Science-Fiction

Afterland

Titre : Afterland
Auteur : Lauren Beukes
Éditeur : Albin Michel (imaginaire)
Date de publication : 2022 (janvier)

Synopsis : Plus de 99,9% des hommes sont morts.
Trois ans après la pandémie qui les a balayés, les gouvernements tiennent bon et la vie continue. Mais le monde d’après, dirigé par des femmes, exsangue d’un point de vue économique, n’est pas forcément meilleur que celui d’avant.
Miles, 12 ans, est un des rares garçons à avoir survécu. Sa mère, Cole, ne veut qu’une chose : élever son enfant en Afrique du Sud, chez elle, loin des États-Unis, dans un sanctuaire où il ne sera pas une source de sperme, un esclave sexuel ou un fils de substitution.Traquée par Billie, son implacable sœur, Cole n’a d’autre choix pour protéger son fils que de le travestir. À l’autre bout des États-Unis, un bateau pour Le Cap les attend. Le temps est compté.

Road-trip post-apo

Parmi les scénarios de fin du monde régulièrement envisagés en science-fiction, celui de l’épidémie figure en bonne place et prend généralement la forme d’un virus coupable de la zombification d’une partie de la population mondiale. Dans son dernier roman, Lauren Beukes opte elle aussi pour la pandémie mais laisse de côté les zombies puisque le virus imaginé ici a pour principal effet non pas de lobotomiser les gens mais de favoriser l’apparition de cancers de la prostate qui ne tardent pas à se généraliser. Or, qui dit prostate, dit homme. L’épidémie dont il est question ici ne touche en effet que les hommes qui se mettent peu à peu à tomber comme des mouches jusqu’à ne plus être qu’une poignée, et ce dans tous les pays du monde (les lecteurs de comics ne manqueront pas de penser à l’excellente série de Brian K.Vaughan, « Y le dernier homme » à laquelle l’autrice fait d’ailleurs un petit clin d’œil). L’action se déroule plusieurs années après la pandémie qui, si elle n’a pas causé autant de dégâts qu’une apocalypse zombie, n’en a pas moins profondément bouleversé l’ordre mondial. Désormais seules maître(sse)s à bord, les femmes ont repris les rennes partout, avec plus ou moins de difficulté en fonction des secteurs, certaines professions étant depuis longtemps l’apanage principal des hommes. C’est dans ce contexte que l’on fait la connaissance de trois personnages qui vont nous servir de guide dans cette société traumatisée par le deuil de la moitié de sa population. La première, Cole, peut s’estimer chanceuse puisque, bien qu’ayant perdu son mari lors de la pandémie, son fils de douze ans, Miles, fait parti des rares individus masculins sur lesquels le virus n’a pas eu d’effets. Inutile de dire que cette poignée de garçons et d’hommes ayant survécu à l’épidémie font l’objet de toutes les convoitises, que se soit de la part des politiques et scientifiques afin de tenter de comprendre le virus, ou plus largement de celle de n’importe quelle femme refusant de faire une croix sur la maternité. Miles, justement, est notre deuxième protagoniste et permet d’avoir un point de vue légèrement décalé par rapport à celui de sa mère avec laquelle il s’est lancé dans un road-trip de la dernière chance afin de quitter les États-Unis pour retrouver leur pays d’origine, l’Afrique du sud. Enfin, notre dernier protagoniste est la sœur de Cole, Billie, laissée pour morte au début du roman après avoir tenté de kidnapper le garçon pour le compte d’un riche commanditaire et bien décidée à remettre la main dessus.

Un thriller efficace

Le roman est un vrai thriller et se dévore comme tel, avec toutefois quelques coups de mou de temps à autre, notamment au milieu du récit. Le voyage de la mère et du fils dans cette Amérique endeuillée et sur les dents est plutôt immersif, notamment en raison du décalage entre des scènes qui ne jureraient pas dans un post-apo traditionnel dans lequel toute la société se serait effondrée (visite de maisons abandonnées, rencontres avec des communautés qui ont choisi de surmonter la catastrophe de manière très différentes…) et des passages qui témoignent que la vie continue bel et bien et que la civilisation est loin d’avoir été annihilée. Les chapitres racontés du point de vue de Cole sont sans doute les plus captivants en raison de l’ambivalence du personnage, mélange de mère super-héroïne prête à tout pour protéger sa progéniture et femme paumée qui n’a pas la moindre idée de ce qu’elle fait les trois-quart du temps. Les passages consacrés à Miles sont en revanche moins réussis, sans doute en raison de l’âge du personnage qui entre dans la puberté et dont les préoccupations liées à l’éveil de la sexualité ou à sa volonté de s’affranchir de la tutelle maternelle ont tendance à tourner un peu en rond. Le côté un peu « gentillet » des chapitres de Miles tranche d’ailleurs nettement avec le ton employé dès lors que l’histoire se penche sur le point de vue de Billie, sa tante. L’autrice se fait alors bien plus brutale, accumulant scènes de violence, vocabulaire plus cru et personnages secondaires décalés, dignes de figurer au casting d’un gros blockbuster à la « James Bond ». Le contraste permet d’introduire un peu de tension dans ce road-trip qui, sans cette menace dont on sait qu’elle se rapproche de jour en jour sans que les principaux intéressés en soient conscients, pourrait paraître un peu trop mollasson. Finalement, les passages les plus captivants sont sûrement les flash-back au cours desquels on revisite par les yeux de Cole les événements qui se sont déroulés avant, pendant et juste après la pandémie. L’occasion d’en apprendre plus sur la manière dont le virus a totalement bouleversé la vie de toutes ces femmes, bien qu’en les épargnant, et d’assister aux premières réactions qui ont suivi l’identification du problème et la prise de conscience de ses conséquences.

De la place des femmes dans nos sociétés

Au delà de l’originalité qu’il permet d’apporter en tant que cadre à un thriller, ce nouvel ordre hégémonique des femmes permet évidemment aussi à l’autrice de porter un propos plus politique, même si cela reste très (trop ?) ténu et que les réflexions amorcées sur le sujet se révèlent finalement assez anecdotiques. Lauren Beukes profite par exemple de cette disparition soudaine des hommes pour mettre le doigt sur les problèmes posés par leur omniprésence dans la plupart des instances de décisions, et ce à toutes les échelles de la société, ainsi que dans certains corps de métier. On aurait pu croire que l’autrice s’emparerait également davantage de la thématique de l’identité de genre, mais cela se limite à une alternance entre les pronoms féminins et masculins pour qualifier le personnage ainsi qu’à un passage un peu surréaliste dans un bar trans, rien de plus. Parmi les bémols, on peut également citer la place centrale occupée ici par une communauté religieuse dans laquelle nos protagonistes vont trouver refuge et dont les délires mystiques ont tendance à devenir lassants. Enfin, quand bien même l’adage veut que le voyage importe plus que la destination, il faut admettre que la conclusion à ce road-trip mère-fils est pour le moins décevant. L’histoire se termine en effet de manière très abrupte par une confrontation attendue de longue de date mais qui se révèle peu satisfaisante et sans aucune surprise.

« Afterland » est un bon thriller qui prend place dans un cadre science-fictif intéressant basé sur la disparition quasi totale des hommes partout dans le monde. On suit avec intérêt le voyage plus ou moins mouvementé d’une mère et de son fils pour quitter les États-Unis, de même que la progression de la poursuite de la sœur de Cole qui, bien qu’antipathique, permet d’ajouter un peu de tension et de suspens au récit. On peut néanmoins regretter que la réflexion de l’autrice sur le genre et la place des femmes dans notre société soit assez peu développée, ainsi qu’une conclusion bancale.

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Le nocher des livres

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

2 commentaires

  • belette2911

    Tiens, d’habitude, dans les post-apo ou dystopies, ce sont les femmes qui deviennent des « vaches » reproductrices et là, pour une fois, ce sont les hommes qui trinquent en se transformant en bête de reproduction… Ça change, au moins ! mdr

    Ok, je le note dans un coin, tout en le laissant dans les « non urgent » parce que je n’aime pas trop quand le final d’un livre est abrupt, loupé ou pas à la hauteur du récit que l’on a lu (j’ai eu souvent la blague).

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