Science-Fiction

La parabole du semeur

Titre : La parabole du semeur
Auteur/Autrice : Octavia Butler
Éditeur : Au Diable Vauvert
Date de publication : 1995 / 2020 pour la dernière réédition

Synopsis : 2024. Le nouveau président des États-Unis provoque une crise sans précédent. Dérèglement social et climatique, épidémies, pauvreté, violences… Dans ce décor post-apocalyptique, la barbarie règne, les murs s’élèvent. La fille d’un pasteur noir atteinte d’hyper-empathie entame la rédaction d’une Bible d’espoir et d’humanité, Le Livre des Vivants.

Un roman post-apo qui n’a pas pris une ride

Après avoir hésité à sauter le pas c’est avec plaisir que je continue à explorer la bibliographie de l’autrice afro-américaine Octavia Butler dont j’avais adoré le roman « Liens de sang » et qui est à nouveau responsable d’un nouvel uppercut avec « La parabole du semeur ». Paru en 1993, l’ouvrage n’a rien perdu en acuité et reprend une grande partie des inquiétudes et des problématiques abordées dans des romans post-apo plus récents. L’autrice met ici en scène une adolescente, Lauren qui vit dans un quartier ayant la chance d’être protégé par de hauts murs qui leur garantissent une relative sécurité. Car le monde est devenu bien dangereux et, s’il existe encore une structure étatique et certaines institutions, ces dernières ont désormais renoncé à intervenir pour protéger les citoyens et sont impuissantes à contenir les hordes de réfugiés qui fuient le sud des États-Unis pour les états, plus cléments, du nord. Lauren vit dans l’un des rares quartiers encore habitables du sud, mais les choses ne cessent de se dégrader, et les intrusions violentes fragilisant leur communauté se font de plus en plus fréquentes. Il faut dire que le peu que sa famille et ses voisins possèdent représente déjà tout pour les milliers de pauvres réduits à vivre dans la rue et qui subissent les attaques des chiens sauvages mais aussi des pyros, des drogués accros à une nouvelle substance qui les incite à mettre le feu à tout ce qu’ils trouvent. Pour notre héroïne il paraît clair que leur relative tranquillité ne va pas tenir longtemps et qu’il faut se préparer au pire. Parallèlement à ses préparatifs en cas d’attaques, la jeune fille commence la rédaction d’un ouvrage dans lequel elle entreprend de mettre des mots sur sa façon de considérer Dieu, et ainsi poser les bases d’une nouvelle religion.

Un futur sombre et violent

Bon, je vous avoue qu’étant résolument athée, tout le côté mystique/religieux ne m’a pas spécialement emballé. Heureusement, cet aspect du roman reste relativement secondaire, l’essentiel de l’intrigue étant consacré au périple de Lauren et à l’état du monde dans lequel elle doit survivre. Au fil du temps, cette dimension en particulier du récit devient même assez salutaire, puisqu’elle apporte une lueur d’espoir bienvenue dans un océan de ténèbres. Car le futur envisagé ici par Octavia Butler est très, très noir, ce qui peut souvent rendre la lecture assez éprouvante. Viols, cadavres démembrés, meurtres sordides (dont les victimes sont parfois des enfants), torture… : certaines scènes sont parfois à la limite de l’insoutenable, pour autant à aucun moment l’autrice ne donne l’impression de tomber volontairement dans la surenchère ou d’en faire trop. Il n’en reste pas moins qu’il faut avoir le cœur bien accroché tout au long de la lecture, au point même qu’on en vient à redouter de commencer un nouveau chapitre tant la peur d’une nouvelle tragédie est grande. Le récit nous est ici narré par Lauren elle-même qui consigne tout ce dont elle est témointe dans le même carnet que celui dans lequel elle pose les fondations de sa religion. On est ainsi sans arrêt tiraillé entre l’irrésistible envie de savoir ce qu’il va arriver à Lauren et ceux qui vont la rejoindre dans son périple, mais aussi la peur de voir l’un d’entre eux disparaître ou subir les pires sévices. Outre cette violence omniprésente, le monde futuriste imaginé ici par Octavia Butler se caractérise aussi par un environnement de plus en plus hostile, avec notamment une multiplication des tremblements de terre et l’essor de méga feux, ce qui fait échos à des préoccupations écologiques actuelles.

Des personnages lumineux

La question de l’esclavage est, comme souvent, une des thématiques centrales du roman, la misère galopante de la quasi totalité de la population américaine ayant favorisé la création d’enclaves possédées par des entreprises privées qui ont remis aux goût du jour cette pratique. Les tensions raciales sont également une composante majeure du roman, tous n’ayant pas accès aux mêmes opportunités ou n’ayant pas les mêmes chances de s’en sortir en fonction de leur couleur de peau ou de celle de leur partenaire. En dépit de toute la violence et de la peur exprimées, on ne peut s’empêcher de vouloir à tout prix connaître le sort réservé à Lauren et ses compagnons de route qui se révèlent tous être d’excellents personnages. Lauren, d’abord, est une héroïne à laquelle il est aisé de s’attacher : elle a la tête sur les épaules, sait se montrer intraitable quand il le faut mais est aussi capable de faire preuve d’humanité lorsque la situation d’un autre réfugié la touche. A noter que la jeune femme est atteinte d’hyper-empathie, un handicap particulièrement sévère dans un monde où on est susceptible de devoir blesser ou tuer quelqu’un régulièrement pour sauver sa peau. Les personnages qui gravitent autour d’elles sont très attachants, quand bien même tous sont loin d’avoir un portrait flatteur. Octavia Butler met comme souvent en avance l’ambivalence de ses protagonistes, capables de faire tour à tour preuve de mesquinerie mais aussi de solidarité quand les temps se font rudes.

Véritable uppercut, « La parabole du semeur » est un roman sombre mettant en scène une adolescente tentant de survivre dans un monde devenu fou et où la violence est désormais omniprésente. Certaines scènes sont difficilement soutenables mais la violence dépeinte par Octavia Butler n’est jamais gratuite et sert un propos axé autour de la nécessité de faire groupe pour ne pas sombrer, mais aussi sur la dénonciation de ce qui menaçait alors (et menace toujours aujourd’hui) nos sociétés : la crise écologique, la crise sociale, la crise économique et la crise démocratique. Bien qu’écrit au début des années 1990 le roman n’a pas vieilli, aussi est-ce avec plaisir que je me plongerai dans le second volet de ce diptyque rude mais néanmoins fascinant.

Voir aussi : La parabole des talents

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.