Science-Fiction

L’ost céleste

Titre : L’ost céleste
Auteur/Autrice : Olivier Paquet
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2024 (septembre)

Synopsis : Patriarche redouté et banquier le plus influent de la république de Jirone, Eugen de Basfortt intrigue pour éliminer tout ce qui peut menacer son pouvoir dans la ville. La position de la reine des Francheterres, Indira IV, n’est pas aussi assurée ; elle dont le règne est contesté par sa cousine depuis le premier jour, et qui doit se soumettre aux règles de la Monarchie dans son archipel. Déchirée entre son devoir et ses désirs, Indira IV doit apprendre qui elle est, pour quoi et pour qui elle se bat. Elle peut toutefois compter sur un guide depuis l’autre côté de l’océan : Eugen de Basfortt, avec lequel elle entretient une correspondance secrète.

Quand fantasy et SF se rencontrent

Olivier Paquet est un auteur français qui s’est fait connaître grâce à près d’une dizaine de romans qui, jusqu’à présent, s’inscrivaient clairement dans le registre de la science-fiction. C’est moins le cas de son dernier ouvrage qui, s’il comporte clairement une dimension SF, comprend aussi une composante fantasy assez marquée. Le roman met en scène deux protagonistes que tout oppose mais qui vont pourtant entretenir une correspondance régulière et s’entraider en dépit de leurs intérêts en apparence divergents. L’un est l’homme le plus influent de la jeune République de Jirone, banquier impitoyable à la tête d’une immense fortune et entretenant des relations tumultueuses avec ses différents enfants. C’est d’ailleurs à cause d’une querelle ayant éclaté avec ces derniers que le patriarche voit son assise sur l’enclave menacée. Mais le vieux renard a plus d’un tour dans son sac… De l’autre côté de l’océan, sur le Continent, la très jeune Indira IV vient d’accéder au trône suite à la mort prématurée de son père. La souveraine va très vite devoir se familiariser avec les arcanes du pouvoir, et ce d’autant plus qu’une grande menace pèse sur elle puisque sa cousine lui dispute la couronne et a déjà réuni une armée tandis que l’Archonte, l’homme à la tête de la plus grande autorité religieuse, a décidé de se joindre à sa rivale. Malgré tout ce n’est pas tant la couronne qui se révèle la plus lourde à porter. En effet, la jeune femme est, comme ses prédécesseurs avant elle, la gardienne d’un anneau capable d’en appeler à l’ost céleste, une force à l’origine et même à la nature pour le moins nébuleuses mais dont la puissance sans égale ne fait pas de doute. Une sorte d’épée de Damoclès permanente qui plane sur le monde mais que la reine a l’interdiction formelle de déclencher pour protéger son propre pouvoir. Tout deux acculés, le vieux banquier et la jeune souveraine vont devoir s’allier pour parvenir à triompher de leurs ennemis.

La reine et le banquier : deux protagonistes aux antipodes

Le roman alterne entre des passages mettant en scène Eugen de Bastfortt et d’autres consacrés à Indira, le tout entrecoupés de lettres que s’échangent les deux protagonistes. Lettres en apparence anodines mais en réalité codées et qui permettent donc de cerner peu à peu les véritables positions de chacun et le plan élaboré. La correspondance entretenue entre ces deux personnages aux antipodes (l’un est un vieux briscard de la politique, l’autre a tout à apprendre) est astucieuse car elle permet à la fois de voir au-delà des apparences grâce à la conversation parallèle que l’on peut suivre grâce au fameux code, mais elle témoigne aussi au fil du temps d’une amitié naissante non feinte. Ce procédé permet aussi, toujours sous l’apparence d’une conversation banale, de rentrer un peu plus dans l’intimité des personnages qui en viennent à se confier volontiers sur leurs drames personnels, leurs failles et leurs doutes, ce qui les humanise davantage. Les passages les concernant suffisent néanmoins pour les cerner et pour s’attacher à eux. Personnellement j’ai tout de suite imaginé Eugen de Bastfortt comme une sorte de Tywin Lannister, ce patriarche retors et manipulateur qui ne prend pas la peine de mâcher ses mots ou de ménager ses interlocuteurs. Il y a un peu de ça chez le banquier de Jirone qui, par son intelligence politique redoutable, a toujours un coup d’avance sur ses adversaires. Or il est toujours difficile de résister à un personnage qui possède une telle lucidité. Le vieux roublard n’est de plus pas si insensible qu’il n’y paraît au premier abord et, si certaines scènes mettent régulièrement en avant son sale caractère et son intransigeance, d’autres laissent aussi entrevoir l’homme et le père derrière la carapace. Indira, elle, est tout de suite rendue sympathique de part la position de vulnérabilité dans laquelle elle se trouve. Elle va cependant très vite se révéler plus forte et plus maline que ce que ses adversaires prévoyaient, ce qui ne manque pas, là encore, de renforcer l’affection des lecteurices la concernant.

Un univers et une intrigue convaincants

Du côté de l’intrigue, Olivier Paquet prend le temps d’installer son univers et les enjeux dont il sera question, si bien que le début peut parfois paraître un peu laborieux. Les descriptions, notamment, sont nombreuses et souvent trop longues, ce qui a tendance à, dans un premier temps, émousser l’intérêt des lecteurices. Heureusement, le récit entre progressivement dans le vif du sujet, et ce dernier s’avère assez passionnant. J’ai personnellement beaucoup apprécié les jeux de pouvoirs à la fois à la cour d’Indira, mais aussi ceux, plus subtiles, qui ont lieu dans l’enclave de Jirone. Olivier Paquet a pris soin de donner de l’épaisseur à son univers, ce qui lui permet de complexifier progressivement son intrigue en jouant sur le racisme et les oppositions religieuses qui traversent ce monde. Il apparaît de plus assez rapidement que l’auteur s’est inspiré de certains décors ou contextes historiques. Ainsi, la République de Jirone fait beaucoup penser à des cités-états comme Venise ou Florence au temps de la Renaissance (les canaux, le rôle central joué par la bourgeoisie d’affaires, une famille qui parvient à accaparer le pouvoir et s’enrichir de façon considérable…) tandis que la situation dans laquelle se retrouve Indira peut faire penser au début du règne d’Elizabeth Iere (une cousine constituant une menace pour sa couronne, de fortes tensions religieuses, une invincible armada en approche…). L’aspect « SF » n’apparaît finalement qu’assez tard dans le récit, même si on devine très vite le lien qui rattache l’intrigue à ce genre bien spécifique, et ce en dépit des apparences. L’explication finale est plutôt satisfaisante mais ne vient pas non plus révolutionner toute l’histoire et j’avoue y avoir moins adhéré qu’au reste du récit.

Avec « L’ost céleste », Olivier Paquet signe un bon roman qui met en scène la lutte de deux personnages très différents pour se maintenir au pouvoir et déjouer les pièges qui leur sont tendus par leurs ennemis. Si le récit mêle effectivement fantasy et science-fiction, ce dernier aspect n’est présent qu’en toile de fond pendant tout le récit qui relate avant tout des intrigues politiques et religieuses et se focalise sur les parcours d’une jeune reine pas si naïve et d’un vieux banquier loin d’être rouillé. Une bonne découverte.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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