La 25e Heure du Livre 2015, Conférence #1 : Pratiques chamaniques
Parmi les premières tables-rondes auxquelles nous avons pu assister cette année dans le cadre de la 25e Heure du Livre du Mans, celle intitulée « Pratiques chamaniques » proposait d’effectuer un rapide tour d’horizon de la façon dont se pratiquait le chamanisme chez différents peuples du monde. Étaient présents pour en parler Sébastien Baud (qui avait déjà été invité il y a quelques années pour parler du chamanisme andin et à qui on doit l’ouvrage « Faire parler les montagnes »), Harlyn et Karen Geronimo, tous deux descendants de grands chefs Appaches ; Corinne Sombrun, journaliste et marraine du salon, auteur de « Les esprits de la steppe » ; et enfin Michèle Therrien, spécialiste du peuple inuit. La conversation s’ouvre évidemment sur une présentation très générale de ce qu’est le chamanisme et de ses particularités. Les écrivains et spécialistes présents insistent bien sur le fait que le chamanisme n’est pas une religion au sens ou on l’entend aujourd’hui puisqu’il ne s’agit pas d’une transcendance verticale mais au contraire d’inter-relations entre un être humain et des êtres surnaturels. Pour Michèle Therrien il faut bien distinguer les deux : il y a des peuples à dieux et des peuples à chamanes. Son rôle premier est de veiller à l’équilibre du monde, une nécessité pour ces peuples qui doivent vivre en harmonie avec leur environnement, parfois très hostile.
Comment devient-on chamane ?
En Mongolie il faut aujourd’hui encore quinze année d’initiation avant de pouvoir se prétendre chamane. Il faut également posséder ce qu’on appelle « l’étincelle chamanique », autrement dit il faut que les esprits vous aient désignés comme chamane. Autrefois on interprétait comme des signes de la volonté des esprits des symptômes de maladie comme l’épilepsie ou encore la folie. Pour les gens, ces personnes avaient accès à une autre réalité et avaient un autre rapport au monde. Chez les autres peuples aussi, le chamane est rarement le personnage le plus en vue de la communauté. Il s’agit au contraire bien souvent d’orphelins ou encore d’handicapés, c’est-à-dire des gens qui ne font pas de bons chasseurs et auxquels on attribue donc un autre rôle à jouer dans la tribu.
Quel est le rôle et quels sont les pouvoirs que possèdent les chamanes ?
Corinne Sombrun témoigne que chez les Mongols, le chamane sert avant tout à faire le lien entre le monde des hommes et celui des esprits. Lorsque l’équilibre se trouve menacé, les esprits envoient des signes, des messages que les chamanes perçoivent comme des intuitions et qu’ils vont devoir décrypter. Il arrive aussi que les esprits envoient des problèmes à ceux qui les ont offensés. Les personnes visées vont alors se tourner vers le chamane qui va devoir entrer en transe (notamment grâce à l’utilisation d’un tambour) afin d’entrer en contact avec le monde des esprits et comprendre pourquoi ils s’en prennent à cette personne. Chez les Inuits, le tambour est aussi l’un des principaux instruments utilisés mais c’est surtout la parole qui est essentielle selon Michelle Therrien. Lorsque avaient lieu autrefois des séances de chamanisme, celles-ci étaient toujours publiques car le chamane avait besoin du soutien de l’assistance qui l’aidait par ses paroles à s’élever puis à retrouver son corps. Ils créaient ainsi une route que l’esprit du chamane empruntait pour retrouver son chemin.
Au Pérou aussi le chamane se sert de plusieurs « instruments », à commencer par le chant considéré comme une modalité de rencontre privilégiée avec le monde invisible. Il arrive également que les chamanes aient recours à des plantes psychotropes pour rentrer dans un état de transe qui, contrairement aux Inuits ou aux Mongols, est dite « possessive ». Autrement dit, le chamane va accueillir dans son corps un esprit en lien avec son environnement (celui d’une montagne, d’un animal…) et c’est à travers le chamane qui se retrouve en quelque sorte expulsé de son corps que l’esprit va s’adresser à l’assistance. Pour ce qui est des Apaches du Nouveau-Mexique d’aujourd’hui, Harlyn et Karen Geronimo expliquent qu’on parle plutôt de « medecin-man » et non de chamane. En ce qui les concerne, leur rôle principal est de soigner au moyen de plantes ou de rituels de protection.
Qu’en est-il de chamanisme chez tous ces peuples (Inuits, Mongols, Amérindiens) aujourd’hui ?
Le chamanisme existe toujours au Pérou même si on distingue des pratiques différentes en fonction des régions (Andes, Basses Terres). Chez les Inuits, les pratiques chamaniques ont aujourd’hui disparu mais on peut tout de même observer la continuité de certains rituels (un Inuit va par exemple avoir aujourd’hui encore le réflexe de sacrifier sa toute dernière cigarette au retour d’une bonne chasse pour remercier les esprits). Corine Sombrun parle pour sa part d’une séance de chamanisme à laquelle elle a assisté en Mongolie et au cours de laquelle elle est elle-même entrée en transe. Au Nouveau-Mexique aussi on pratique toujours une certaine forme de chamanisme puisqu’Harlyn et Karen Geronimo sont eux-mêmes medecin-man/woman. Pour eux, il s’agit de soulager l’esprit aussi bien que le corps en absorbant les « forces maléfiques » qui accablent le patient. Il leur faut ensuite se traiter eux-mêmes pour s’en débarrasser définitivement.