Magies secrètes, tome 2 : Le tournoi des ombres
Titre : Le Tournoi des ombres
Cycle : Magies Secrètes, tome 2
Auteur : Hervé Jubert
Éditeur : Le-Pré-aux-Clercs (Pandore)
Date de publication : 17 octobre 2013
Synopsis : Novembre à New London. Georges Beauregard, l’ingénieur mage, y est envoyé en compagnie de Jeanne, son assistante, pour sécuriser la venue d’Obéron III et de l’impératrice Titania. Au terme d’une semaine de festivités, le tunnel sous le détroit sera inauguré. Beauregard travaillera avec John Dee, le psychomancien de la reine Victoria.
Alors que les souverains respectent le programme, le smog s’abat sur la ville. Trois entités insaisissables en profitent pour massacrer des innocents par centaines que l’on retrouve dans des cocons de soie. Dee et Beauregard parviennent à identifier les Parques, évadées du Mont Tombe et à les neutraliser. Mais les sœurs du Temps n’étaient qu’un leurre. Le véritable ennemi s’apprête à frapper l’Empire. Il s’agit d’un enfant. Et il est porté par la colère.
Le Temps, songeait Dee. Le Temps les menait, chacun, plus ou moins vite, au tombeau. Il ne se laissait pas saisir. Il pouvait s’avérer trompeur. À l’ultime seconde de la dernière minute, il proclamait : « Je t’ai eu ! » Un écrivain séquanais était parvenu à en cerner l’essence. Qu’avait-il écrit ?
« Souviens-toi que le temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! C’est la loi »
Encore un opus de plus dans la collection Pandore de chez Le-Pré-aux-Clercs ! Après un premier tome motivant ayant remporté le Grand Prix de l’Imaginaire 2013 dans la catégorie « roman jeunesse francophone », Hervé Jubert a élaboré une suite à Magies secrètes qu’il nous propose sous le titre « Le Tournoi des ombres » et que je découvre ce coup-ci grâce à Babelio et au Pré-aux-Clercs.
Nous retrouvons évidemment l’ingénieur-mage Georges Beauregard, originaire de Séquana, capitale de l’empereur Obéron III dont il assure la sécurité féérique. Dans ce monde uchronique, le XIXe siècle a vu l’Europe être dominée par trois grandes puissances, l’empire de Séquana, l’empire d’Albion et la Mittel Europa. À l’occasion d’une visite diplomatique de très grande envergure en Albion, Beauregard doit assurer la protection de son souverain. Or, on comprend vite que tout le monde, ou presque, peut en vouloir à cet Obéron qui abhorre les féériques, ces êtres doués de magie/féérie que Beauregard, lui-même, cherche malgré tout à protéger. Activistes politiques, souverains concurrents, défenseurs de la féérie opprimée : ses adversaires ne manquent pas. Tout comme Georges Beauregard ne manque pas de travail d’ailleurs ; celui-ci est, du même coup, particulièrement bien entouré dans sa tâche : Jeanne, son assistante, a les mêmes problèmes que lui concernant son passé ; Condé, le robot, est en mal d’amour pour sa Colombine ; enfin, la déesse Isis ne pense toujours qu’à retrouver les restes génitaux de son défunt mari. Un bien beau cheptel de Feys dans un jeu de quilles diplomatiques !
Cela a une conséquence simple : les personnages pullulent dans cet opus. On constate vite que l’attention ne se portera pas forcément sur le personnage principal, Beauregard, pourtant bien assez torturé et attachant, à mon goût, pour soutenir l’histoire à lui tout seul. Ceci se confirme dans la multiplication des caméos de personnages célèbres et fictifs. Ainsi, de manière appuyée ou juste pour une allusion passagère, nous pouvons voir (entre autres, car il y en a des dizaines !) Sweeney Todd, Jack l’Éventreur, William Gladstone, Gustave Doré (celui-ci m’a davantage plu que les autres), Charles Dickens de manière très étonnante, et même le capitaine Nemo sorti de nulle part ! Cela tourne à l’amoncellement et m’a fait un peu décroché, alors que d’habitude j’adore ces clins d’œil bien tournés. Le plus important parmi eux est sans conteste John Dee, élevé ici au rang de psychomancien de la reine Victoria, puisqu’il apparaît véritablement comme le personnage principal de l’histoire avec la profondeur apportée à son esprit et sa personnalité. Tout cela m’a un peu dérouté de ce que je pensais ou espérais lire dans cette suite à Magies Secrètes ; peut-être est-ce l’immersion qui se révèle légèrement ratée, d’autant que l’auteur multiplie à l’envi, trop peut-être mais c’est le jeu, les références historiques et culturelles (l’exemple de l’origine sémantique du « smog » est un très bon exemple, hilarant au passage). Pourtant, j’ai adoré justement le meilleur passage immersif du roman, celui où l’auteur nous propose des « Curiosités impériales », reportages d’un journaliste sur les festivités diplomatiques entre Séquana et Albion.
En termes d’immersion, Hervé Jubert nous propose une enquête tortueuse dans les rues tantôt nauséabondes, tantôt fumeuses, parfois aussi cruellement clinquantes de New London. Ce jeu de piste se révèle certes entraînant, mais ne débouche finalement sur pas grand-chose, et les révélations finales m’ont décontenancé dans le mauvais sens du terme, j’avoue, ne cachant derrière tant d’atrocités en si peu de jours qu’un bien piètre artifice. À mon avis, les nombreuses intrigues secondaires, autour de Gustave Doré, de Jeanne, voire de Condé, ont pâti à nous recentrer sur la « mission principale » de Beauregard, qui en est devenue quelque chose de plus minoritaire. Pour autant, pour mettre en scène cette enquête drôlement chaloupée sur fond d’attaques terroristes, Hervé Jubert s’appuie sur sa connaissance appuyée de l’Angleterre victorienne. Celle-ci lui avait déjà servi pour construire un Paris steampunk et féérique pour la Séquana du premier tome, cela est tout autant utile pour bâtir la New London, capitale de la grande Albion encore plus à la pointe de la technologie vaporiste. Engins à vapeur à tous les coins de rue, instruments dernier cri et les grands débuts d’une proto-électricité, l’ambiance est bonne à n’en pas douter, d’autant plus que c’est l’occasion de croiser fantômes, nains et autres gnomes de toutes sortes puisqu’Albion les tolère largement.
Je sors donc un peu frustré de cette lecture dont j’attendais sûrement trop. Le Tournoi des ombres (dont finalement je suis au regret d’avouer que je ne comprends pas comment le titre peut se justifier) est une plongée intéressante dans un Londres steampunk des plus crédibles, mais n’a pas réussi, ce coup-ci, à me convaincre vraiment. Enfin, les allusions régulières à l’univers des comics super-héroïques ainsi qu’à l’ouest des États-Unis (Gotham, Hell’s Kitchen, Arkham) pourraient donner une idée sur la suite des aventures de l’ingénieur-mage Georges Hercule Bélisaire Beauregard.
Autres critiques : Oriane (La Pile à Lire)
Pour compléter efficacement la lecture de cet opus, Hervé Jubert nous propose toujours beaucoup de contenus additionnels sur un site dédié, Les Mystères de Séquana.