Le Joueur [BD]
Titre : Le Joueur
Scénariste : Stéphane Miquel
Dessinateur : Loïc Godart
Éditeur : Soleil (collection Noctambule)
Date de publication : 2010
Synopsis : Le Joueur est la confession directe d’un possédé à la voix haletante et familière. Le destin d’Alexeï Ivanovitch, consumé par deux passions égales, le jeu et l’amour d’une femme, révèle l’image d’une humanité pleine de désirs fous et d’aspirations incontrôlées, condamnée à l’éternelle nostalgie du bonheur ou à l’espérance du salut. Dicté en vingt-sept jours à une sténographe, publié en 1866, la même année que Crime et Châtiment, ce roman tourmenté, qui reprend l’héritage du romantisme russe et ouvre sur les achèvements majeurs de Dostoïevski, offre un accès saisissant à l’univers du grand écrivain.
Un tour de roue et tout change. Ce n’est pas l’argent qui m’intéresse. Et pourtant… avec quelle avidité je regarde ces petites piles de pièces d’or, comme des petits tas brûlants, des braises chaudes… Vous ne savez pas ce que c’est, n’est-ce pas : avoir le courage de risquer… et gagner !
Parmi les adaptations en bande dessinée proposées depuis quelques années par la collection « Noctambule » figuraient déjà de grands classiques de la littérature tels que « Le dernier des Mohicans », « A bord de l’étoile Matutine » ou encore « Au cœur des ténèbres ». Et c’est justement le duo Miquel/Godart, précédemment chargé de l’adaptation du célèbre roman de Conrad, que l’on retrouve ici aux commandes de ce nouvel ouvrage consacré cette fois à un texte de Dostoïevski : « Le Joueur ». On y découvre le personnage d’Alexeï Ivanovitch, précepteur russe entré au service d’une famille au bord de la ruine et n’attendant plus qu’une chose : la mort d’une grande-tante apparemment d’ores et déjà à l’agonie et l’héritage qui découlerait de sa disparition. Dans la cité balnéaire de Roulettenbourg, où la famille a momentanément décidé de s’établir, le jeune et passionné Alexeï va cependant vite être soumis à deux tentations : la jeune Paulina dont il tombe éperdument amoureux et la roulette, célèbre jeu de casino où il ne tarde pas à miser une fortune, en dépit des conséquences. Difficile personnellement de me prononcer en ce qui concerne l’adaptation puisque je n’ai moi-même pas eu l’occasion de lire le roman d’origine de Dostoïevski. Le scénario est néanmoins cohérent et on se laisse vite embarquer dans l’histoire de ce joueur compulsif, malade d’amour et incapable d’apaiser ses tourments.
Le principal attrait de l’ouvrage réside dans ses personnages, pour la plupart très caricaturaux mais néanmoins bien campés, du vieux général à deux doigts de la sénilité épris de la manipulatrice et séduisante Mademoiselle Blanche à la jeune Paulina dont le héros est amoureux, en passant par le discret et sympathique Anglais Mr Astley, et bien sûr l’arrogant et profiteur marquis français Des Grieux. Les Français en prennent d’ailleurs à plusieurs reprises pour leur grade par le biais de petites piques acérées émanant du protagoniste qui, lui, tire de toute évidence une grande fierté de son caractère russe le poussant volontiers à la passion plutôt qu’aux demi-mesures. Le ton de l’histoire est pour sa part plutôt tragique, même si certaines scènes surprenantes viennent apporter un petit côté volontairement absurde à l’ensemble. C’est notamment le cas d’un passage marquant au cours duquel la fameuse grande-tante, supposée mourante, débarque à la surprise générale et s’en prend de façon impitoyable mais aussi remarquablement lucide à ces charognards que sont devenus les membres de sa famille. Le seul véritable bémol concerne les graphismes par lesquels je n’avais déjà pas été très enthousiasmée dans « Au cœur des ténèbres » et qui reprennent évidemment ici les mêmes caractéristiques (peu d’éléments de décor, visages presque défigurés par des traits trop anguleux et peu expressifs…).
Une adaptation réussie qui permet de remettre au goût du jour l’histoire de ce pauvre et attachant Alexeï Ivanovitch, victime de son addiction pour le jeu et pour une femme qui ne lui était pas destinée. En dépit de la qualité des dessins auxquels je ne suis pas parvenue à adhérer, l’ouvrage de Miquel et Godart rend incontestablement curieux de découvrir le texte original de Dostoïevski. Une belle réussite.