe-passe narratifs très astucieux qui donnent un charme supplémentaire au roman (pour changer de point de vue entre plusieurs personnages, notamment, ou en entretenant volontairement le flou autour de la manière dont l’assassin tue ses victimes). Les personnages et l’univers souffrent quant à eux des mêmes problèmes que l’intrigue et peuvent rebuter par leur bizarrerie et leur manie d’aller à l’encontre de toute logique.

« Délius » est un roman très particulier et, si l’aspect burlesque du récit en déconcertera plus d’un, la poésie qui s’en dégage ne laisse pas indifférent. A noter que l’autrice a écris un autre roman mettant de nouveau en scène le duo Lacejambe/Fenby (« La nuit des labyrinthes ») qui devrait également faire l’objet d’une republication.

Autres critiques : Les chroniques du Chroniqueur

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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