Edelweiss
Titre : Edelweiss
Scénariste : Cédric Mayen
Dessinateur : Lucy Mazel
Éditeur : Vents d’Ouest
Date de publication : 14 juin 2017
Synopsis : Été 1947, Boulogne-Billancourt. Lors d’un bal typique de l’après-guerre, Edmond, jeune ouvrier chez Renault, rencontre Olympe, fille de politicien. Il ne se doute pas qu’elle va bouleverser sa vie. Passionnée d’alpinisme, la jeune femme n’a qu’un rêve : escalader le Mont-Blanc pour égaler la prouesse de son aïeule Henriette d’Angeville. Malgré son manque d’expérience, Edmond promet qu’il l’aidera à le réaliser. Seulement, le train-train quotidien et plusieurs drames vont petit à petit émousser leur détermination… Mais qu’importe, l’amour est plus fort que tout, dit-on. Et s’il est capable de déplacer des montagnes, il peut aussi aider à les gravir.
La montagne, c’est l’essence de notre famille, depuis tatie Henriette. La première femme a avoir réussi l’ascension du Mont-Blanc par ses propres moyens. Une femme fière et têtue, un peu comme Olympe, et qui aimait la montagne… Comme vous apprendrez à l’aimer, j’en suis sûr.
Après avoir fait montre brillamment de son talent sur le second volume de Communardes ! aux côtés de Wilfrid Lupano, Lucy Mazel est de retour avec Edelweiss, sur lequel elle a planché avec Cédric Mayen. Une histoire d’amour tendre, touchante, qui raconte aussi la France d’après-guerre et l’aspiration des femmes à plus de reconnaissance dans la seconde moitié du XXème siècle. Un one-shot enchanteur, à l’image de sa couverture.
La France sort tout juste de la Seconde Guerre mondiale, tout est à rebâtir, et la jeunesse elle-même se reconstruit, redécouvre le goût de la fête. C’est ainsi à l’occasion d’une guinguette pittoresque qu’Olympe et Edmond se rencontrent, et au premier regard, on le sait et ils le savent, cette histoire est faite pour durer. Pourtant, tout les oppose, ou presque. Lui, le prolo, le mécano de chez Renault ; elle, issue de la bonne société bourgeoise. Et son père ne laissera sa main qu’à un homme qui aura les moyens de l’entretenir. Pour mieux le tester, d’ailleurs, le beau-père protecteur envoie le fringant Edmond, qui n’a jamais vu plus haut que les buttes Montmartre, rejoindre le régiment des chasseurs alpins. Un défi à relever pour mieux conquérir le coeur de la belle, qui a elle-même grandi avec la montagne. Son aïeule Henriette d’Angeville, fut la première femme à atteindre le sommet du Mont-Blanc sans aide. Pour la jeune femme, cette dernière, c’est un idéal à égaler, un but à atteindre.
Edelweiss c’est une histoire d’un amour inaltérable. Edelweiss, ce n’est pas seulement cela. Cette France des Trente Glorieuses, c’est aussi une France jetée à corps perdu dans la modernité galopante où chacun rêve d’émancipation. Olympe refuse la tutelle patriarcale et lui préfère le modèle de sa tante Henriette, première femme à avoir gravi le toit de l’Europe et, de fait, symbole d’indépendance féminine. Aussi, elle a préféré une vie laborieuse à la vie de femme au foyer qu’elle exècre et rêve de haute couture, à la façon de Coco Chanel. Les femmes ont obtenu le droit de vote, le féminisme est en plein essor, ce qui placera Simone de Beauvoir sur la route de notre héroïne. Edmond, quant à lui, rêve de s’extirper de sa condition ouvrière, pour que le père d’Olympe lui consente enfin sa main. Sa recherche d’ascension sociale le transforme en bourreau de travail, en homme métro-boulot-dodo, fondu dans le modèle capitaliste, au point parfois, qu’Olympe ne le reconnaît plus. Dans sa quête de reconnaissance sociale auprès du père, il lui faudra aussi se rapprocher du Mont-Blanc. Parce que la montagne, chez Olympe, ils l’ont dans le sang, et le but de la jeune femme, son ascension sociale a elle aussi, c’est l’ascension de cette fichue montagne. La marche de la société elle-même semble vouloir entraver leur amour, mais rien n’arrête nos deux tourtereaux. La vie elle-même, avec ses aléas, n’épargne pas non plus le couple tout au long de leur vie, même une fois mariés. Cela pourrait sembler un bien lourd fardeau pour ces deux seuls personnages, mais la finesse de l’écriture de Cédric Mayen fait que cela n’est jamais le cas. Bien au contraire, la diffusion de tous ces événements sur toute une vie, les voir s’insérer, s’interposer dans la vie du couple, permet d’immerger le lecteur dans l’univers des deux personnages, de lui faire partager leurs épreuves, de le faire mieux entrer encore dans leur vie. Deux personnages follement attachants, tout simplement.
Et pour toujours plus d’émotion, quoi de mieux que le trait de Lucy Mazel, qui s’est encore affiné depuis Communardes ! ? Pas grand chose, sans doute. Déjà très expressifs dans l’album précédemment évoqué, les visages dans Edelweiss, confinent à l’excellence dans le registre des émotions. Les moues des personnages et la force des regards, surtout, enchantent. Tristesse, joie, doute, colère, tout cela est superbement dépeint à travers les seuls yeux des personnages, de la lumière qui s’y reflète. La lumière est elle aussi l’objet d’un soin tout particulier dans Edelweiss, à l’image du soleil qui point depuis le coin supérieur de la case, ou des guirlandes électriques de la guinguette. Le choix des couleurs enfin, là aussi à la manière de Communardes!, mais dans des tonalités différentes, ne pourrait mieux coller à l’ambiance d’Edelweiss. Les couleurs tendent parfois vers le sépia et les couleurs possèdent ce petit grain qui leur donnent un côté vieilli du plus bel effet. Le découpage des planches est lui aussi très réussi, astucieux même quand la division de la case vient illustrer la divergence de points de vue des personnages. Le choix de se limiter parfois à des arrière-plans monochromes comme seul décor autour des héros vient, pour terminer, souligner la simplicité d’une histoire qui se joue entre deux personnages qui n’ont besoin de rien d’autres que de leurs sentiments réciproques pour vivre. Bref, c’est beau et puis c’est tout.
Malgré le terrible et impardonnable oubli du crayon blanc pour ma dédicace de Communardes à Angoulême (clin d’oeil subtil à l’intention de Madame Mazel), je me suis aventuré dans Edelweiss avec les meilleures intentions et c’est une intense satisfaction qui point quand se referme le livre. C’est un bien bel album.
Voir aussi : Communardes ! Les éléphants rouges
Autres critiques : Bianca (Des livres, des livres) ; Mokamilla (Au milieu des livres) ; Yvan Tilleul (Sin City)