American elsewhere
Titre : American Elsewhere
Auteur : Robert Jackson Bennett
Éditeur : Albin Michel (Imaginaire)
Date de publication : 2018 (septembre)
Synopsis : Veillée par une lune rose, Wink, au Nouveau-Mexique, est une petite ville idéale. À un détail près : elle ne figure sur aucune carte. Après deux ans d’errance, Mona Bright, ex-flic, vient d’y hériter de la maison de sa mère, qui s’est suicidée trente ans plus tôt. Très vite, Mona s’attache au calme des rues, aux jolis petits pavillons, aux habitants qui semblent encore vivre dans l’utopique douceur des années cinquante. Pourtant, au fil de ses rencontres et de son enquête sur le passé de sa mère et les circonstances de sa mort (fuyez le naturel…), Mona doit se rendre à l’évidence : une menace plane sur Wink et ses étranges habitants.
Sera-t-elle vraiment de taille à affronter les forces occultes à l’œuvre dans ce lieu hors d’Amérique ?
-Vous avez peur ?
-Oui.
-Pourquoi ?
-Je ne sais pas. Parce que je pense… Je pense que nous ne sommes pas seuls ici.
-Vous n’avez jamais été seul. Nous avons toujours été là, à la lisière, pour vous observer. Vous nous voyez quand nous le voyons bien.
Quand l’horreur s’invite dans l’Amérique idéale
A l’occasion du lancement de leur nouvelle collection imaginaire (dirigée par Gilles Dumay, ancien directeur de collection chez Denoël), les éditions Albin Michel ont publié fin septembre trois romans relevant respectivement de la fantasy (« Mage de batailles »), de la SF (« Anatèm ») et du fantastique avec « American Elsewhere ». Le pari était assez risqué puisque, bien que déjà publié en France (« Mr Shivers » paru chez Panini en 2011), Robert Jackson Bennett reste un auteur assez méconnu du grand public. Le roman mérite pourtant qu’on s’y intéresse, même si tout n’est évidemment pas parfait. L’auteur y met en scène une baroudeuse d’une trentaine d’années, Mona, qui vient d’apprendre la mort de son père. Si la nouvelle ne l’atteint pas particulièrement, il en est autrement de son testament dans lequel elle découvre que sa mère (décédée elle aussi il y a plusieurs années) disposait d’une maison qui lui revient maintenant de droit. Mais plus que la maison, c’est la ville dans laquelle elle se trouve qui éveille la curiosité de cette ancienne flic. D’abord, elle ne trouve aucune mention de Wink sur aucune carte, et l’état lui même semble ignorer non seulement son emplacement mais aussi son existence. Ensuite, cette petite ville à priori paradisiaque qui semble tout droit sortie d’une brochure pour vanter les mérites de l’Amérique des années 60 a été construite autour d’un centre de recherches classé top secret et à propos duquel, là encore, presque rien n’a fuité depuis des années. Et surtout il y a les habitants, tous plus étranges les uns que les autres : certains ont des lubies complètement farfelues, d’autres des réactions inappropriées, et la majorité d’entre eux semblent craindre quelque chose et obéissent à des règles tacites extrêmement strictes (ne pas sortir le soir, ne pas s’approcher de la forêt…).
Un page-turner haletant
L’arrivée de Mona va déclencher toute une série d’événements qui va venir bouleverser le quotidien de cette étrange petite bourgade et de ses habitants. Le récit mêle habillement SF et fantastique, et parvient dès les premières pages à happer le lecteur qui se retrouve à dévorer avec avidité ce pavé de huit cent pages. Difficile en effet de refréner sa curiosité à l’idée de voir les mystères de Wink enfin révélés, d’autant que ces derniers ne font que se multiplier au fil des pages : pourquoi la ville est totalement coupée du monde ? Qui sont vraiment ses habitants ? Sur quoi portaient les recherches du laboratoire autour de laquelle la ville s’est construite ? Quelles sont les créatures terrifiantes qui hantent les bois ? On suit donc avec intérêt l’évolution de l’enquête de Mona qui se révèle être un personnage attachant, tant par ses capacités d’adaptation que par sa force de caractère, et ce en dépit d’un drame personnel particulièrement traumatisant. Les autres personnages sont évidemment plus en retrait, mais la plupart on malgré tout droit à leur petit passage sur le devant de la scène. L’auteur n’hésite en effet pas à changer de temps en temps de points de vue, laissant de côté Mona pour se focaliser brièvement sur un habitant ou un observateur extérieur. Les curieux habitants de Wink restent cela dit les plus marquants, moins par leur nature elle-même que par tout un ensemble de petits détails dont l’auteur se sert pour les définir et qui font sentir au lecteur que quelque chose cloche. Quoi de plus inquiétant en effet que la monstruosité cachée derrière la banalité la plus confondante ? Quoi de plus perturbant que d’imaginer la parfaite mère de famille ou le parfait voisin passant son temps à bichonner sa voiture ou entretenir son jardin comme de simples rôles ou costumes ? Le malaise s’installe ainsi rapidement, et ne quittera plus le lecteur avant la dernière ligne qui offre une conclusion satisfaisante et apporte enfin des réponses à toutes les questions posées depuis le début.
Quelques bémols malgré tout
De nombreux lecteurs font le parallèle avec de grands auteurs comme Stephen King ou Lovecraft, mais le roman peut aussi faire penser par certains aspects à Dan Simmons (« L’échiquier du mal » surtout), voire même China Mieville (pour le « bestiaire » un peu farfelu). Les comparaisons sont flatteuses (et globalement méritées), même s’il faut bien reconnaître que l’œuvre de Robert Jackson Bennett reste tout de même un cran en dessous de celles de ces maîtres du fantastique. Plusieurs bémols empêchent en effet à l’horreur de vraiment s’installer, à commencer par la prévisibilité de certains des événements. La majorité des rebondissements sont ainsi assez faciles à anticiper, ce qui nuit non seulement au récit mais aussi à l’héroïne dont on a trop souvent l’impression qu’elle ne comprend ni ne réagit assez vite. Alors certes, celle-ci ne dispose pas de tous les éléments auxquels le lecteur peut avoir accès, mais il n’empêche qu’il est un peu dommage de la voir laborieusement assembler les pièces du puzzle, alors qu’on est nous même arrivé tout comprendre bien plus tôt. Ce phénomène s’explique en partie par la fâcheuse manie qu’a l’auteur de vouloir expliquer plutôt que se contenter de suggérer, même si cela part sans aucun doute d’une bonne intention à l’égard du lecteur. Le problème, c’est que servir toutes les explications sur un plateau empêche le lecteur de faire véritablement travailler son imagination, or c’est justement généralement ce qui permet à l’angoisse de s’installer : c’est parce qu’on ne sait pas vraiment à qui ou à quoi on a affaire qu’on prend peur. Il est également dommage de voir la plupart de ces explications êtres délivrées de manière un peu maladroite, à savoir d’un seul bloc et par le biais d’une seule et même source.
Lancement réussi pour le volet fantastique de la nouvelle collection Albin Michel Imaginaire. « Amercian Elsewhere » est un roman solide qui, malgré quelques bémols liés à un surplus d’explications, permet au lecteur de passer un bon moment d’angoisse aux côtés d’une héroïne d’une sacrée trempe. A découvrir !
Autres critiques :
Allan Dujipérou (Fantastinet)
Apophis (Le culte d’Apophis)
Blackwolf (Blog-O-livre)
Célindanaé (Au pays des cave trolls)
Jean-Philippe Brun (L’ours inculte)
Xapur (Les lectures de Xapur)
14 commentaires
L'ours inculte
Oui, on a eu globalement le même avis sur les qualités et les défauts, c’est un bon thriller avec quelques maladresses qui se laissent pardonner
Xapur
Presque fini, c’est bien mais ça manque de surprises, dommage.
Boudicca
Oui c’est aussi ce que je reproche au roman 🙂
lutin82
Je suis finalement très contente que tu places quelques bémols sur ce roman. Comme je compte le lire, je commençais à avoir des attentes qui ne lui auraient pas forcément fait du bien. Me voilà redescendue sur Terre. Pour la comparaison avec les auteurs, je préfère un mélange King et Simmons, même si je suis plus réservée avec le premier et très conquise pour le second. En effet, Lovecraft et Miéville me tentent mais alors vraiment peu, et du coup je ne sais pas si j’aurais tenter l’aventure. (je suis Miéville incompatible).
Boudicca
Si tu aimes King et Simmons tu devrais trouver ça sympa (Mieville c’est vraiment pour le côté un peu étrange de certains personnages mais ça s’arrête là ^^)
Après je pense effectivement qu’il ne faut pas trop en attendre non plus 🙂
Lorhkan
Je suis déjà bien occupé avec les autres sorties de cet éditeur, donc je vais peut-être faire l’impasse, au moins momentanément, avec celui-ci… 800 pages de moins, dans cette rentrée ultra-chargée, ce n’est pas un luxe… 😀
Boudicca
On ne peut pas tout lire, il y a tellement de sorties ! 😉
Elhyandra
J’avoue je rigole quand je lis un « page-turner haletant » ^^ mais c’est pas méchant lol je me sens bien seule là quand même ^^
Boudicca
Même si je suis loin d’avoir adorée le roman, j’avoue que je n’ai pas mis énormément de temps à le lire et que je ne me suis jamais trop ennuyée. Mais je comprends tout à fait ton ressenti et il y a pleins de choses qui m’ont agacé aussi 🙂
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