Ann Bonny : La louve des Caraïbes VS La dernière nuit d’Anne Bonny
Titre : Anne Bonny en bande dessonée
Titres : La louve des Caraïbes – La dernière nuit d’Anne Bonny
Auteur/Autrice : Franck Bonnet – Claire Richard
Éditeur : Glénat – Le Lombard
Date de publication : 2024 – 2022
Synopsis : Deux albums qui retracent de façon totalement différente le parcours d’Anne Bonny, femme pirate ayant vécu au début du XVIIIe siècle.
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La Louve des Caraïbes : dispensable
S’il y a bien une figure historique qui fascine dans l’univers de la piraterie, c’est bien Anne Bonny. Parce qu’elle fut la compagne du célèbre Jack Rackhamn, bien sûr, mais aussi parce qu’il s’agit d’une femme qui a su s’imposer dans un milieu d’hommes. Le caractère romanesque de son parcours n’est également pas étranger à sa renommée, parcours essentiellement raconté par le capitaine Charles Jonhson dans ses chroniques sur les pirates. Une source jugée globalement fiable, quoique critiquable par bien des aspects, et ce d’autant plus qu’il s’agit quasiment de la seule, les autres écrits sur la forbante se limitant aux minutes de son procès en Jamaïque et à quelques mentions dans les registres. Les nombreuses zones d’ombres qui entourent sa vie enflamment évidemment l’imagination, et explique pourquoi la littérature ou encore le cinéma se sont emparés de cette figure. Ces deux dernières années, on a ainsi vu paraître au rayon bande dessinée deux albums consacrées à la pirate : « Ann Bonny : La louve des Caraïbes » de Franck Bonnet et « La dernière nuit d’Anne Bonny », l’adaptation d’un podcast écrit par Claire Richard et sorti en 2022 sur Arte Radio. Deux albums, deux ambiances ! Je vais passer assez vite sur le premier dans la mesure où la bd de Franck Bonnet se révèle décevante et ne met quasiment en lumière que la sexualité débridée de son héroïne. Anne Bonny est ainsi présentée comme une sorte de nymphomane en puissance, couchant avec un nombre incalculable de partenaires (hommes comme femmes) et capable de remettre le couvert quelques jours seulement après avoir subi une série de viols particulièrement violents. Le personnage est sans arrêt représenté dans des postures lascives (y compris pendant les viols), elle est nue les trois quart de la bande dessinée et elle est de plus extrêmement désagréable. L’auteur s’attarde un peu sur le contexte dans lequel la jeune femme évolue mettant notamment en scène l’arrivée de Woodes Rogers à la gouvernance de l’île et les divisions que sa proposition de grâces royales cause chez les pirates, mais on peine à s’y intéresser.
La dernière nuit d’Anne Bonny : immanquable !
Si vous pouvez donc oublier « La louve des Caraïbes », je vous conseille en revanche de ne pas passer à côté de « La dernière nuit d’Anne Bonny », un petit bijou passionnant, nuancé et agréablement illustré. Tout commence en 1780 à la Nouvelle Orléans où l’on fait la rencontre d’une vieille tenancière de bordel en passe d’être rattrapée par la mort. Cette femme, c’est Anne Bonny, qui, à l’aube de sa vie, va se raconter à Apolline, l’une des prostituées qu’elle a choisi pour être sa successeuse. En partant du récit de Charles Johnson qui va être repris, corrigé, nuancé, la vieille femme retrace tout son parcours, de son enfance en Irlande à la toute fin du XVIIe siècle, jusqu’à son procès pour piraterie de 1720 où elle sera jugée en compagnie de ses deux principaux compagnons de route, Mary Read et Jack Rakham. L’album revient sur tous les épisodes marquants de la vie de la jeune femme : son départ d’Irlande aux côtés de sa mère et de son père dont elle est la bâtarde, son départ de la plantation familiale aux bras de John Bonny, les débuts dans la piraterie, la rencontre déterminante avec Jack Rakham puis avec Mary Read, les abordages, la vie à bord, et puis l’arrestation, la prison et le procès. La vie d’Anne Bonny est d’autant plus captivante ici que, contrairement à l’autre album précité, l’autrice ne cherche absolument pas ici à enjoliver son récit à à faire de la jeune femme ce qu’elle n’était pas. L’héroïne de l’album de Claire Richard n’est ainsi pas particulièrement sympathique et certains de ses choix de vie son carrément discutables, mais on s’y attache malgré tout car l’autrice prend le temps de contextualiser son récit et de replacer Anne dans son époque. Cette contextualisation est faite de façon très habile par le biais de deux personnages, un historien et une historienne, qui multiplient les apartés et s’écharpent sur l’interprétation à donner à tel ou tel épisode de la vie de la pirate.
De l’intérêt de la recontextualisation historique
Ce procédé narrative se révèle vraiment pertinent car il permet de prendre du recul sur le personnage et sur les fantasmes qu’il véhicule. L’autrice revient grâce à ce débat d’historiens sur les sources qui concernent Anne Bonny et y apportent un regard critique, pointant notamment du doigt les nombreux biais de Johnson et rappelant que son objectif premier est de faire parler de son récit quitte parfois à enjoliver la réalité ou à inventer des détails scabreux susceptibles d’appâter le chaland. L’autrice nous amène aussi à réfléchir sur la façon dont on met en avant les femmes qui parviennent à se distinguer et à se faire une place dans un milieu presque exclusivement masculin. Il est d’ailleurs amusant de constater que l’historienne dénonce ceux qui cherchent impérativement à « transformer une femme qui sort du rang en putain », chose que fait justement la bande dessinée de Franck Bonnet. Les illustrations, elles, sont agréables, avec un petit côté enfantin dans les mimiques des personnages ou la rondeur de leur visage. On est loin des poses lascives et des nus de l’autre album, avec au contraire davantage d’importance accordée aux expressions des personnages qui sont tous très émouvants à défaut d’être sympathiques.
Anne Bonny est un personnage rocambolesque qui fascine depuis longtemps de nombreux artistes et qui a fait l’objet deux bandes dessinées parues respectivement en 2022 pour Claire Richard et 2024 pour Franck Bonnet. « La louve des Caraïbes » est clairement à éviter car présentant une Anne Bonny femme-objet, érotisée en permanence et sans aucune consistance. « La dernière nuit d’Anne Bonny » en revanche est un vrai bijou, une bd passionnante, bien sourcée et suffisamment contextualisée pour nous permettre de prendre du recul, sans que l’aspect romanesque ne soit écarté. A lire absolument.
Autres critiques : ?
2 commentaires
Baroona
Une belle preuve qu’un sujet ne fait pas tout, il faut encore savoir le traiter. Je prends autant bonne note de ton conseil de lecture que de ton conseil de non-lecture, merci. ^^
Boudicca
Tout à fait 😉 Je suis contente de t’avoir donné envie de lire la BD, elle est vraiment superbe !