Science-Fiction

Poster Girl

Titre : Poster girl
Auteur/Autrice : Veronica Roth
Éditeur : Michel Lafon / Pocket
Date de publication : 2022 / 2024

Synopsis : Pendant des années, Sonya a été le visage – placardé dans toute la ville sur des affiches propagandistes – de la Délégation, un régime totalitaire impitoyable. Mais depuis que les rebelles ont pris le pouvoir il y a dix ans, la jeune femme croupit dans la ville-prison réservée aux opposants politiques. Quand un vieil ennemi lui demande de retrouver une adolescente disparue en échange de sa liberté, l’ex-Poster Girl ne peut qu’accepter. Quitte à déterrer un sombre passé.

La dictature… et après ?

De Veronica Roth, on connaît surtout la désormais célèbre trilogie « Divergente », une dystopie ayant cartonné auprès des ados et rendue encore plus populaire après son adaptation au cinéma. Avec « Poster girl », l’autrice s’adresse cette fois à un public adulte mais renoue d’une certaine manière avec le même sous-genre puisqu’elle met en scène une post-dictature. Le roman se passe dix ans après que la Délégation et son régime totalitaire aient été mis à bas par des rebelles à l’origine de l’instauration d’un nouveau système plus souple appelé Triumvirat. C’est dans ce contexte que l’on fait la connaissance de Sonya, une jeune femme d’une vingtaine d’années qui purge une peine de prison à perpétuité dans l’Objectif, une sorte de ville-prison réservée aux anciens partisans de la Délégation qui n’ont pas été tués lors de la révolution. Condamnés à finir leur vie dans cette sorte de purgatoire, les habitants vivent dans le dénuement mais s’auto-gèrent, les gardiens n’interférant jamais dans leur quotidien et se contentant de s’assurer qu’ils ne tentent pas de s’enfuir. Sonya végète donc là depuis dix ans, incarcérée à dix-sept ans pour avoir incarné le visage de la dictature, son père l’ayant fait poser pour l’une des principales affiches de propagande de l’ancien régime. Et puis, un jour, une opportunité lui est donné de gagner sa liberté. Pour se faire, la jeune femme va devoir retrouver une adolescente, enlevée à sa famille biologique à l’âge de trois ans pour être placée dans une famille fidèle à la Délégation. Un cold case presque impossible à résoudre mais qui va lui permettre de sortir périodiquement de sa prison pour mener l’enquête dans une société qu’elle ne reconnaît plus, débarrassé du contrôle exercé par la dictature. L’occasion pour la jeune femme de gagner sa liberté, mais aussi de questionner, enfin, ce régime qu’elle a ardemment soutenu, et de déterrer les atrocités dont il s’est rendu coupable et qu’elle ne soupçonnait pas.

Contrôler et conditionner

Le roman se lit comme un vrai page-turner, l’enquête de Sonya se révélant passionnante. Bien rythmé, le récit lève progressivement le voile sur les mystères qui entourent l’ancien et le nouveau régime, tout en laissant suffisamment de zones d’ombre pour maintenir le lecteur en halène. Le moment choisi par l’autrice comme cadre de son récit participe énormément à l’attrait qu’on ressent pour l’intrigue, tant il est rare de voir la période post-dictature étudiée. Les dystopies se concentrent en effet d’ordinaire sur la dictature elle-même, et l’histoire se termine souvent au moment de sa chute, sans nous dévoiler ce qui se passe après. Ici, Véronica Roth nous dépeint une société encore fortement marquée par les stigmates de la Délégation, un régime totalitaire ayant rendu obligatoire la pose d’un implant pour chaque citoyen.ne dans le but d’exercer un contrôle absolu sur leur vie et de récompenser les bons comportements et punir les mauvais. Appartenant à une famille haut placée dans le régime, Sonya a embrassé l’idéologie du régime dont elle était devenue juste avant la révolution une fidèle particulièrement zélé. Obnubilée par les cryptodeniers virés sur son compte à chaque fois qu’elle se pliait aux règles de la Délégation, la jeune femme a bien du mal à sortir du conditionnement auquel on l’a contrainte, et la voir se débattre avec ses anciens réflexes et ses nouveaux doutes fait partie des aspects les plus intéressants du roman. Le profil de Sonya jure d’ailleurs lui aussi avec ce qu’on a l’habitude de voir dans ce type de récit, l’héroïne étant d’ordinaire toujours du côté de la résistance, et non des oppresseurs. Le choix opéré ici par Véronica Roth s’avère pourtant astucieux car il permet de faire prendre conscience du poids du conditionnement auquel les individus se retrouvent confrontées dans un régime tel que celui de la Délégation.

Une héroïne pas banale

C’est là à mon sens que réside la plus grande force du roman : nous faire réaliser que les personnages qui peuplent l’Objectif, qu’on trouve sympathique et pour lesquels on a tendance à avoir de l’empathie, sont aussi d’anciens serviteurs zélés de la dictature. On est ainsi sans arrêt partagé entre l’affection que l’on porte aux prisonniers et l’horreur de savoir qu’ils se sont vraisemblablement rendus coupables du pire, par conviction, mais aussi simplement par passivité ou par confort. Le nouveau régime instauré n’est cela dit pas tout rose non plus, et il est d’ailleurs dommage que l’autrice ne nous donne que si peu d’informations sur son fonctionnement. La question du contrôle des individus par le biais de la technologie reste en tout cas centrale et invite à nous interroger sur la place que nous lui accordons et au rôle qu’elle pourrait jouer dans notre privation de liberté. Une thématique loin d’être nouvelle en SF et dont la réflexion n’est ici pas particulièrement poussée mais qui s’inscrit malgré tout assez bien dans le récit. On prend beaucoup de plaisir à suivre l’enquête de Sonya, une héroïne qu’on devrait détester en raison de sa froideur et de son attachement toujours manifeste au système de récompense/punition mis en place par la Délégation, mais à laquelle on ne peut s’empêcher de s’identifier et dont la détresse ne peut que toucher.

« Poster girl » est un page-turner efficace qui raconte l’enquête menée par une jeune femme pour retrouver une petite fille enlevé à ses parents biologiques sous le régime totalitaire de la Délégation. Veronica Roth met ici en lumière un moment politique charnière qu’on rencontre peu en SF : la reconstruction une fois la dictature tombée. Le roman est bien rythmé, l’héroïne attachante et, si certaines thématiques sont plus convenues, d’autres sont plus originales et permettent à l’ouvrage de tirer son épingle du jeu.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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