Je suis le sang
Titre : Je suis le sang
Auteur : Ludovic Lamarque et Pierre Portrait
Éditeur : Les Moutons Électriques
Date de publication : 2016 (avril)
Synopsis : Londres, 1888. Au théâtre du Lyceum, la pièce Jekyll et Hyde fascine la bonne société victorienne tandis qu’une série de meurtres est commis dans l’East End. Des prostituées sont sauvagement assassinées. Bram Stoker, écrivain et régisseur du Lyceum, voit dans ces meurtres atroces la matière pour écrire le grand roman qui lui vaudra la postérité. En visitant les lieux du crime, il rencontre Mary Kelly, une prostituée irlandaise, et l’assassin que la presse surnomme bientôt : Jack l’Éventreur.
Il ne s’agit ni des riches ni des pauvres, mais de tous les hommes. Nous aimons la nuit et ses sortilèges. L’histoire de Jack l’Éventreur nous fascine car nous avons hérité du goût de nos ancêtres pour le sang. Nous le glorifions dans nos contes et légendes, et nous le moralisons dans nos fables. Mais il est là, il rode, jamais bien loin de nos consciences, et il suffit de pas grand-chose pour l’exalter à nouveau et qu’il reprenne possession de nous. C’est pourquoi nous faisons tourner les tables et écrivons nos histoires gothiques. Forts de notre progrès, de notre science et de notre positivisme, nous nous sentons coupables de ressentir toujours cette attirance. Avec la mort, ce goût du sang est l’unique lien que riches et pauvres partagent.
« Avec la mort, le goût du sang est l’unique lien que riches et pauvres partagent. » Ce constat, ils sont deux à y parvenir dans l’Angleterre de la fin du XIXe siècle : le premier est le meurtrier le plus célèbre de l’histoire, le second est l’auteur d’un des plus grands chefs d’œuvre de la littérature fantastique. L’un effraie par la monstruosité de ses crimes, l’autre par la noirceur de son personnage, le fameux comte Dracula. Mais est-on bien sûr que ce soit la seule chose que partagent Jack l’Éventreur et Bram Stoker… ? L’intrigue imaginée ici par Ludovic Lamarque et Pierre Portrait ne manque pas d’originalité et nous permet d’assister à la création de deux monstres : l’un bien réel et l’autre de papier. Le roman fait à ce sujet beaucoup penser à un ouvrage de Dan Simmons (« Drood ») qui reposait un peu sur le même principe : on avait affaire à un auteur, Wilkie Collins, qui trouvait l’inspiration pour écrire auprès d’une créature d’une noirceur effrayante. Le pari de faire se rencontrer ici Stocker et l’Éventreur était osé mais le résultat est des plus réussis, l’ensemble du roman baignant dans une ambiance très anxiogène qui renforce plus qu’elle ne freine l’enthousiasme du lecteur. Si les quelques plongées du protagoniste dans les bas-fonds de l’East End ne manqueront pas de vous donner des sueurs froides, la frénésie d’écriture dans laquelle fini par se plonger Stoker se révèle toute aussi terrifiante mais nous permet d’assister aux premières loges à la naissance d’une des œuvres les plus célèbres de la littérature gothique.
L’intérêt de l’ouvrage tient aussi et surtout au travail de documentation effectué par les deux auteurs qui tentent ici de reproduire le plus fidèlement possible le décor et l’ambiance de cette Angleterre de la fin du XIXe. Et on s’y croit ! Parallèlement à la complexe relation qui se noue entre l’assassin et l’écrivain, le roman dépeint notamment avec un luxe de détails les conditions de vie déplorables auxquelles sont condamnés les habitants de l’East End tout en analysant l’impact de l’affaire « Jack l’Éventreur » à l’échelle du pays. Exacerbation de l’antisémitisme et de la xénophobie, déstabilisation de la carrière de certains grands hommes politiques de l’époque, emballement de la presse écrite : autant de thématiques traitées par le roman qui, en dépit de sa relative brièveté, se révèle extrêmement dense. Les « pros » de l’affaire Jack l’Éventreur ne trouveront, je pense, rien à redire non plus au compte rendu des événements proposé par Lamarque et Portrait qui nous font revivre les rebondissements les plus marquants de l’affaire (détails morbides concernant l’état du cadavre des prostitués, arrestation puis libération de plusieurs suspects, échec de la traque des chiens de chasse, billets signés de l’assassin et envoyés à Scotland Yard…). Outre l’Éventreur et l’écrivain irlandais, le lecteur est également amené à rencontrer d’autres personnages bien connus de l’époque qui laissent chaque fois une empreinte bien spécifique sur le roman. C’est le cas d’Oscar Wilde, du génial mais tyrannique Henry Irving, ou encore de la touchante et tragiquement célèbre Mary Kelly.
Avec « Je suis le sang » Ludovic Lamarque et Pierre Portrait reviennent avec succès sur le parcours de deux monstres sacrés du XIXe dont ils entremêlent le destin. Il en résulte un roman angoissant mais tellement prenant et tellement bien documenté qu’on est tenté de le lire d’une traite avant d’aller se plonger (ou replonger) quelques uns des classiques évoqués, à commencer par le « Dracula » de Stocker.
Autres critiques : Belette (The Cannibal Lecteur) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Lune (Un papillon dans la lune) ; Yossarian (Sous les galets, la plage)
Aucun commentaire
Lune
Je te rejoins, ce côté ultra documenté rend le roman passionnant !
belette2911
Oh oui, oui, oui !! Là, je suis à fond, je note, je note !! 😀
Boudicca
Je m’en doutais 😀
belette2911
Comment t’en doutais-tu ? mdr
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