Zaï Zaï Zaï Zaï
Titre : Zaï Zaï Zaï Zaï
Scénariste et dessinateur : Fabcaro
Éditeur : 6 pieds sous terre
Date de publication : 2015 (septembre)
Récompenses : Prix Ouest-France / Quai des bulles 2015
Synopsis : Pour n’avoir pu présenter sa carte de fidélité au supermarché, un auteur de bandes dessinées est confronté à un vigile avec qui il a une altercation. Il parvient à s’enfuir et sa traque par la police provoque une réaction en chaîne: les médias s’emballent, la société se divise.
-Fais pas le con ! Rend-toi et tout se passera bien ! Je te promets que tu n’iras pas en prison ! Si tu te rends calmement tu t’en tireras avec 25 min de karaoké, grand max !
-Quoi ? Mais puisque je vous dis que je suis innocent !
-Du calme, garçon, du calme. Avec un peu de chance ce sera des chansons faciles…
-Oui mais si c’est « Mon fils ma bataille » de Balavoine ?
-Il nous fait une crise de panique, on le perd..
Récompensée il y a quelques mois par le Prix Ouest-France à l’occasion du festival Quai des bulles de Saint Malo, « Zaï Zaï Zaï Zaï » est une toute petite bande-dessinée à l’humour dévastateur. Les premières cases à elles seules suffisent à nous faire comprendre que Fabcaro n’a pas fait les choses à moitié et a pris le parti d’adopter un ton totalement décalé. Jugez plutôt : à la caisse d’un magasin, un jeune homme se rend compte au moment de payer qu’il n’a pas sa carte de fidélité. Un oubli apparemment pris très au sérieux par les employés du dit magasin puisque le fraudeur est obligé de menacer le vigile (un pro de la roulade arrière) avec un poireau avant de prendre la fuite. S’en suit une chasse à l’homme grotesque qui fait rapidement naître plusieurs débats sur des questions de société qui divisent manifestement la population : « Non parce que là, qu’est ce qu’il va se passer ? Je vais vous le dire : il va aller en prison, ok, mais après, en sortant, qui vous dit qu’il ne va pas de nouveau ne pas avoir sa carte du magasin ? Si ça se trouve, après, il n’aura même pas son jeton pour le caddie ! » Une affaire comme celle-ci ne tarde pas à réveiller de vieilles controverses, chacun ayant évidemment son opinion sur la question, de la boulangère au pilier de comptoir en passant par les hommes politique, les médias, les artistes, les membres de la profession du fugitif…
Ah oui parce que le « criminel » est un auteur de BD… « Comme par hasard… » diront certains pour qui il n’est guère étonnant de voir ce genre de personne impliquée dans une aussi sombre histoire. L’ouvrage consiste en une succession de planches qui nous dévoilent tour à tour l’avancée de la fuite du héros ainsi que les conversations concernant ce triste fait-divers émanant de personnes issues de toutes les couches de la société. Le retour des idées nauséabondes de l’extrême-droite, la montée de l’antisémitisme et la prolifération des théories du complot, l’opportunisme dégoulinant de mièvrerie de toutes ces célébrités qui sautent sur l’occasion pour enregistrer un titre prônant l’amour et la tolérance, la paranoïa engendrée et encouragée par les médias… : Fabcaro dénonce par le biais de l’absurde tous les travers de notre société. Et ce n’est pas beau à voir ! L’humour ne l’empêche pas de taper là où ça fat mal, bien au contraire, et certaines scènes sont mêmes d’une telle lucidité et d’un tel cynisme qu’elles en deviennent plus tragiques que comiques. On rit cela dit beaucoup à la lecture de cette bande dessinée tant il est difficile de ne pas s’amuser des pitreries des personnages ou du ridicule de leur argumentaire : « Pff, on essaie encore de nous manipuler avec cette histoire…Bah attends, c’est évident, le gars il fait ses courses un jeudi : jeudi → judaïque → juifs ». CQFD.
Un petit ouvrage complètement barré qui dénonce par le biais de l’humour l’hypocrisie de notre société. Les médias, les bobos, les enseignants, les hommes politiques, la police, les péquins standards qui croient tout ce qu’ils entendent à la télé ou voient sur internet : tout le monde en prend pour son grade ! A consommer sans modération.
Autres critiques : Carre (Le Bibliocosme) ; Yaneck (Chroniques de l’Invisible)