Science-Fiction

Célestopol

Titre : Célestopol
Nouvelles : Face cachée ; La chambre d’ambre ; Dans la brume ; Les lumières de la ville ; Les jardins de la Lune ; Oderint dum metuant ; Une note d’espoir ; Le boudoir des âmes ; La douceur du foyer ; La danse des libellules ; Convoi ; Le chant de la Lune ; Fly me to the moon ; Tempus fugit ; Le roi des mendiants
Auteur : Emmanuel Chastellière
Éditeur : Les éditions de l’Instant
Date de publication : 2017 (mai)

Synopsis : Célestopol, la cité lunaire, la perle de l’Empire Russe, la ville de toutes les démesures, où toutes les technologies de ce XXème siècle naissant se combinent pour créer la métropole ultime. Célestopol, où à chaque coin de rue, la magnificence de ses merveilles architecturales rivalise avec l’éblouissement que provoquent ses automates affectés à mille et une tâches. Célestopol et ses canaux de sélénium dont la brume mordorée baigne en permanence la lumière des réverbères. Célestopol, la ville sous dôme, le défi ultime de l’humanité lancé aux étoiles. Célestopol la rebelle, l’insoumise. Célestopol, où chaque habitant porte en lui une colère, un amour, une tristesse, une vengeance. Célestopol et son duc extravagant, aux pouvoirs sans limites, dont la simple présence est une insulte adressée à chaque instant à l’autorité de la Tsarine. Célestopol, en quête de liberté et d’émancipation, loin d’une Terre qui menace de sombrer dans les flammes. Célestopol, la ville qui a arraché un peu de l’âme de toutes les Russies et l’a posé sur la Lune.

Célestopol… Cela fait si longtemps que j’admire ses lumières de loin. Je veux m’y rendre pour de bon. Je veux me retrouver sous sa coupole. Je veux admirer le palais ducal, l’horloge Saint-Basile et les canaux.

Début du XXe siècle. Grâce à une nouvelle technologie encore balbutiante mais pleine de promesse, l’Empire russe parvient non seulement à envoyer des hommes sur la Lune, mais aussi à rendre possible la construction d’une ville toute entière : Célestopol. Une cité sous cloche qui finit par échapper au fil des années au contrôle de ses créateurs et qui se métamorphose peu à peu au gré des lubies de son dirigeant, l’excentrique duc Nikolaï. Après un premier roman plutôt bien accueilli par la critique (« Le village »), Emmanuel Chastellière revient cette fois avec un recueil consacré à cette fameuse cité lunaire dont chaque nouvelle nous dévoile un aspect différent. Alors, le voyage vaut-il le détour ? La réponse est incontestablement oui, même si j’avoue avoir eu quelques difficultés au début de ma lecture, les deux premières nouvelles étant, à mon humble avis, les plus faibles du recueil. Les treize textes suivants sont heureusement plus réussis, si bien que l’on se laisse rapidement prendre au piège de cette cité aux multiples visages, tour à tour merveilleuse et innovante ou au contraire monstrueuse et inquiétante (une ambiance d’ailleurs très justement retransmise par l’illustration de couverture signée Marc Simonetti). Difficile de ne pas se laisser entraîner par cette déambulation dans les lieux les plus emblématiques ou les plus magiques de la ville lunaire, du labyrinthique palais des glaces à l’imposante horloge de Saint-Basile, en passant par les jardins suspendus, le casino flottant ou encore la très décriée maison close « Chez Hécate ». L’auteur a pris soin de bien peaufiner son univers, cela se ressent, et il en va de même de la plupart des personnages. Le plus marquant d’entre tous reste incontestablement le duc Nikolaï, souverain retors et tyrannique, qui possède une personnalité troublante que l’on peine à cerner.

On retrouve d’ailleurs tout au long du recueil un certain nombre de figures emblématiques de Célestopol qu’il s’agisse du peu discret duo de mercenaire mi-humain mi-ours, des redoutables Siamoises (assassins de haute volée), de l’impuissant capitaine de la garde ou encore du voleur ambitieux, mettant de temps à autre ses services à disposition du duc. L’auteur construit ici un habile jeu de chassé-croisé, certains personnages ou certains lieux faisant leur apparition dans plusieurs nouvelles de manière plus ou moins anecdotique. Et s’il est bien une figure dont l’ombre plane sur la totalité du recueil, c’est bien entendu celle du duc Nikolaï. Le titre de la nouvelle « Oderint dum metuant » (« Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent ») donne le ton sans guère d’ambiguïté et est intéressante dans ce qu’elle nous révèle des attaches du personnages avec la Russie et surtout de son caractère. Même chose avec « Tempus fugit », sans doute l’un des textes les plus réussis du recueil, mettant en scène un peintre à qui l’on confie la mission de restaurer un vieux portrait du maître de la cité, complètement transformé par les années et donnant du duc une vision terrifiante. La référence au célèbre « Portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde est évidente et on entre vite en empathie avec l’artiste, hanté par ce tableau qui ne tarde pas à également provoquer chez le lecteur un profond sentiment de malaise. L’ombre du personnage plane aussi sur plusieurs autres nouvelles qui nous révèlent qui les atrocités dont l’homme s’est rendu coupable pour satisfaire ses ambitions (« Convoi », un texte glaçant !), ou qui les extrémités auxquelles ses adversaires se retrouvent réduis pour remettre en cause son pouvoir (« Le chant de la lune »).

Il est une autre figure qui traverse de manière un peu moins marquée mais toute aussi importante l’ensemble du recueil : celle des automates. Main d’œuvre abondante et silencieuse, les créatures de métal pullulent dans la cité lunaire, certaines servant comme domestiques, d’autres comme manutentionnaires, gardes du corps voire même prostitués. De simples machines, tolérées par les habitants de Célestepol tant qu’elles se cantonnent aux tâches spécifiques pour lesquelles elles ont été programmées. Une poignée de ces automates sont pourtant de toute évidence bien plus que cela. Dans « Le boudoir des âmes », l’un d’entre eux entame ainsi une carrière (fort controversée) de spirite, tandis que dans « Fly me to the moon », une prostituée robotique parvient à convaincre un homme de l’aider s’échapper de sa prison. Ils sont d’ailleurs nombreux, ces hommes à se laisser séduire ou émouvoir par ces créatures devenues plus humaines que machines, qu’il s’agisse du jeune garde de « La danse des libellules », ou encore du gardien de « Les lumières de la ville », deux textes très réussis, le premier par sa chute inattendue, le second par la nostalgie qui s’en dégage. Les autres textes du recueil servent essentiellement à mettre en avant un lieu symbolique (les canaux dans « Dans la brume » ; les jardins suspendus dans « Les jardins de la Lune »…) ou rappeler l’influence de la Russie et sa culture sur la ville de Célestopol. Dans « Une note d’espoir », l’auteur reprend ainsi l’une des figures les plus célèbres de la mythologique russe, celle de Baba-Yaga, de même que dans « La douceur du foyer », l’un de mes textes préférés, qui relate les difficultés posées par la présence d’un esprit protecteur dans un bâtiment appelé à devenir le premier Grand magasin sur la Lune. « Le roi des mendiants », dernière nouvelle du recueil, se démarque indubitablement des précédentes et permet de refermer l’ouvrage sur une note douce-amère qui n’est pas désagréable.

Pari réussi pour Emmanuel Chastellière qui signe avec « Célestopol » un ouvrage de qualité qui, en dépit de quelques maladresses plus ou moins marquées selon les textes, dresse le portrait d’une cité complexe et envoûtante dans laquelle on s’attarderait bien plus longtemps. Une jolie découverte.

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Lutin82 (Albédo – Univers imaginaires) ; Blackwolf (Blog O livre) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Lhisbei (RSF Blog) ; Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres) ; Marie Juliet (Les lectures de Marie Juliet) ; Xapur (Les lectures de Xapur)

Critique réalisée dans le cadre du Challenge Summer Short Stories of SFFF

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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