Fantasy

Le bouffon de la couronne, tome 1

Titre : Le bouffon de la couronne
Cycle/Série : Le bouffon de la couronne, tome 1
Auteur/Autrice : Thibault Lafargue
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2025 (mars)

Synopsis : Il en faut des hasards du destin pour que Sebrain, jeune homme dédié à la religion du Triste, devienne Tirelangue, le bouffon du château de Belle-la-Ménure. Suite à une terrible maladresse lors d’une rencontre diplomatique, il se voit nommé « bouffon » par le roi afin d’éviter un désastre. Ce mensonge le propulse au cœur des intrigues de la cour, où il découvrira à ses dépens la règle d’or du métier : un bouffon qui ne fait pas rire est un bouffon en danger…

Un bouffon est en dessous du peuple mais au-dessus du roi. Amuse le roi et tu amuseras la cour.

Fantasy et reconversion professionnelle

Après une annonce de placement en liquidation judiciaire suivi d’un sauvetage in extremis, les éditions ActuSF sont de retour depuis quelques mois sur la scène de l’imaginaire français avec de nouveaux titres. Parmi eux, le roman d’un certain Thibault Lafargue dont il s’agit du premier roman et premier tome d’un diptyque consacré à un personnage récurrent mais rarement central dans la fantasy médiévale : le bouffon. L’auteur nous plonge ici dans un décor et une intrigue somme toute assez classique : l’action prend place dans une ville typique du Moyen Age dans laquelle un jeune homme lambda va se retrouver entraîné dans des intrigues de cour qui le dépasse. Ce jeune homme, c’est Sebrain, un apprenti qui se prépare à rejoindre le clergé du Triste, le dieu vénéré dans cette partie du monde et dont le culte se caractérise, entre autre, par l’écoute et le recueil des larmes des fidèles. Convaincu de son choix et impatient à l’idée d’intégrer la caste supérieure, Sébrain voit pourtant son beau parcours tout tracé soudainement compromis à la suite d’un incident diplomatique dont il fut malgré lui l’auteur et qui fait courir le risque de mettre fin à la visite du souverain du royaume voisin. Or, après deux décennies de guerre avec les Levants, le roi ne souhaite surtout pas que ses tractations pour instaurer une paix soient compromises. Pour sauver la face, voilà le jeune homme arraché au clergé auquel il souhaitait appartenir et propulsé au rang de bouffon de la couronne, une position prestigieuse mais précaire, et surtout à milles lieues de ses propres aspirations. Profondément ébranlé, Sébrain va toutefois devoir rapidement trouver ses marques au château où nombreux sont celles et ceux qui cherchent à faire capoter les négociations de paix, et donc à nuire au roi, principal artisan de la réconciliation entre Ponants et Levants. Un roi duquel le sort de Sébrain dépend, et dont il va devoir tout faire pour gagner la confiance.

Jeux de pouvoir

En dépit de son manque apparent d’originalité, le roman de Thibault Lafargue est parvenu à susciter chez moi un certain enthousiasme. C’est classique, certes, mais c’est aussi diablement efficace ! Difficile en effet de ne pas éprouver de l’intérêt pour le destin de ce héros légèrement geignard mais néanmoins attachant qui va devoir tout apprendre de A à Z sur l’art de faire rire, mais aussi sur les luttes de pouvoir qui agitent la cour, et qui va surtout devoir cerner la personnalité d’un monarque impénétrable ne cachant pas son hostilité pour son nouveau bouffon. Les intrigues de cour occupent une place essentielle de l’intrigue et, si certains arcs narratifs sont plus prévisibles que d’autres, ils n’en demeurent pas moins de bonne facture. On prend plaisir à tenter de percer à jour les motivations des uns, à deviner les plans ourdis par les autres, si bien qu’on ne voit pas vraiment les pages défiler (et le roman est pourtant un sacré pavé !). Il est vrai que les enjeux de ce premier tome sont à la fois nombreux et élevés, car outre la paix entre deux royaumes qui s’opposent depuis des années se jouent également des questions d’équilibre entre pouvoir royal et religieux, mais aussi de possible fronde des nobles, sans oublier de complot fomenté par les disciples d’un courant jugé hérétique et qui pourrait bien menacer et la couronne et le culte du Triste. Cela fait beaucoup pour un seul tome et pourtant tout s’emboîte astucieusement au fil des pages, les fils de l’intrigue se regroupant de manière satisfaisante tout en laissant encore quelques zones d’ombres qui seront certainement abordées dans le second volet. Impossible évidemment de pas penser tout au long du récit à un autre personnage de bouffon qui a laissé une marque indélébile dans la fantasy : le fameux Fou, star incontestée de « L’assassin royal ». L’hommage est ici presque palpable mais nous ne sommes pas pour autant sur un copier-coller de mauvaise qualité ou un pastiche. Le bouffon de Lafargue n’est pas celui de Hobb, certes, mais il possède malgré tout son propre charme et prend peu à peu plus d’épaisseur à mesure qu’il appréhende son nouvel environnement et les dangers qui lui sont inhérents.

Des personnages hauts en couleur

Au-delà de son intrigue de qualité, ce sont ainsi ses personnages qui font de ce roman une aussi belle découverte. Sébrain est un héros là encore assez classique, si ce n’est son statut social (on n’est pas ici sur du fils caché du puissant machin ou de l’élu désigné par telle prophétie) et son métissage (le garçon a des origines levantines par son père, ce qui lui vaut de subir ce qu’on qualifierait aujourd’hui de racisme). Certains seront sans doute un peu gênés par la propension du personnage à l’introspection et à l’auto-apitoiement, mais cela reste dans des proportions raisonnables et il vrai que Sébrain a tout de même de quoi se plaindre, l’auteur ne ménageant pas particulièrement son héros. Certaines de ses décisions sont toutefois légèrement surprenantes, et on ne peut s’empêcher de parfois vouloir le secouer pour lui faire prendre conscience des dangers que lui font courir son entêtement ou ses prises de risques irréfléchies. Celles et ceux qui gravitent dans l’entourage du héros sont plutôt bien campés et certains se révèlent même assez mémorables. C’est le cas de la mentore de Sébrain, dotée d’un sens de la répartie et d’une histoire auxquels il est difficile de rester insensible, mais aussi de certains membres de la famille royale ou habitants du château, serviteurs aussi bien que courtisans. Difficile dans un premier temps de se repérer dans le véritable panier de crabes qu’est la cour, mais les indices glanés au fur et à mesure du protagoniste permettent peu à peu d’avoir une meilleure vue d’ensemble des motivations et des secrets de chacun. Mon seul regret concerne les personnages féminins qui, certes, sont assez nombreux mais occupent une place secondaire dans l’intrigue, avec des rôles et des réactions parfois très stéréotypées.

Pari réussi pour Thibault Lafargue qui signe avec « Le bouffon de la couronne » un premier roman convainquant et qui, bien que doté d’un cadre très classique, se révèle être d’une redoutable efficacité. Difficile de ne pas être happé par les nombreuses péripéties de Sébrain, un héros un peu naïf mais attachant qui va devoir tout apprendre du rôle de bouffon et des luttes de pouvoir qui agitent une cour mise en effervescence par la potentielle fin du conflit opposant le royaume à son voisin. Bien que l’arc narratif ouvert dans ce premier tome trouve ici une résolution satisfaisante, on ne peut qu’avoir hâte de se plonger dans le deuxième et dernier volume qui devrait nous livrer les dernières pièces de ce puzzle bien pensé. A lire !

Voir aussi : Tome 2

Autres critiques : Les blablas de Tachan ; L’ours inculte ; Le nocher des livres

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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