Fantastique - Horreur

Se méfier de l’eau qui dort

Titre : Se méfier de l’eau qui dort
Autrice : Julia Richard
Éditeur : HSN
Date de publication : 2025 (juin)

Synopsis : Schmutzheim est un petit village paisible au fin fond d’une vallée reculée. Astrid, dix-sept ans, y prend soin de son aïeul à la santé déclinante et de sa petite sœur Ingrid. Parvenant difficilement à joindre les deux bouts, les filles complètent leur activité fermière avec le commerce de remèdes artisanaux, ce qui leur vaut la réputation de sorcières et la méfiance de leurs voisins. Et alors que d’obscurs miracles se multiplient autour d’elles, combien de temps encore avant qu’elles ne soient désignées coupables ? Autrice des très remarqués Carne et Paternoster, Julia Richard revient avec un texte sombre et inquiétant. Donnant la part belle aux obstacles banals du quotidien, aux préoccupations adolescentes et à la richesse de la langue française, Se méfier de l’eau qui dort allie récit intimiste et conte funeste inéluctable.

Et la rivière se réveilla…

Julia Richard est une autrice que j’ai découvert il y a peu grâce au roman « Paternoster », un récit fantastique mettant en scène l’accueil pour le moins terrifiant d’une jeune femme au sein de sa belle-famille. Deux ans plus tard, la voilà de retour avec un nouvel ouvrage dont l’action se déroule à Schmutzheim, un petit village reculé du fin fond de la Lorraine où vivent deux sœurs, Astrid, la narratrice, et Ingrid. Toutes deux résident dans une ferme non loin du bourg avec leur grand-père et vivent de leur commerce de fromages, mais aussi de remèdes médicinaux confectionnés à base de plantes (aucune période précise n’est donnée mais on est vraisemblablement aux alentours des XVIII ou XIXe siècles). Évidemment, cette activité annexe couplée à leur statut de filles célibataires ont rapidement contribué à leur valoir leur réputation de sorcières. Encore jeune adolescente, Ingrid ne prête que peut d’attention aux commérages des villageois, quand Astrid, au contraire, se retrouve en première ligne pour endurer leurs mépris, voir leur violence. C’est dans ce contexte déjà relativement tendu pour la jeune femme qu’une série de miracles va brutalement venir bouleverser la petite communauté dont certains membres acquièrent soudainement des capacités surnaturelles. Si dans un premier temps tout le monde se réjouit de l’aubaine, Astrid, elle, ne partage pas la liesse villageoise. D’abord parce que son grand-père a vite fait de doucher son enthousiasme en lui expliquant qu’un tel phénomène s’est déjà produit ici même il y a des décennies, et que tout a très mal fini. Ensuite, parce qu’elle sait bien que, quand les choses se mettront à dégénérer, le village cherchera un bouc-émissaire. Et qui de mieux qu’une sorcière pour servir d’exutoire à des hommes et des femmes en colère ?

Hommage au foklore lorrain

Le roman nous relate par le menu le quotidien du petit village lorrain et de ses habitants dont on se familiarise peu à peu avec les personnalités, les inimitiés et les histoires. On prend beaucoup de plaisir à suivre Astrid, une héroïne avec la tête sur les épaules et prête à tout pour préserver sa sœur, et on se prend à suivre avec intérêt ses activités pourtant relativement banales (s’occuper des chèvres, faire des achats, se procurer de nouveaux ingrédients pour ses remèdes…). L’immersion dans cette communauté rurale est particulièrement réussie et renforcée par l’utilisation par l’autrice de nombreux termes issus du patois local, ce qui ajoute au roman une touche d’authenticité convaincante. De même, l’utilisation d’expressions populaires connues et le détournement qui en est fait ici est une excellente idée et permet d’ancrer encore un peu plus le récit dans notre imaginaire. Le surnaturel apparaît progressivement, sans que son arrivée ne soit dans un premier temps synonyme d’inquiétude, mais très vite les prédictions du grand-père de l’héroïne instille chez l’héroïne un malaise communicatif. Cette histoire de rivière qui se réveille et menace d’envoûter les hommes et les femmes alentour fait échos à de nombreux contes et légendes de notre folklore, aussi la question n’est-elle pas tant de savoir si les choses vont mal tourner mais quand. L’intrigue évolue selon un rythme assez lent sans que cette lenteur ne vienne émousser la curiosité ou l’attention du lecteur. Les événements s’accélèrent dans le dernier tiers et, si on est effectivement pressé d’avoir enfin des réponses à nos questions, on est aussi réticent à voir les choses s’emballer dans la mesure où on devine que cela ira de paire avec une mise en danger encore plus grande de notre héroïne.

Chasse aux sorcières

Comme dans « Paternoster », le roman comprend une forte dimension féministe et met l’accent sur le poids que fait peser la société toute entière sur celles qui s’écartent un temps soit peu de la norme, ainsi que sur les risques qu’elles encourent. Le ressenti de la narratrice face aux agressions de certains villageois est particulièrement touchant et réaliste dans la mesure où l’autrice ne cherche pas à nous présenter une super-héroïne qui saurait instantanément moucher et remettre à sa place ceux qui lui manquerait de respect. Comme la plupart d’entre nous, Astrid a parfois du mal à trouver les mots ou à réagir, puis culpabilise de son manque de réaction en imaginant à posteriori tout ce qu’elle aurait pu dire ou faire. Les autres personnages sont eux aussi soignés, et j’ai trouvé particulièrement appréciable l’évolution de certains d’entre eux qui réussissent à se remettre en question et se rendent capables de choses que l’on aurait jamais imaginé au départ. La relation unissant Astrid et Ingrid est quant à elle très belle et là encore assez réaliste sur ce que peut être une relation entre sœurs, faite de jalousie, d’agacements mais aussi d’une grande solidarité et d’un amour profond. L’autrice accorde beaucoup d’importance dans son récit à nous décrire à la fois l’évolution des interactions entre ses personnages mais aussi le ressenti d’Astrid, et c’est ce qui donne au roman un côté intimiste qui rend l’intrusion du surnaturel encore plus effrayant.

Dernier roman en date de Julia Richard, « Se méfier de l’eau qui dort » relate le quotidien d’une jeune femme dans un village lorrain soudainement bouleversé par l’apparition de plusieurs miracles qui font penser à des événements ayant autrefois secoué la région. L’autrice rend ici un bel hommage à un folklore local, que ce soit par les références ou le langage utilisé, et met en scène une héroïne attachante dont le parcours lui permet de mettre en avant la question des violences faites aux femmes et des inégalités dont elles sont victimes. A lire !

Autres critiques : Les blablas de Tachan

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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