Le Camp des autres
Titre : Le Camp des autres
Auteur : Thomas Vinau
Éditeur : Alma (Romans) [site officiel]
Date de publication : 24 août 2017
Synopsis : Gaspard fuit dans la forêt avec son chien. Il a peur, il a froid, il a faim, il court, trébuche, se cache, il est blessé. Un homme le recueille. L’enfant s’en méfie : ce Jean-le-blanc, est-ce un sorcier, un contrebandier ?
En 1907, Georges Clemenceau crée les Brigades du Tigre pour en finir avec « ces hordes de pillards, de voleurs et même d’assassins, qui sont la terreur de nos campagnes ». Au mois de juin, la toute nouvelle police arrête une soixantaine de voleurs, bohémiens et déserteurs réunis sous la bannière d’un certain Capello qui terrorisait la population en se faisant appeler la Caravane à Pépère. C’est avec eux, que Gaspard, l’enfant insoumis, partira un matin sur les routes.
Le givre fait gueule la lumière. Lorsqu’il a voulu ouvrir les yeux, sa paupière gauche était encore collée par le sang. Il passe plusieurs minutes, mains en coupe autour du visage, à tenter de réchauffer lentement par son haleine la peau tuméfiée de ses joues, les croûtes sur ses arcades fendues, l’arc-en-ciel de coups sur sa petite tronche d’ange écrasée.
Les éditions Alma ont proposé pour la rentrée littéraire 2017 un roman d’un auteur qui a déjà écrit plusieurs fois pour eux : Thomas Vinau, avec Le Camp des autres.
Le Camp des autres narre les errements de Gaspard, enfant fuyard à travers la forêt. Il rencontre bon gré mal gré différents protagonistes qui l’embringuent toujours plus loin. La peur, la solitude et la survie sont les trois orientations majeures qui guident ses faits et gestes. Ce sont ces rencontres qui forgent sa situation et, clairement, il n’a pas la meilleure vie qui soit, ce petit. À commencer par le duo cocasse qu’il forme avec Jean-le-blanc, que le récit tente de rendre mystérieux par ses activités, mais qui semble être tout simplement un braconnier solitaire cherchant à vivre en marge. Chaque rencontre en amène une autre, plus angoissante que la précédente, en tout cas pour le petit Gaspard.
Pour tout dire, ce n’est pas tellement le sujet qui peut faire tomber ce roman des mains du lecteur, mais le style utilisé lourd, redondant, assez pompeux, sans ponctuation de dialogue, finalement pataud. C’est agaçant déjà cette liste d’adjectifs qui ne se complètent qu’avec peine, hein ? Eh bien, imaginons environ quatre-vingts chapitres d’une page où se juxtaposeraient (dans la plupart d’entre eux) des listes d’expressions de cette nature et où l’intérêt de chaque chapitre est, semble-t-il, de jouer avec force de l’anaphore multirécidiviste. Il est compliqué d’apprécier ce type de style si on ne rentre pas tout de suite dans l’idée que se fait l’auteur de son récit. De toute façon, le lecteur doit déjà se méfier quand la quatrième de couverture promet un roman « puissant, urgent, minéral ». Minéral ? Il y a de quoi se questionner sur l’aspect minéral de ce texte. Est-ce un récit froid, rigide, immobile ? Tout au contraire, il y a de quoi le trouver très organique ce texte, mais malheureusement pas forcément dans le bon sens du terme. Il tente de s’appuyer sur quantité de détails animaliers et végétaux qui composent le décor de la fuite en avant du petit héros ; bien sûr, cela se fonde le plus souvent sur une liste d’animaux de la forêt ou bien une suite de plantes forestières. Par contre, le vocabulaire est choisi et touffu (sans jeu de mots), mais qu’il soit juxtaposé ainsi est sidérant. Il suffit de prendre un chapitre en exemple pour comprendre ce qui peut être particulièrement gênant à la lecture.
Ils ont continué à parler à l’aplomb cru du soleil de mai. Ils ont continué à jongler leurs méfiances, leurs silences, leurs regards, sans jamais être certains de savoir s’ils jouaient finalement dans la même équipe ou l’un contre l’autre. Jean-le-blanc a respecté les distances de sécurité le temps qu’il fallait pour que l’enfant se rende compte qu’ils étaient déjà ensemble à parler la même langue. Mais rien ne put et ne pourrait jamais faire disparaître les deux pas de recul au fon des yeux de Gaspard, cet arrière-goût dans la bouche, cette manière particulière de poser son corps sans être jamais vraiment en sûreté. Une attitude que l’homme partageait avec l’enfant tout comme le bâtard, tout comme le furet, tout comme chaque être qui a eu un jour à tremper sa langue dans la cruauté des autres. Cette impression qu’inéluctablement bientôt, la douceur de la pause cesserait et l’entourloupe pointerait son nez. Ce qui-vive de bête blessée. Jean-le-blanc a utilisé des mots simples, pour dire des choses simples. Il a dit J’ai choisi un camp. Le camp de ceux dont on ne veut pas. Le camp des nuisibles, des renards, des furets, des serpents, des hérissons. Le camp de la forêt. Le camp de la route et des chemins aussi. De ceux qui vivent sur les chemins. De la trime et de la cloche. Des romanichels et des bohémiens. Ceux qui parlent aux bêtes et aux nuits. Ceux qui n’ont pas peur de la lune. Ceux qui dressent l’indressable et apprivoisent l’inapprivoisable. Ceux qui connaissent la langue des fantômes. Le secret des plantes et des champignons. Les chants païens et antiques. Les proscris aussi. Les fuyards. Les insoumis. Les orphelins. Je viens d’un pays près d’Avignon. J’ai le sang mêlé. Mon père était un gitan. Ma mère une paysanne. J’ai fait tous les métiers de la route. Ferblantier, rémouleur, rempailleur, montreur d’ours, colporteur, musicien et acteur. J’ai travaillé dans les champs d’olive et dans les mines de houille. Je sais soigner ou tuer avec les plantes. J’ai marché de l’Espagne à la Hollande. Mon père croyait en la Vierge noire, ma mère en la Vierge Marie. Les deux ont été tués par des hommes. Aujourd’hui je vis là. Je suis un bâtard libre. Je ne suis d’aucun camp et ceux qui ne sont d’aucun camp sont les bienvenus ici.
Pour autant, le fonds historique vanté par le synopsis est méconnu et intéressant. Le Camp des autres tente de construire un récit autour de l’histoire de la Caravane à Pépère, cette bande organisée qui organisa vols et braquages pendant les années 1906 et 1907 à travers la France. Elle ne se fait arrêter qu’en Charente-Maritime (La Tremblade, pour ceux qui connaissent) par les brigades mobiles, prémisses des fameuses Brigades du Tigre de Georges Clémenceau. Certes, celui-ci comme d’autres personnages (Capello notamment) sont bien présents et identifiables, même si c’est surtout dans la deuxième partie de ce court roman, mais de là à y voir un récit « urgent », qui utiliserait efficacement cet épisode historique pour questionner notre monde actuel, il y a de quoi fortement douter, car la lecture en est bien floue.
Bref, autant ne pas épiloguer trop longtemps, Le Camp des autres m’a davantage exaspéré que passionné, alors même que l’épisode historique choisi pose des questions intéressantes. L’excès de minéraux est dangereux pour la santé.
Autres critiques :
Ouvrage reçu gracieusement des éditions Alma dans le cadre de l’opération « Matchs de la Rentrée littéraire » (#MRL17) de PriceMinister-Rakuten. Merci à eux.
2 commentaires
lutin82
Ah!
Je les vus en librairie il y a quelques jours. Je trouve la couverture bien terne. Et ta critique ne m’inspire pas. Du tout. Je vais éviter le contact avec des minéraux!
Dionysos
Et pourtant, un certain nombre de lecteurs l’ont adoré, donc à voir si je n’ai pas, au fond, rien compris. 🙂