Paysage après la Bataille
Titre : Paysage après la Bataille
Auteur : Philippe de Pierpont
Dessinateur: Eric Lambé
Éditeur : Actes Sud et Frémok
Date de publication : Octobre 2016
Synopsis : L’auto-radio passe Blackbird, Fanny roule vers son ultime refuge, un camping/caravaning sous la neige. Là, avec l’aide des derniers habitants du lieu, elle tentera de chasser ses oiseaux noirs et de soigner ses blessures.
Le Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême 2017 à offert son 44ème Fauve d’Or aux deux auteurs belges Eric Lambé et Philippe de Pierpont pour leur quatrième collaboration autour de Paysage après la bataille, impressionnant pavé de plus de 400 pages. Il faut avouer que je ne savais guère à quoi m’attendre une fois décidé à prendre cet ouvrage à bras le corps. La couverture est pour beaucoup dans l’attrait que peut exercer ce livre. S’y trouve dépeinte une immense toile illustrant une bataille napoléonienne. Pourtant, il n’est nullement question du XIXème siècle ici.
L’on commence donc par étudier de près et attentivement cette couverture, et Fanny, la protagoniste principale, en fait d’ailleurs de même dès l’ouverture du récit. Comme hypnotisée par les détails, on ne sait ni qui elle est, ni ce qu’elle fait là. Voyageuse solitaire qui s’installe dans un camping à l’approche de l’hiver, taciturne, les informations seront distillées au compte-goutte, ce qui ménage un certains suspens. Trop peut-être. Quelques indices, toutefois, permettent de se faire sa petite idée. Car, oui, les éléments de l’intrigue dans le Paysage après la Bataille, c’est surtout au lecteur de les deviner. Peu d’informations franches sont distillées. Ce n’est pas non plus les dialogues qui font avancer le récit. L’ouvrage est à peu près aussi taciturne que son personnage principal. Il en demeure une atmosphère pesante et lente très réussie qui colle tout à fait au fond du récit. Comme sur cette peinture où s’étendent ces soldats bleus ou rouges aux corps démembrés, Fanny mène en effet sa propre bataille intérieure. D’où également son silence, sa pudeur à l’encontre des rares locataires croisés au gré des pages : Pierrot et ses puzzles, qui tient le camping, le couple de retraités, Jean et Gina, et l’inquiétant boxeur-chasseur. Après avoir lancé pêle-mêle tous ces éléments, une question subsiste encore. Formulons là simplement : de quoi ça parle, finalement, Paysage après la Bataille ?
C’est en réalité une histoire simple qui se joue ici. Fanny cherche à faire son deuil. Elle a perdu un être cher et, désespérément, tente de chercher un sens à sa vie, trouver de nouveaux repères après avoir tout perdu. En fin de compte, on ne se sent pas surpris à l’issue de cet album. L’histoire est triste, touchante, mais finalement, d’autres médias ont à de nombreuses reprises traité cette thématique. Ainsi La Chambre du Fils, de Nanni Moretti, primé dans un autre festival, celui de Cannes, en 2001. Convenu, donc, est le premier mot qui me vient à l’esprit quand je referme ce livre. Certaines plongées stylisées dans le subconscient du personnage, qui n’auraient pas déplu à Freud, demandent parfois au lecteur de s’accrocher.
La réussite de cet album tient incontestablement à son emballage. Si la couverture se démarque par des tons bleu et rouge, le reste de l’album, à quelques cases près, est tout en nuances de gris (on ne dira pas cinquante, non). Ces paysages blancs, ces cases vides ou presque traduisent en miroir l’état d’esprit du personnage, devenu vide et froid. On a cependant l’impression parfois de tourner les pages sans que rien ne se passe, ou, parfois, qu’on les tourne sans être sûr de ce qui s’y est passé tant l’abstraction est parfois poussée. Il n’en reste pas moins des scènes intenses, comme celles avec le chasseur ou encore, à l’approche de la fin, la scène avec le sèche-cheveux. Un dessin au trait économe en détails qui habille des personnages simples mais d’une richesse intérieure certaine. Le découpage des cases, en réalité est ce qui vient donner vie et rythme à l’ensemble en insufflant une dimension cinématographique au récit, par des choix de mise en scène, de photographie dirait-on, réussis, au plus près des émotions des personnages. Mention spéciale aux images décomposées qui viennent illustrer les déchirements intérieurs de Fanny.
Paysage après la Bataille s’avère en réalité un livre intense dans les émotions qui met en images les tourments traversés par une jeune femme en deuil. Le lecteur est invité à rentrer dans l’intimité du personnage de Fanny autour d’une histoire finalement classique au dénouement qui l’est également. Un léger goût d’inachevé demeure au terme de la lecture.