Fantasy

Chroniques du Grimnoir, tome 1 : Magie brute

Titre : Magie brute
Cycle : Chroniques du Grimnoir, tome 1
Auteur : Larry Correia
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2012 (mai)

Synopsis : États-Unis, début des années 1930. Les dirigeables sillonnent le ciel, Berlin est peuplée de zombies et la magie, apparue depuis près d’un siècle, a changé la donne. Le grand public hésite entre admiration et haine des « actifs », ces gens qui se téléportent, lisent dans les esprits, modifient la gravité, contrôlent les animaux, guérissent par imposition des mains… Deux organisations de magiques se livrent une guerre souterraine acharnée : l’Imperium et son maître le « président », qui tiennent le Japon, et le Grimnoir, société secrète de résistants aux intentions louables mais aux méthodes discutables.

Des supers-pouvoirs et des sociétés secrètes

Cela fait maintenant près d’un siècle que, partout dans le monde, certaines personnes naissent dotées d’étranges pouvoirs. On ne sait pas pourquoi seulement une partie de la population est touchée, ni la raison de l’apparition soudaine de ces pouvoirs, mais toujours est-il que, régulièrement, un enfant naît doté d’habilités extraordinaires. Les « bougeurs » sont capables de déplacer des objets par la pensée, les « estompeurs », eux, peuvent traverser les objets tandis que les « lourds » ont le pouvoir de jouer avec la gravité et que les « voyageurs » peuvent se téléporter d’un endroit à un autre. Et puis il y a les guérisseurs, les crépiteurs, les engrenages, et toute une série d’autres types d’« actifs », tous dotés de capacités plus ou moins développées. Dans les États-Unis des années 1930, l’opinion publique reste divisée quant à la façon dont on devrait traiter ces êtres d’exception. Si certains les considèrent comme des habitants comme les autres et apprécient leur contribution (les lourds sont les rois des transporteurs, les crépiteurs protègent les passagers des aéronefs de la foudre…), d’autres éprouvent à leur égard une répulsion mêlée de peur et militent pour qu’ils soient mis au ban de la société. Au sein même des actifs, différentes factions se livrent elles aussi une lutte sans merci : les partisans de l’Imperium se battent pour imposer leur suprématie partout dans le monde, tandis que les membres de la société du Grimnoir tentent par tous les moyens de les en empêcher. A première vue, le postulat de base n’a rien de très original : les actifs font évidemment penser aux X-men, ainsi qu’à divers autres films ou comics de super-héros, tandis que le combat opposant une société secrète à de puissants ennemis cherchant à dominer le monde est extrêmement éculé. Et pourtant, on se prend vite au jeu de cette petite équipe de « super-héros » qui n’ont pas franchement la tête de l’emploi, ainsi que de cette Amérique uchronique dont l’histoire a considérablement été modifiée par l’arrivée de ces étranges pouvoirs.

Quand la magie provoque l’uchronie

Loin de nous balancer sans subtilité les nouveaux tenants et aboutissants de son univers et les changements par rapport à l’histoire « officielle », Larry Correia nous dévoile son uchronie par petites touches. Le lecteur se rend d’ailleurs compte de la plupart des transformations moins grâce au texte en lui-même que par le biais de petits extraits présents à chaque début de chapitres. Rapports officiels, décrets, correspondance personnelle… : les supports sont nombreux et variés et permettent de prendre conscience des nombreuses différences entre les années 1930 telles que dépeintes par l’auteur et celles que l’on connaît. On apprend par exemple que la Seconde Guerre mondiale n’a pas eu lieu, que Berlin n’est plus qu’un champ de ruine, ou encore qu’Einstein était en fait un « engrenage » (un genre particulier d’actifs dotés d’une intelligence hors du commun). Le charme du roman tient aussi à la diversité et à la manière dont sont exploités les différents pouvoirs dont ont hérité une partie de la population. En effet, si la majorité des capacités évoquées par Larry Correia paraissent très classiques, la façon dont elles fonctionnent reposent, elles, sur des logiques un peu plus élaborées. L’aura de mystère qui plane autour de ces fameux pouvoirs joue également en faveur du roman. Comment se fait-il qu’ils se soient manifestés d’un seul coup ? Pourquoi ne peut-on pas en maîtriser plusieurs ? Comment fonctionnent les pouvoirs psychiques et physiques ? Pourquoi telle personne en possède-t-elle un et telle autre non ? Autant d’interrogations qui, je l’espère, trouveront leurs réponses dans les tomes à venir et qui permettent de maintenir la curiosité du lecteur en éveil tout au long de la lecture. Le plus gros point fort du roman tient cela dit moins à la qualité de la construction de l’univers qu’à celle des personnages. Jake Sullivan est un protagoniste torturé et peu loquace, ce qui lui donne un certain charme auquel il est difficile de rester insensible. Les personnages secondaires ne sont pas en reste, même si le passé ou la personnalité de certains auraient mérité d’être un peu plus approfondis.

Un blockbuster littéraire

Tout n’est cependant pas rose, et le plus gros reproche qu’on pourrait adresser au roman concerne son côté un peu trop « blockbuster ». Qui dit super-pouvoirs dit scènes spectaculaires, et je comprends que les auteurs ou les réalisateurs aient souvent du mal à refréner leurs ardeurs, mais privilégier constamment l’action au dépend de la complexité et de la finesse finit malheureusement par porter préjudice à l’œuvre. Les scènes de combat durent inévitablement trois plombes et enchaînent cascades de fou, explosions, prises de ninja, puis destruction totale ou partielle du décor. C’est amusant au début, mais la répétition finit malheureusement par devenir franchement lassante. L’intrigue suit d’ailleurs le même chemin dans la mesure où elle repose sur de grosses facilités scénaristiques et adopte vite un point de vue totalement manichéen. Il y a les méchants forcément sadiques et cruels de l’Imperium, les gentils un peu naïfs du Grimnoir, et quelques trop rares personnages plus nuancés pour faire tampon entre les deux extrêmes. C’est d’autant plus dommage que les premiers chapitres laissaient pourtant entrevoir la possibilité d’une intrigue plus nuancée, à base de lutte d’influences dans les hautes sphères du pouvoir. On retrouve également avec déception un autre élément ô combien bancal : l’artefact super-puissant disparu depuis des années mais qui refait aujourd’hui surface et à la poursuite de laquelle les deux camps vont se lancer. Et pourtant, malgré tous ces bémols et tous ces stéréotypes, on ne peut s’empêcher d’éprouver un certain plaisir à la lecture de ce roman dont le côté « pulp » est clairement assumé par l’auteur, voire volontairement exagéré. Ce premier tome a ainsi, en dépit de ses limites, un petit côté fun qui pousse le lecteur à passer outre les maladresses et les facilités du scénario. L’affection qu’on ne manque pas développer pour les personnages y est évidemment aussi pour quelque chose, même si, là encore, tout n’est pas parfait (le personnage de Faye m’a notamment un peu gênée : non pas qu’elle soit mal écrite ou antipathique mais les dialogues qui lui sont octroyés ainsi que son comportement correspondent davantage à ceux d’une petite fille qu’à ceux de l’adolescente qu’elle est censée être…).

Larry Correia signe avec ce premier tome des « Chroniques du Grimnoir » un roman pêchu, doté d’un côté pulp assumé qui rend la lecture divertissante. On peut toutefois regretter le manque de nuance d’une partie des personnages, ainsi que certaines facilités de l’intrigue qui rapprochent trop souvent l’ouvrage des blockbusters qui pullulent dans nos salles de cinéma. Divertissant, donc, mais j’en attendais davantage, sans doute un peu trop. Je lirai tout de même la suite par curiosité.

Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques : Blackwolf (Blog-o-livre) ; Lutin82 (Albédo – Univers imaginaires)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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