Punk Rock Jesus
Titre : Punk Rock Jesus
scénariste et Dessinateur : Sean Murphy
Éditeur : Urban Comics (Vertigo Deluxe)
Date de publication : 20 septembre 2013 (2012 en VO chez DC Comics/Vertigo)
Synopsis : Dans notre société de consommation, les chaînes de télévision sont prêtes à tout pour faire de l’audience. Le concept d’une nouvelle émission de télé-réalité consiste à bouleverser l’éthique et la religion et à re-créer un clone de Jésus. Arrivé à l’âge adulte, Chris devient le leader d’un groupe punk.
Bonjour l’Amérique ! La Nation la plus chrétienne du monde ! Celle que Dieu a bénie ! Ici Jésus Christ, qui s’adresse à vous en direct du sud de Manhattan, pour vous dire… Allez tous vous faire foutre ! Jésus vous hait !
Punk Rock Jesus : un comics très punk, très rock et très « Jesus ». Peut-on faire une introduction plus simpliste pour un opus aussi classe ? Sûrement pas, d’autant que si le pitch de départ semble être bateau, le traitement de Sean Murphy est, lui, particulièrement travaillé et approfondi.
Fruit d’un travail de dix ans et résultat de l’expérience engrangée par son auteur durant ce laps de temps, le roman graphique Punk Rock Jesus se veut adulte, assumé et surtout profond. Après une première lecture aussi tendue qu’excitante, le pari est réussi. Et on comprend, maintenant que nous avons le plaisir et l’honneur de le découvrir en VF, pourquoi nous avons entre les mains un des deux hits de l’année 2012 aux États-Unis, aux côtés de Saga, par Brian K. Vaughan et Fiona Staples.
Alors de quoi s’agit-il ici ? De notre propre société tout simplement : entre téléréalité, écologie hypocrite, politisation religieuse et économie capitaliste à outrance. L’élément déclencheur, le clonage du Christ via le fameux Suaire de Turin, vient bousculer ou conforter à l’extrême certaines de nos mauvaises habitudes, mais cela est surtout un point de convergence ultime de nombreuses contestations actuelles. Le récit parallèle sur l’Irlandais Thomas McKeal peut parfois être hors de propos, et pourtant tout cela se raccroche comme il faut, ou juste ce qu’il faut, quand arrive le dénouement.
Le raccourci peut être affreusement simpliste, une nouvelle fois, mais un clone de Jésus qui se nomme Chris et qui se lance dans une carrière de chanteur punk rock, c’est le coup de pied au cul métaphorique donné à la représentation actuelle du monde. Et ça fait véritablement du bien de lire ce genre de choses. Même si la culture punk et ses revendications ont beaucoup perdu de leur entrain ces dernières années, il est clair qu’un bout coup de pied dans la fourmilière nous remettrait sûrement les idées en place. Sean Murphy joue incroyablement bien sur cette corde sensible afin de retourner contre les religions, les médias et toute forme d’ « abrutissement des masses » leurs arguments souvent bien bidons ; les meilleurs moments tiennent sûrement à un triptyque simple et formateur : les pseudo-débats dans les médias, l’apprentissage de l’histoire des sciences et de la religion par le jeune Chris, et enfin ses revendications quand il s’affiche devant le monde entier. Nous retrouvons d’ailleurs ici l’aspect « jeunesse débridée » déjà bien présent dans Off Road qui paraîtra incroyablement bête pour certains peut-être, mais qui, pour moi, est l’étincelle nécessaire à chacun pour se lever tous les matins et affronter nos petits problèmes quotidiens.
Si l’ensemble de l’intrigue est prenante à souhait, le dessin de Sean Murphy ravira ses fans de toujours et pourrait largement convenir à de nouveaux adeptes du genre. Ses visages triangulaires sont particuliers et presque hargneux ; ses scènes d’action, malgré quelques cabrioles exagérées, sont dantesques de violence et d’atrocité ; quant au grisé habituel de son trait, il se fond, la plupart du temps, dans les mines décontenancées de ses personnages bien souvent pris en flagrant délit de tristesse. Point de couleurs ici, mais ce n’est pas pour autant un problème, car qu’aurait pu apporté la colorisation en plus : nous avons déjà toute la force du trait de l’auteur pour nous signifier combien chaque scène est prenante et combien le drame appelle encore et toujours le drame. Et si quelques scènes mineures auraient pu mériter certains détails supplémentaires, il va sans dire que Sean Murphy fait partie des meilleurs dessinateurs du moment.
D’une certaine façon, et d’un point de vue tout à fait personnel, nous avons là une version très punk, très revendicatrice, de L’Évangile de Jimmy, par Didier Van Cauwelaert qui m’avait tout autant touché. C’est avec ce type de comics que nous pouvons nous dire que les romans graphiques sont loin d’être morts (en comics, car en franco-belge, ils se portent déjà bien mieux de toute façon) et le fait qu’ils se lisent seuls, sans appartenir à une série, n’est pas un défaut, bien au contraire.
Un volume de grande classe donc, qui fait tant réfléchir sur la bêtise de nos civilisations qu’il nous faudrait bien plus de bandes dessinées de ce genre. L’intrigue comme les images résonneront dans votre esprit bien après la lecture…
Voir aussi : La critique de Boudicca (Le Bibliocosme), de Kissifrott (Le Dévoreur de livres), de PoisonFanny (ComicsPourNoob) et de Yaneck (Chroniques de l’Invisible)
Aucun commentaire
yaneckchareyre
Ah, tu fais bien de mettre en valeur ce bouquin, c’est un vrai coup de coeur, pour moi…
Dionysos
Oui, je le ressors de temps en temps parce que je refuse qu’il végète dans les tréfonds de notre catalogue d’articles, il mérite plus de visibilité. 🙂 Il y a tant de sorties désormais qu’on oublie trop facilement les belles et bonnes publications.