Récit contemporain

La deuxième femme

Titre : La deuxième femme
Autrice : Louise Mey
Éditeur : Éditions du Masque / Pocket
Date de publication : 2020 / 2021

Synopsis : Sandrine ne s’aime pas. Elle trouve son corps trop gros, son visage trop fade. Mais plus rien de cela ne compte le jour où elle rencontre son homme. Récemment endeuillé par la disparition de sa femme, il lui fait une place, dans sa vie, dans sa maison, auprès de son fils. Discrète, aimante, reconnaissante, Sandrine se glisse dans cette absence, fait de son mieux pour que le bonheur renaisse au sein de cette famille. La sienne désormais. Jusqu’au jour où la première femme réapparaît.

Et Sandrine rencontra l’amour…

Sandrine est une jeune femme vulnérable qui n’a aucune estime d’elle-même et désespère de finir seule. Alors lorsque, à la télévision, elle tombe sur le regard de cet homme dont la femme vient de disparaître et qui se retrouve seul avec son petit garçon, elle croît reconnaître la même détresse, la même solitude. Une impulsion un peu folle l’incite à se rendre à la marche blanche organisée en l’honneur de l’épouse disparue, et c’est là qu’elle va avoir l’occasion de rencontrer l’homme en question. Les mois passent et Sandrine vit désormais, heureuse, avec celui qu’elle a baptisée affectueusement dans sa tête « l’homme qui pleure ». Bien que mal à l’aide, elle a accepté de venir vivre dans sa maison, aux côtés de son petit garçon silencieux, retranché derrière de solides murailles depuis la mort probable de sa mère. Seulement voilà, un soir, tout vole en éclat. Car aux informations une nouvelle inattendue est tombée : la première femme, la disparue, a été retrouvée. Pour Sandrine c’est la douche froide : elle, l’intruse, la remplaçante, la deuxième femme, va-t-elle être jetée comme un kleenex maintenant que celle dont elle ne semble avoir été que l’ombre est revenue ? A son grand soulagement, l’homme de sa vie ne semble, lui non plus, guère ravi de ce rebondissement. Et puis il semblerait que la miraculée ait perdu la mémoire, alors peut-être ne va-t-elle pas chercher à reprendre sa place ? En proie aux doutes, Sandrine n’espère qu’une chose : que son homme va la choisir, elle. Et qu’importe si ce dernier a un comportement de plus en plus autoritaire, cherche à contrôler tous les aspects de sa vie et prétexte du stress engendré par la situation pour se montre de plus en plus violent. Véritable thriller psychologique, le roman de Louise Mey est aussi un excellent page-turner qu’on dévore en état de quasi-apnée.

Plongée éprouvante dans le phénomène d’emprise

Et elle est éprouvante, cette plongée dans la tête de cette héroïne qui peut paraître dans un premier temps assez déroutante ! Sandrine est en effet une jeune femme possédant une estime d’elle-même au plus bas, se qualifiant en permanence de « grosse vache », de « nulle » et se dévalorisant sans arrêt. Ses pensées tournent et tournent dans sa tête au point parfois de donner le tournis tant ce flux ininterrompu suinte le mal-être et la vulnérabilité. Un état d’esprit idéal pour un homme comme celui qu’elle va rencontrer et qui va faire tomber progressivement toutes ses barrières et lui imposer une relation d’emprise totale. Le roman de Louise Mey est un ouvrage qui expose en détails l’ensemble des mécanismes entrant en jeu dans le cadre de ce phénomène encore trop souvent méconnu ou sous-estimé. Tout comme Sandrine, on passe ainsi par tout un tas d’états d’esprit, et, si on comprend immédiatement que le comportement de l’homme dont elle partage la vie n’a rien de normal et que cela ne peut qu’empirer, on comprend aussi la paralysie de la jeune femme et sa détermination à toujours lui trouver des excuses pour ne pas s’avouer qu’elle vit bien une situation de violences conjugales. A travers l’histoire de cette femme, on réalise avec netteté comment on peut en arriver à se laisser enfermer dans une relation où la violence s’installe de manière tellement insidieuse que, lorsqu’on la remarque, il est déjà trop tard. Tout y est : le déferlement de preuves d’amour aussitôt suivi d’un contrôle de plus en plus accru sur un ou plusieurs aspects du quotidien (textos à envoyer fréquemment pour « rassurer » sur l’endroit où l’on est, pression pour rompre avec toutes les interactions sociales en dehors du couple…), la violence psychologique, la culpabilisation, la sape de la confiance en soi de la victime, et puis, souvent, les coups. Des coups aussitôt suivis d’une sorte de lune de miel au cours de laquelle Sandrine a l’impression de retrouver enfin celui qu’elle aime, et qui l’incite à rester encore, et encore, et encore… Quitte à mettre sa vie en danger.

Le poison de la féminité thaumaturgique

On assiste avec un sentiment d’effroi à la descente aux enfers de cette jeune femme qui, alors que le comportement de son conjoint se fait de plus en plus violent, va au contraire s’accrocher à son couple avec l’énergie du désespoir après le retour de la « première femme ». Si ce qui lui est arrivé fait peu de doute dans l’esprit des lecteurices (on commence aujourd’hui à être davantage sensibilisé au féminicide et à ses mécanismes), d’autres questions nécessitent des réponses qu’on trépigne d’avoir : quelles sont les circonstances exactes de la disparition de la première femme et de quoi se souvient-elle ? Sandrine va-t-elle parvenir à s’en sortir où va t-elle restée sous l’emprise de cet homme auprès duquel elle court à sa perte ? Ces interrogations nous tiennent en haleine pendant toute la durée du roman dans lequel la tension va croissante au point de devenir presque insoutenable dans le dernier tiers. Le parcours de Sandrine m’a beaucoup fait penser à un essai de Mona Cholet que j’ai lu il y a peu (« Réinventer l’amour ») et dans lequel la journaliste consacrait un chapitre à ces femmes éprises de tueurs en série. Alors, certes, on n’en est pas là ici, mais à voir cette jeune femme tomber amoureuse d’un homme via un écran de télévision simplement parce qu’elle le trouve triste et qu’elle pense pouvoir le guérir (sans se questionner plus avant sur sa possible responsabilité dans la disparition de sa femme) renvoie à ce que l’essayiste appelle la « féminité thaumaturgique », une croyance encore très répandue dans notre société (et véhiculée par de nombreux livres, films ou séries) qui veut que la violence d’un homme ne soit que le symptôme d’une profonde souffrance et que seule une femme loyale et déterminée pourra le sauver. Le seul bémol que j’aurai à formuler concernant le roman concerne son côté un peu trop « pédagogique » parfois (même si la démarche est plus que louable), aspect incarné notamment par le personnage de la policière chargée de la réouverture de l’enquête pour disparition qui m’a parue un peu trop stéréotypée.

Dans « La deuxième femme », Louise Mey nous plonge dans la tête d’une jeune femme vulnérable et nous invite à assister à sa descente aux enfers alors qu’elle tombe sous l’emprise d’un homme dont la première femme a déjà mystérieusement disparu sans laisser de traces. Le retour inattendu de cette dernière va mettre le feu au poudre et plonger Sandrine dans un désarroi d’autant plus grand que son compagnon va alors prétexter de son désespoir pour multiplier les violences à son encontre. Véritable thriller psychologique, le roman de Louise Mey nous dépeint avec justesse et précision en quoi consiste l’emprise et pourquoi il est si difficile d’en sortir. Un roman coup de poing à la lecture duquel on ne ressort pas indemne, et ce même si on est déjà sensibilisé sur le sujet.

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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