Blackwater [série en six volumes]
Titre : La Crue ; La Digue ; La Maison ; La Guerre ; La Fortune ; Pluie
Cycle/Série : Blackwater
Auteur : Michael McDowell
Éditeur : Monsieur Toussaint Louverture
Date de publication : 2022 (entre avril et juin)
Synopsis : Alors que les flots sombres et menaçants de la rivière submergent Perdido, une petite ville du sud de l’Alabama, les Caskey, un riche famille de propriétaires, doivent faire face aux innombrables dégâts provoqués par la crue. Mené par Mary-Love, la puissante matriarche, et par Oscar, son fils dévoué, le clan s’apprête à se relever. Mais c’est compter sans l’apparition, aussi soudaine que mystérieuse, d’Elinor Dammert, jeune femme séduisante au passé trouble, dont le seul dessein semble être de s’immiscer au cœur de la famille Caskey.
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Une série-feuilleton en six volumes
Depuis maintenant plus d’un an, celles et ceux qui fréquentent assidûment les librairies n’ont certainement pas pu passer à côté de ces petits livres régulièrement mis en avant car dotés d’un superbe écrin et édités par les éditions Monsieur Toussaint Louverture à un rythme remarquablement soutenu. Il n’aura en effet fallu attendre que deux mois (entre avril et juin 2022) pour compléter la collection des six tomes de « Blackwater », série feuilletonnante publiée à l’origine en 1983 et que l’on doit à Michael McDowell, plus connu aujourd’hui comme le créateur de « Beetlejuice ». Les romans connurent lors de leur parution un grand succès et, quarante ans plus tard, force est de constater que la série a à nouveau su trouver son public. Le récit se déroule dans un petit village américain situé en Floride et implanté à proximité de deux rivières dont les crues se révèlent depuis toujours particulièrement violentes, la Perdido et la Blackwater. Tout commence en 1919, justement après l’un de ces épisodes de crue particulièrement dévastateurs puisqu’il a cette fois englouti une bonne partie de la ville de Perdido et ses habitations. Alors qu’ils arpentent les rues en canot afin de mesurer l’ampleur des dégâts, Oscar Caskey, jeune homme originaire de l’une des familles les plus aisées et comptant parmi les principaux employeurs de la région, et Bray, son domestique, tombent sur une jeune femme, coincée dans la chambre d’une auberge et attendant manifestement d’être secourue. Très vite, Oscar tombe sous le charme de cette mystérieuse étrangère qu’il s’empresse de délivrer et de présenter au reste de la communauté, et notamment à sa famille, à savoir sa mère, son oncle et sa sœur. Les réactions de l’entourage du jeune homme ne sont toutefois pas aussi enthousiastes. Bray, d’abord, s’alarme de la présence de cette femme, seule, dans un village ravagé par la crue mais qui ne présente aucun signe des jours qu’elle a, selon ses dires, passé seule dans cette chambre, sans eau ni nourriture. Mary-Love, la mère d’Oscar, voit quant à elle immédiatement en Elinor une rivale dangereuse et n’entend reculer devant rien pour préserver sa place de leader au sein de la famille.
Une saga familiale prenante
Voilà pour le décor qui pourrait, au premier abord, paraître relativement banal. Il est vrai que la série consacre une part non négligeable de son temps à dépeindre les évolutions et rebondissements qui touchent la famille Caskey, raison pour laquelle « Blackwater » a parfois été affectueusement comparé à une sorte de remake de « Dallas ». L’auteur attache en effet beaucoup d’importance à dépeindre les luttes de pouvoir auxquelles se livrent les membres de cette famille américaine ambitieuse mais clairement dysfonctionnelle. L’histoire narrée ici s’étendant de 1919 à 1970, c’est donc cinquante ans d’histoire familiale qui défile devant nos yeux, avec ses morts, ses naissances, ses ruptures, ses drames, ses surprises… La série compte ainsi un nombre important de personnages à mesure que la famille Caskey s’agrandit et que celles et ceux que l’ont a connu tout petit deviennent parents à leur tour. Il est évidemment difficile, dès lors que l’on suit le parcours d’un personnage depuis sa naissance, de ne pas s’y attacher, aussi ne manque-t-on pas de s’intéresser au destin de tous les membres Caskey, quand bien même certains se révèlent particuliers, à commencer par les personnages féminins. L’une des singularités de la série « Blackwater » réside en effet dans la place prépondérante qu’elle accorde aux femmes, qui occupent le rôle de chef de famille pourtant traditionnellement réservé aux hommes. Mary-Love et Elinor vont ainsi se livrer une guerre sans merci pour le contrôle des Caskey qui acceptent avec un mélange de fatalisme et de bonne volonté cette domination pourtant parfois lourde à supporter. Les femmes qui naîtront par la suite deviendront elles aussi au fur à et mesure à même de revendiquer la place de leader, ce qui ne sera pas sans créer de nouveaux drames et d’entraîner la mise en branle de nouvelles machinations. Le contrôle figure en effet au cœur du fonctionnement de la famille Caskey dont les membres n’hésitent pas à recourir aux coups les plus bas, à commencer par le droit de s’arroger par la ruse le droit d’élever l’enfant d’un ou d’une autre, spécificité qui fera régulièrement les gorges chaudes de tout Perdido.
Une répartition des rôles singulière
Il est intéressant de constater que Michael McDowell s’est ici livré à une complète inversion des rôles traditionnellement réservés aux hommes et aux femmes. Ainsi, outre le fait qu’elles exercent concrètement le pouvoir, les femmes Caskey bénéficient également de traits de caractère traditionnellement réservés aux hommes dans ce type de récit : elles sont déterminées, ambitieuses, n’hésitent pas à tout miser sur un pari audacieux et surtout font preuve d’une totale confiance en elles et en leurs capacités. Les hommes Caskey, à l’inverse, sont plus réservés, plus soucieux des autres et, surtout, ils sont la plupart du temps cantonnés au simple rôle de spectateur. Ils influent très peu sur les décisions prises par leurs épouses et mères, sans que cela ne semble jamais leur causer le moindre sentiment d’amertume ou la moindre contrariété : ils acceptent totalement et docilement leur domination et philosophent même de temps à autre sur le simple rôle de figurants qu’ils ont bien conscience d’exercer. Cette inversion des rôles a ici quelque chose de rafraîchissant, surtout pour l’époque, quand bien même il est difficile d’y voir une véritable vision féministe. Les femmes Caskey sont en effet un peu toutes forgées dans les deux mêmes moules : certaines ont la volonté de dominer et se montrent manipulatrices au possible (Elinor, Mary-Love, Myriam) ; d’autres se distinguent par leur ingénuité et un manque criant de caractère qui les pousse le plus souvent à la frivolité et la docilité (Queenie, Sister, Lucille, Frances). Il faut également noter que, bien que l’auteur n’hésite pas à mettre en scène ses héroïnes rompant avec le schéma traditionnel en expérimentant d’autres formes de sexualité, voir pas de sexualité du tout, leur sphère d’influence se limite la plupart du temps au domaine de la maison. Certes, à partir des années 1950, on les voit de plus en plus exercer un travail et revendiquer une vraie place dans l’entreprise familiale, néanmoins leurs principales considérations demeurent liées pendant une bonne partie de la série à l’entretien de leur maison ou du personnel. L’auteur les montre également impuissantes à se défendre face aux hommes qui voudraient s’en prendre à elles (Elinor exceptée), ce qui donne lieu à des scènes parfois violentes consacrées à un viol ou encore des violences conjugales.
Quand le surnaturel s’immisce dans le quotidien
« Blackwater » ne se limite toutefois pas à une simple saga familiale. Michael McDowell est en effet réputé pour ses récits horrifiques, et cette série s’inscrit elle aussi pleinement dans cette lignée. L’auteur nous dévoile en effet dès les premières pages que les habitants de Perdido ont de quoi se méfier de la nouvelle venue, puisque celle-ci est en réalité une créature issue de la rivière et ayant choisi de se matérialiser sous la forme d’une jeune femme pour cacher son terrible aspect d’origine. L’auteur choisit donc dès les premières pages de lever le doute sur la véritable nature d’Elinor, ce qui ne met pas pour autant un terme au suspens qui impreigne au contraire une grande partie de l’œuvre. Il arrive en effet régulièrement que le quotidien des Caskey soit bouleversé par un événement d’ordre surnaturel qui vient surprendre le lecteur en faisant soudainement basculer le récit dans l’horreur. Elinor est, au départ, la principale cause des frissons d’angoisse qui parcourent le lecteur (elle est en effet toujours obligée de chasser autour de la Blackwater pour se nourrir), mais elle est loin d’être le seul aspect fantastique de la série de Michael McDowell qui convoque aussi de nombreux fantômes. L’auteur possède un incontestable talent pour instaurer une ambiance oppressante caractéristique de ce type de romans, jouant sur le caractère brusquement étranger de lieux ou d’objets pourtant familiers. Vaisselle qui tinte, bruits de pas sur le poche, clé qui tourne toute seule dans la serrure, lueur anormale… : il n’en faut pas beaucoup pour faire basculer le lecteur dans la peur, et ces intermèdes horrifiques produisent toujours leur petit effet. L’auteur s’amuse beaucoup à jouer sur des peurs enfantines, comme celle du fameux placard censé cacher un monstre (qui existe parfois bel et bien !), et se plaît souvent à transformer des lieux associés au réconfort et à la sécurité en espaces dangereux où tout peut arriver. Cette dimension horrifique cumule dans le dernier tome de la série, alors qu’elle s’était pendant un temps fait plus discrète, et permet à l’auteur d’offrir à son œuvre une conclusion satisfaisante et à la hauteur des attentes des lecteurs après plus de cinquante ans d’histoire condensés en six volumes.
« Blackwater » est une série de romans feuilletonnant initialement parus dans les années 1980 et réédités en l’espace de quelques mois seulement par les éditions Monsieur Toussaint Louverture dans un magnifique écrin. Mêlant saga familiale et récit horrifique, la série de Michael McDowell se révèle particulièrement prenante et séduit aussi bien par ses intermèdes fantastiques permettant d’instiller une bonne dose d’angoisse dans l’histoire, que par le portrait qu’il dresse de cette grande famille dysfonctionnelle rongée par les luttes de pouvoir. Luttes menées essentiellement par des femmes, aspect qui constitue une autre spécificité de l’œuvre de McDowell et qui lui permet de renverser les représentations de genre traditionnelles. Une lecture divertissante, donc, que je vous recommande chaudement.
Autres critiques : ?
5 commentaires
ROUQUET
Hélas, je ne partage pas du tout l’enthousiasme de l’auteur, l’autrice, de ces lignes.
L’écriture m’a paru dès le départ très surannée, ennuyeuse. J’ai beaucoup plus aimé les textes de Bob Léman, auteur sensiblement de la même génération.
C’est pour moi une version d’un Dallas fantastique et féminin.
Je n’ai pas réussi à rentrer dans cet univers. Regrettant mes achats des six volumes en bloc, attiré par le bouche à oreille médiatique.
Je préfère les textes de McCammon chez le même éditeur. La saga Standing…
Reste des couvertures attrayantes et originales.
Jean-Pierre
Bonjour, une petite coquille :
« de nouveaux drames et de entraîner la m »
Bonne continuation.
Boudicca
Merci c’est corrigé 🙂
Gilderic
Les couvertures sont particulièrement réussies ! J’ai envie de les acheter rien que pour elles.
Boudicca
Je comprends 🙂