Shi, tome 1 : Au commencement était la colère
Titre : Au commencement était la colère
Cycle/Série : Shi, tome 1
Scénariste : Zidrou
Dessinateur : Homs
Éditeur : Dargaud
Date de publication : 20 janvier 2017
Synopsis : Pour cacher un scandale qui pourrait nuire à la prestigieuse Exposition universelle, le cadavre d’un nourrisson est enterré dans les jardins du lieu qui accueille cet événement. Deux femmes, une noble anglaise et une Japonaise, la mère de l’enfant, partent en croisade contre l’Empire britannique pour élucider ce crime. Entre société secrète et manipulation corruptrice, les deux jeunes femmes que rien ne lie vont s’unir pour exposer la face cachée d’une machination infernale.
Si ces dames veulent bien nous excuser, nous allons à présent nous retirer dans le fumoir, histoire de perpétuer la tradition multiséculaire qui veut qu’à la fin des repas, femme et homme se séparent afin, sans doute, de pouvoir plus communément dire du mal de l’autre !
– Bonne idée ! Allons de ce pas enfumer les dernières alvéoles de nos poumons que l’air de Londres n’ait point encore viciées !
Paru en tout début d’année chez Dargaud, Shi avait suscité beaucoup d’engouement à l’occasion des différents rendez-vous de la bande-dessinée de cette période. C’est avec un retard certain, et à vrai dire grâce à la sortie du second opus (sur les quatre que comptera ce cycle) que j’ai enfin jeté mon dévolu sur l’un des nombreux titres de Zidrou de cette année. Indéniablement, Shi, sorti des mains de Zidrou donc, et du dessinateur espagnol Homs est l’un des coups de cœur de l’année.
La plainte qui vise Lionel Barrington, PDG de la Si Vis Pacem Para Bellum, gigantesque entreprise d’armement, pour la mort d’un jeune garçon suite à l’explosion d’une mine antipersonnelle, vient d’être rejetée. Le noble anglais est accueilli en triomphe dans sa propriété mais la fête tourne au cauchemar. Deux mines tirées des stocks de sa propre entreprise mutile son jeune fils et emporte son épouse enceinte. L’attaque est rapidement revendiquée par Shi, une nébuleuse criminelle née au XIXè siècle et constituée exclusivement de mères très en colère. Après une introduction ancrée dans le présent, c’est dans la Londres victorienne que nous plonge ce premier album, pour assister à la gestation et à la naissance de Shi, l’étrange organisation symbolisée par l’idéogramme de la mort.
On ne compte plus le nombre de scenarii sortis de la plume de Zidrou cette année. Où donc trouve-t-il le temps ? Et la qualité est comme souvent au rendez-vous. Au commencement de la colère se déroule donc dans deux époques qui s’entremêlent avec beaucoup de fluidité. Plus que des flashbacks, Zidrou procède plutôt à des retours dans le présent. La Londres victorienne constitue en effet la véritable scène de cet album. On y suit les aventures de la jeune Jennifer Winterfield, fille de la haute société londonienne qui découvre le monde en modèle réduit à l’occasion de la première exposition universelle de 1851. Éprise de photographie, elle s’apprête à immortaliser une jeune japonaise et son bébé… mort. Sans spoiler qui que ce soit, c’est le point de départ d’une aventure sans temps mort. Ce premier tome de Shi est absolument trépidant, tout s’enchaîne dans un rythme sans faille. Zidrou n’a pas opté pour le portrait d’une Angleterre à son sommet. La société brossée par le scénariste est lugubre, aux mains d’hommes aux intentions pas bien folichonnes et aux moeurs qui ont dépassé depuis bien longtemps les limites de la bienséance. Les femmes ne sont pas en reste et la jeune Jennifer est le portrait parfait d’une gent féminine en quête d’émancipation. Tous les personnages que l’on croise dans cet album ont une vraie épaisseur, de la famille Winterfield au complet à la jeune japonaise Kitamakura. La psychologie des personnages est réussie et la relation naissante entre les deux femmes promet d’être passionnante et pleine de rebondissement.
Shi est tout simplement l’une de plus belles BD de 2017 (et c’est évidemment tout autant valable pour le second album). A mon sens, bien évidemment. José Homs possède un coup de crayon virtuose qui donne vie à cette cité londonienne pluvieuse et sombre à souhait. Les personnages comme les environnements sont l’objet d’une grande minutie pour un résultat sublime. Homs sait par ailleurs varier les environnements à merveille, de la clarté aveuglante de la verrière de l’exposition universelle aux sombres artères détrempées de Londres, en passant par les couleurs chaudes des maisons de plaisir à l’exiguïté des voitures. La couverture parle d’elle-même. Le tout est agencé dans un découpage génial de fluidité qui vient sublimer l’action de Shi. Les différents protagonistes ne sont absolument pas en reste. Et quelle excellente idée de glisser ça et là des illustrations en pleines pages, histoire d’en chialer tellement c’est beau. Bref, vous aurez compris. J’aime.
D’une beauté renversante, les aventures de Shi dans Au commencement était la colère sont menées tambour battant. Prenant, plein de rebondissements, ce premier tome mérite sa place au pied du sapin.
Voir aussi : Tome 2